Le DECES était un laboratoire polyvalent assez exotique.
Non pas qu'un scientifique lambda n'aurait pas pu le concevoir de tête si on lui avait demandé d'imaginer un cadre de travail.
Leur première particularité résidait dans le fait qu'actuellement, ils étaient confinés dans les archives d'une maison d'édition. En un rien de temps, le DECES avait délaissé tous ses locaux et transféré son matériel et ses effectifs sous l'aile de Néan, dans le but d'échapper aux incessants conflits politiques de leurs employeurs et mettre à l'abri leurs recherches.
La deuxième était que la spécialité de DECES était la mort.
Le DECES cherchait le moyen de rallonger l'espérance de vie de l'humain (en minimisant les effets négatifs) en étudiant le trépas sous toutes les coutures et domaines reconnus dans la science paranormale, quitte à essayer des moyens extrêmement inconventionnels.
En effet, pourquoi une cellule de recherche sur l'immortalité aurait-elle des programmeurs et des spécialistes en mécatronique ?
Vingt-et-un scientifiques et spécialistes en mécatronique, mécanique et informatique pour être précis, qui fulminaient en ce moment autour d'une table ovale et se mettaient à prier pour qu'une idée leur tombe du ciel. Sa surface était entièrement recouverte de papiers noircis de lignes raturées.
Leur calvaire avait commencé par une directive de recherche à l'apparence ridicule, mise en circulation pour que ceux qui étaient disponibles aient quelque chose à faire de leurs dix doigts. De trop nombreuses recherches et projets n'avaient mené nulle part, laissant des départements désœuvrés, dont Meta Machina.
Le DECES ne faisant qu'environ trois cent chercheurs, cela rendait l'existence des départements internes discutable. Il ne s'agissait en réalité que d'une méthode de classification des spécialités émise par les chercheurs, les départements étant souvent amenés à coopérer entre eux. C'était à la limite d'une blague entre collègues pour savoir quel domaine arriverait à vaincre la mort en premier. Le groupe qui dirigeait le DECES, l'Autorité Agamemnon, peinait à faire travailler ses chercheurs. Il fallait dire qu'être entouré de textes appartenant à Néan n'ayant peu ou pas de liens avec leur spécialité ne les rendait pas spécialement productifs.
Ce n'était certes qu'une période de transition, mais encore fallait-il faire quelque chose pour éviter que cela ne se prolonge trop. Le docteur C. Copiasme avait donc proposé de glisser une directive à l'intention de tout le personnel se sentant "délaissé" par ce changement d'environnement de travail afin "d'encourager l'innovation".
Les instructions consistaient en huit bonnes pages noircies par une écriture en pattes de mouches et approuvées par l'Autorité Agamemnon. Quelqu'un qui s'y connaissait en langage à rallonge aurait vu que l'ensemble se résumait en ces cinq simples mots : prenez une image d'une expérience de mort imminente.
Les membres de Meta Machina avaient signé la directive dans l'espoir de se mettre sous la dent quelque projet à réaliser et s'étaient attendus à des directions supplémentaires qui, à leur désarroi, étaient absentes.
C'est pour cela qu'une vingtaine d'hommes et de femmes pestaient autour d'une table ovale et regrettaient leur décision.
Mais un certain développeur ne semblait pas partager la frustration de ses collègues.
Au début, Isaïah Promis était contente des ordres vagues qu'elle avait reçus. Ça lui laissait une marge pour qu'on ne vienne pas l'interroger sur l'utilité de son travail. Elle commença par faire une petite IA contenue dans des ordinateurs ayant à peu près la taille d'un Rubik's Cube. Caméra, capteurs, interface de communication ce truc était concentré de technologie qui, même envoyé dans le pire des environnements, émettrait quand même un signal contenant les données obtenues.
D'un gris menaçant et quasiment lisse, le cube affichait fièrement le logo du DECES, le Département d'Études Contre l'Expérience Subite, la tête de mort hexagonale, comme si c'était un magnifique et dangereux bouclier.
Après avoir réalisé et passé à tabac trois de ces cubes, Promis se rendit compte que les frapper en espérant que les IA "décèdent" n'avait pas de sens. Les machines ne peuvent pas mourir et par conséquent ne pas assister à une EMI. Les logiciels pouvaient aisément se répliquer et être restaurés alors que les machines qui les contenaient sont souvent réparées. Promis comprit que son initiative n'aboutirait à rien.
En plus, Isaïah se rendit compte qu'elle avait omis d'ajouter des capteurs à ses cubes. Avant qu'elle ne l'oublie, elle rattacha une caméra qui fonctionnait de manière similaire à un œil humain, à savoir sphérique et avec un diaphragme en iris, et rajouta un logiciel pour traiter les images, avec la même perception des couleurs et de la profondeur qu'un humanoïde moyen. La caméra existait déjà et le logiciel T-Eye avec la configuration correcte lui fut fourni par un collègue. Ce serait bête de tuer des IA et de détruire du matériel sans qu'ils aient eu la possibilité de servir.
Mais au lieu de pester par la suite et d'aller demander de l'aide au département Physisphère comme l'ont fait ses collègues, Promis décida de ne pas abandonner son idée. Ce dernier est le Département de l'étude de la nature, de l'anatomie, de la génétique et de l'environnement. Il s'agit d'un des "départements" les plus grands du DECES, Physis désignant un vaste concept philosophique de la Grèce antique que les romains ont traduit par natura. Non pas qu'elle se croyait capable de la réaliser ou de faire avancer la recherche, c'était juste que l'idée de filmer une EMI était tellement étrange qu'elle ne quittait pas son cerveau.
Isaïah se sentit trop agitée pour raisonner correctement par la suite, et se mit à marcher pour sortir ça de son système.
"Non, une ligne de commande pour détruire l'IA en question ne suffit pas. L'IA est envoyée à la poubelle, broyée, point barre. Certes, techniquement ce n'est plus la même intelligence si elle est copiée ou envoyée à la poubelle, mais je cherche à la tuer pas à en changer l'identité."
"Le broyage informatique de l'intelligence n'est pas une mort, c'est juste une annihilation pure et simple, deux concepts dissociés." pensa-t-elle en hâte, en se remémorant le problème du bateau de Thésée. D'autre ébauches similaires lui traversaient la tête par la suite et toutes saturaient son être.
Ne pourrait-elle pas juste accepter l'idée qu'il fallait simplement laisser ça de côté ?
"Comment est-ce que je pourrais tuer un robot ?" se dit-elle. Cette perspective-là raviva son intérêt, au nom d'une curiosité un peu morbide. Promis se dit que vu qu'elle était en train de marcher, autant en profiter et trouver une source d'inspiration. Elle chercha donc une définition de la mort, de l'action de mourir, tout ce qui pouvait toucher à ces choses-là.
En feuilletant ces textes accumulés par Néan, elle se remémora que scientifiquement parlant, la mort était l'épuisement chimique, l'arrêt des fonctions biologiques ou la conséquence d'un traumatisme important.
Les textes philosophiques étaient certes très beaux. Mais pour Promis, cela ne faisait qu'étaler des théories, leurs antithèses et tout ce qui pouvait bien passer par la tête de leurs auteurs.
"Quand on ne sait pas ce qu'est la vie, comment pourrait-on savoir ce qu'est la mort ?"
- Confucius
"Ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort."
- Antoine de Saint Exupéry
"Ce que vous ensevelissez, ce ne sera que mon corps."
- Socrates
Rien sur les observations d'une âme en train de mourir. En revanche cela permit à Promis d'aérer sa tête en quelques jours de lecture et de mieux attaquer le problème.
Tout le monde avait ainsi une opinion ou des observations sur l'action de mourir de l'extérieur. Or, pour accomplir sa tâche, Isaïah devait mettre la main sur la perception interne de la mort. Comment le décès affecte-t-il la personne, qu'arrive-t-il à son identité concrètement, en quelles circonstances la personnalité, l'essence de l'être, se fait siphonner dans le néant ?
La mort restait encore et toujours un continent inconnu pour Isaïah Promis.
Il lui manquait une étape, un chaînon entre l'IA et la mort. On arrivait à faire des simulations aux machines, qu'est-ce qu'il fallait déclencher comme traumatisme chez l'IA pour l'obliger au moins à simuler les conditions d'un décès ?
La violence envers la machine, physique ou virtuelle, n'était certainement pas la solution. Que restait-il ? Ce n'était pas avec des caresses qu'elle arriverait à quelque chose. De toute manière, les machines n'avaient pas de corps pour sentir quoi que ce soit. Tous les êtres biologiques avaient peur de la mort parce qu'ils étaient conscients d'être vivants, au fond.
… qu'est-ce que c'était ?
Promis jeta un regard autour d'elle. Juste une pile de papiers qui est tombée. Encore des archives "perdues".
Quelqu’un sortit de derrière la montagne de papiers. C'était Slam Pektan, biologiste et animiste pour le compte de Néan. Il portait la robe caractéristique des… employés ? croyants ? archivistes ? moines ? éditeurs ? du Néan.
Isaïah manquait encore de mots pour mettre le doigt sur les hommes qui les hébergeaient et qui assuraient la neutralité dont DECES avait rêvé. Encore fallait-il espérer qu'ils aient fait le bon choix…
"Bonjour Isaïah, vous cherchez quelque chose ?" demanda le moine scribe à Isaïah.
"Pas vraiment. En fait je réfléchissais en marchant." répondit-elle.
"Ah." "Et si ce n'est pas trop indiscret, qu'est-ce qui vous préoccupe ? Navré, il se trouve que je suis assez curieux en ce qui concerne les travaux du DECES."
"Oh ! Je cherche un moyen pour tuer une intelligence artificielle."
"C'est donc si difficile que vous errez sans but dans le bâtiment ?"
"Et bien oui. Elles ne sont pas soumises aux mêmes contraintes que les êtres biologiques. Pour nous il suffit de couper l'une des fonctions qui nous maintient en vie, et si ça dure assez longtemps on meurt. Les logiciels ne peuvent pas mourir, eux, et détruire les machines ne suffit pas. Donc maintenant je cherche un moyen de simuler la mort à l'aide d'une intelligence artificielle." répondit Isaïah.
"C'est pas la joie au DECES, dites donc. Comment vous faites pour encaisser ce travail déprimant, on se le demande. Et vous cherchez à obtenir quoi en faisant une simulation de la mort ?"
"On cherche à obtenir des images de ce que pourrait voir quelqu'un sur le point de mourir. Vous savez, ce célèbre tunnel de lumière ? Des fois, les témoignages parlent d'angelots, de monstres, de prairies remplies de fleurs, de nuages et Dieu seul sait quoi. Arriver à voir ce que ceux qui meurent voient." répliqua Promis.
"Ah, vous voulez parler de l'EMI. Et vous vous êtes dit qu'au lieu d'essayer de maintenir hasardeusement quelqu'un entre la mort et la vie, ce serait plus simple d'envoyer un drone voir ça ? Et vous cherchez à tuer une IA pour y parvenir…"
"Oui, c'est ce dont on parlait il y a quelques secondes."
"Mais les machines ne sont pas vivantes pour commencer."
"Ah ça, c'est bien mon problème depuis le début de ce projet."
"Et si vous mettiez l'intelligence dans une machine qui fonctionne comme un corps humain ? Avec un cœur qui bat, des veines qui pulsent, un estomac qui chauffe, bref, capable de faire croire à l'IA qu'elle est vivante voire même humaine ? Et puis ensuite vous la tuez. Au lieu de faire la simulation en virtuel, vous lui faites vivre en vrai."
"Non, ça ne suffirait pas. Les IA se fichent de ce qui arrive à la machine qui les héberge. De plus si on essaye de répliquer un être vivant, il y aura forcément quelque chose qu'on oublierait, car on ne connait pas tout de notre propre corps." Isaïah marqua une pause. "En revanche faire croire…"
Ce serait trop bête. Est-ce que c'était vraiment ça ?
Il suffirait que les objets croient en la mort. En avoir peur. Les faire ressembler à nous, pour qu'ils subissent tout comme nous.
Les IA étaient déjà assez proches de nous. Ce qui leur manquait pour avoir peur de la Faucheuse, du lendemain, pour croire et périr comme nous, n'était autre qu'un corps, et y être attaché.
"Vous venez de me donner une idée ! Merci monsieur Pektan."
Isaïah prit ses jambes à son cou et se dirigea vers Physisphère, alors que son interlocuteur lui faisait un signe de la main avant qu'elle ne parte. Ses collègues y travaillaient sur un projet qui nécessitait de collecter toutes les données pendant une mort cérébrale, ils auraient sûrement ce qu'elle recherche. En arrivant, Promis leur demanda tous les chiffres, aussi superflus qu'ils puissent être, sur l'organisme humain et de les envoyer à Meta Machina.
Puis elle annonça son idée à ses collègues de sa spécialité. Coder une machine, non, un corps virtuel qu'une IA accepterait comme sien, afin de la tuer et de capter toutes les informations qu'elle pourrait réussir à envoyer. Une petite partie du groupe sortit, se disant que l'inaction les rendrait décidément tous fous. D'autres décidèrent que c'était bien trop bête et trop dingue pour ne pas essayer.
Toutefois, quelqu'un annonça à Promis qu'on ne pouvait pas réellement appeler ça tuer, ni faire mourir. C'était une IA et si en plus on se mettait à l'humaniser, l'éthique de leur travail prendrait une tournure inattendue que personne ici ne voudrait, afin de préserver la liberté d'action.
On décida qu'il faudrait déguiser le décès des IA. Mettre un nom sur ce concept innovant, qui servirait alors d'arme pour un crime impossible.
La proposition était que la mort des IA n'était d'autre qu'une décorporation irréversible d'un produit ressemblant à de la capacité de réflexion. Ou en d'autres termes, la Destruction de la Quintessence Durable et Dérivée de l'Intelligence, ou DQDDI pour faire court.
Le couteau avait un nom, il était l'heure de le forger. Ou plutôt le coder dans ce cas.
Beaucoup d'efforts ont été faits pour coder la première version du DQDDI. Et cela n'avait pas suffit. Bien sûr, on arrive rarement à la première tentative.
On s'était rendu compte à mi-chemin que juste rajouter un corps-machine virtuel à l'IA ne suffisait pas, il a fallu faire une version suffisamment "émotive" pour qu'elle aille de pair avec le programme "corporel".
En revanche, l'IA avait produit de nouvelles données biologiques. Les programmeurs avaient donc bel et bien réussi à faire vivre l'IA pendant quelques minutes, juste avant qu'elle ne décide de s’éjecter dans la poubelle. Les IA préféraient s'auto-détruire elles-mêmes plutôt que de tenter l'expérience simulée de la mort organique.
Ça semblait une bonne piste, ce qui raviva la curiosité des chercheurs. Maintenant, ils avaient faim de découvertes.
Le personnel se mit à rajouter tour à tour un concept relié à la mort biologique, d'augmenter le réalisme du trépas et de rallonger la durée pendant laquelle l'IA était rattachée au corps virtuel.
D'abord, ce fut le fait de savoir qu'on n'est qu'un élément dans une chaîne alimentaire. Le fait de savoir qu'on est condamné à l'avance, car le lendemain on peut se faire "manger" par une maladie, un champignon ou un prédateur. Ç'avait été efficace, mais plus difficile à réaliser que prévu. Il a fallu rajouter tout un biome virtuel, avec ses variables aléatoires.
Un autre proposa de rajouter des paradoxes, pour que l'IA ne puisse pas sortir aussi facilement du programme et s'éjecter dans la poubelle. Simple et efficace. Certains ont grincé les dents, car ils auraient voulu avoir une idée aussi facilement.
Ensuite ce fut le tour des agents tueurs mémétiques. Pas très efficaces contre les intelligences artificielles, mais ça a un peu ralenti l'échappatoire vers l'auto-destruction alors ils les ont laissés.
Et puis tous ceux qui n'avaient rien à faire dans Meta Machina se joignirent au développement du DQDDI, et ont tenté de rajouter quelque chose, que ce soit conséquent ou pas. Dégradation biologique avancée, affaiblissement de la pensée dû à l'âge, regrets de n'avoir rien accompli dans sa vie, espoirs personnels d'une nouvelle vie dans l'hypothétique au-delà, croyances incomplètes en des entités supérieures décidant du sort des défunts ou simplement la panique, l'agonie ou la confusion, le tout sous forme virtuelle.
Les idées fusèrent à nouveau dans le DECES. Tous les moyens étaient bons pour duper l'IA à conserver son corps virtuel condamné et à y rester aussi longtemps que possible. DQDDI ne faisait que grandir comme un ogre monstrueux, alimenté par le travail des programmeurs.
Quelqu'un envoya alors un chariot rempli de café et d'autres boissons pour encourager les chercheurs dans leur lancée, et tout le monde se précipita dessus. Isaïah a failli casser sa tasse adorée "La cuillère n'existe pas." alors qu'elle était bousculée par ses collègues.
Puis ils sont revenus à leur poste, avec plus de ferveur pour coder leurs ajouts à DQDDI. Promis sourit fièrement en dégustant sa boisson. Elle était assez fière d'avoir redonné de la vigueur à Meta Machina à elle seule. Relaxée par le thé, Isaïah se mit à rêvasser debout. Elle imaginait d'abord comment cette nouvelle avancée pourrait changer la perception générale de l'intelligence artificielle.
Dans sa tête, les artificiels seraient perçus comme étant plus… humains, empathiques, et proches de leurs créateurs. Non pas comme maitres et esclaves, mais comme parents et progéniture. Tout à apprendre mutuellement, et encore plus à construire.
Et alors que Promis essayait de se dire qu'elle s'imaginait trop de choses, elle s'aperçut que son nom pourrait être associé aux nouvelles souffrances que les machines pourraient prochainement expérimenter.
Elle commençait à avoir peur que l'intégralité des outils et des androïdes se mettent à la maudire pour les avoir rendu mortels et sensibles aux tourments.
En plus, au lieu de chercher à soigner ces effets comme un bon nombre de ses collègues tentent de le faire, Isaïah a permis l'existence de ce concept dans le seul domaine où on ne pensait pas qu'il existait, tout en ajoutant une possibilité que ces victimes agonisent. C'était quelque chose d'assez sinistre, quand elle y pensait. Est-ce que sa création se retournerait contre elle un jour ?
"Décidément, le moins qu'on puisse dire c'est que cette idée m'a menée bien loin." se dit-elle.
Elle voulut se rassurer en se disant que sa création pourrait aussi abréger les souffrances des automates, mais la peur s'installait déjà dans son cerveau. Promis remonta la chainette autour de son cou, à laquelle était accrochée une clé USB contenant des copies de toutes ses créations. Elle se mit à la reluquer de manière inquiétée.
Et puis, Isaïah s'est remis à travailler aussi mais cette fois, sur un ajout dont elle espérait ne jamais avoir à se servir.
Pendant plusieurs jours, Meta Machina codait, testait la dernière version du DQDDI sur un cube M4-TYR, puis le jetait alors qu'il explosait avec une intensité relative.
Jusqu'au jour où un cube n'explosa pas subitement. Quelqu'un avait alors proposé de coder du spleen1 mais tout le département était bien trop fatigué pour essayer de réaliser un détail comme celui-ci à ce point. Cette fois-ci, juste un panache fin de fumée sortit de là où on devinait être le processeur de l'IA. Et pour la première fois depuis la naissance du DQDDI, le cube renvoya des données autres que biologiques sur un poste de travail dans le département.
L'ordinateur grésilla, et des images commençaient à se charger sur l'écran.
Parmi les images s'affichait un cercle blanc lumineux, entouré par une obscurité rendue irrégulière à coups de corruptions graphiques.
Ils tenaient entre les mains l'image d'une EMI en 140p. Elle ne rendait pas justice à la vision si glorifiée des gens qui avaient eu la prétention de la voir et la décrire, mais on ne va pas cracher sur cette découverte.
Le succès rendit la salle de travail silencieuse de manière inquiétante.
Qu'avaient-ils donc fait ? Ils avaient donné à un être artificiel l'illusion de la vie et d'une âme. Leur victoire était la perte et la douleur d'un autre.
C'était facile de se dire qu'auparavant ce n'était qu'une machine sophistiquée et qu'elle a servi une cause plus grande. Dans leur élan, les scientifiques ont commis ce qui ressemblait tout de même trop à un crime contre-nature.
Des membres du personnel se sont autorisé une larme à la machine défunte, morte en silence et seule.
Quelqu'un fut envoyé pour annoncer la nouvelle à Copiasme. Ça ferait beaucoup de bruit avant de parvenir à Agamemnon.
"Dites, c'est quoi ça ?"
Un programmeur pointa son doigt sur le nom du fichier image.
les_champs-elysees.png
On a photographié la mort.