24 octobre
Sur la partie ouest de la propriété Hubble se trouvait un panneau annonçant fièrement "Terre natale de Gourdon, la Plus Grande Citrouille du Wisconsin, 1969". Derrière se trouvait un champ de citrouilles qui, pendant n'importe quelle autre année, serait rempli de familles cherchant les fruits idéaux pour les transformer en lanternes. On y trouverait plusieurs couleurs de citrouilles, de rouge à orange en passant par le blanc et le bleu.
Mais cette année, en plus de tous ces événements, le champ était rempli de trous autour desquels se trouvaient des citrouilles rouges sang ayant été en cours de collecte, jusqu'à l'étape du brûlis à partir des vignes. Chaque trou contenait au moins un squelette, ce que personne ne pouvait expliquer. Les Hubbles n'étaient pas des tueurs en série. Et s'ils l'étaient, la Fondation n'en avaient aucune idée.
Ceux qui eurent le droit de regarder ce carnage étaient Christopher Hastings et Keith Partridge. Ce dernier buvait dans une bouteille thermos, tremblotant dans l'air frais du matin.
Partridge rangea son téléphone et râla. "Toujours pas de réponse de Hennessy sur ma théorie."
"Elle a des autorisations de sécurité accrochées à elle comme des punaises sur le tableau de liège d'un théoricien du complot," soupira Hastings. "Elle n'a pas vraiment le temps de prendre des requêtes. C'est probablement une des raisons pour lesquelles elle a déclaré le Code Vandal en premier lieu."
Le Dr Malcolm Guillard sortit de l'un des trous. C'était un homme robuste et ses années à creuser la terre et transporter des corps en tant que membre de la division des études forensiques de la Fondation lui ont donné une quantité surprenante de masse musculaire. Il montra aux deux botanistes ce qui ressemblait à un crâne humain. Cependant, la taille des incisives et la boîte crânienne fortement ondulée montrait qu'il n'était certainement pas humain. "Et bien, ça devrait peut-être expliquer le vampire qui fout la ci-trouille."
Partridge grogna à ce jeu de mot. "De un, j'ai fait cette blague l'autre jour. De deux, c'était complètement non professionnel."
"Pas aussi mauvais que ça," Hastings sortit soigneusement le crâne avec les mains et l'éloigna de son visage. Il regarda Partridge et Guillard et commença à parler d'une voix théâtrale. "Hélas, pauvre Edward. Je le connaissais, Jacob, un type infiniment sordide aux écrits les plus divins. Il s'est envolé devant mes yeux mais pour une fois, il s'envole de ma mémoire ! Ici pendent ces lèvres que Bella a embrassé je ne sais combien de f—"
"Hastings," lança Partridge dans un rire. "Arrête ! Je vais cracher mon café !"
Une grande partie de l'équipe forensique à portée de voix s'était appuyée contre le bord de leurs trous et Guillard se mit la main sur le visage. "Très bien, la soirée de comédie est terminée," dit-elle, regardant vers les trous. "Une douzaine de corps. Dieu sait ce que les Hubbles avaient en tête. On ramène la famille au poste de Police à Duluth pour les interroger."
Hastings rendit le crâne à Guillard et sortit son carnet, commençant à dessiner et tracer la position des corps. Il connecta les points en différentes variations et sortit son téléphone. "Bordel. Quelqu'un a le numéro de Reynolds ?"
"Pourquoi ?" demanda Guillard.
"Je pense que ce doit être un genre de cercle d'incantation vue la disposition des corps. Sinclair et lui sont en train d'enfin signer leur déclaration de couple donc je me suis dit que j'allais l'appeler en facetime ou quelque chose comme ça."
"Je l'ai sur mon téléphone," Partridge sortit son téléphone et chercha le numéro de Reynolds. "Comment on fait un appel vidéo là-dessus ?"
"Là," Hastings recula et manipula le téléphone. Une très pénible tonalité plus tard, ils étaient connectés pour voir le visage de Montgomery Reynolds.
"Hastings, content de voir que tu vas bien," commenta le thaumaturgiste. Il se trouvait dans le laboratoire des Études Occultes, une grande bouteille de liquide doré derrière lui. "Katherine va bientôt arriver. Vous êtes au domaine Hubble ?"
"Ouais et on a trouvé des corps. Douze en tout." Il montra son carnet à la caméra du téléphone. "J'ai noté leur position. Est-ce que ça te dit quelque chose ?"
Reynolds plissa les yeux et pointa vers la caméra. "Celui-là, avec une forme de sortie d'électrocardiogramme. Vous ajoutez un treizième point et vous avez un rituel Sarkique Granola pour favoriser une récolte abondante."
"Désolé, Sarkique quoi ?" demanda Hastings.
"Sarkique Granola. C'est une branche valide de la carnomancie Sarkique, mais ça aucun Karciste ne vous le dirait. Elle est apparue de nulle part dans les années soixante, encourageant l'usage du sacrifice humain pour le bien de l'harmonie naturelle— un meilleur rendement agricole, la capacité de communier avec les animaux, ce genre de choses. Enfin, du sacrifice presque humain."
"Est-ce qu'un vampire est qualifié comme presque humain ?" demanda-t-il en mettant le téléphone face au crâne du vampire.
Reynolds siffla. "Ça explique au moins où notre pauvre M. Hubble a eu son infection. Le sacrifice vampirique en carnomancie n'est pas inconnu mais risqué exactement pour cette raison." Il se gratta le menton. "La Fondation enregistre tous les mages connus dans la zone du Nexus qu'elle contrôle pour empêcher toute activité occulte dangereuse parmi eux."
"Mais qu'est-ce qu'un cultiste Sarkique foutait à Sloth's Pit ?" Hastings grimaça. "C'est pas normal."
"On va se pencher là dessus le plus vite possible." Reynolds fronça les sourcils. "Il n'y a que douze corps ?"
"Autant qu'on sache, oui." acquiesça Guillard.
"Il devrait y en avoir treize. Cherchez des signes de déplacement de sol, l'un d'entre eux a dû être déplacé ou enlevé. Une matrice de sort brisée aurait pu créer les citrouilles sanglantes."
"Où est-ce que le treizième point de la matrice devrait être ?"
Reynolds se rapprocha de la caméra. "Si le haut sur ton diagramme est le nord, alors il devrait être vers le point le plus à l'est de la matrice."
"Merci, Monty. Salue Sinclair de ma part quand tu la verras. Oh, et félicitations." Hastings se déconnecta et tendit le téléphone à Partridge.
"De quand datent les corps ?" demanda Partridge.
"Ils doivent facilement venir des années 60 ou un peu plus tôt," Malcolm indiqua les trous. "À part le vampire on en a trois avec des signes de polio, un avec une balle dans la hanche que l'un des gars de la balistique pense dater de la Seconde Guerre Mondiale et un homme avec un anneau de la Classe de 1963 du Mémorial Jackson Sloth."
"Donc des locaux," dit Hastings, se dirigeant vers l'endroit le plus à l'est du champ. Il passa son pied sur la terre et fronca les sourcils. Il gratta le sol du pied et trouva un crâne avec les orbites dirigées vers l'extérieur. "Ouais, il y a quelque chose d'enterré ici." Il s'agenouilla pour examiner le crâne et grogna. "Ah."
"Qu'est-ce qu'il y a ?" demanda Guillard.
Chris souleva délicatement le crâne du sol et éclaira l'intérieur de la mâchoire de sa lampe torche. "Il y a une racine qui pousse dedans." Il le retourna et trouva un pissenlit fané de l'autre côté. "Il n'a… peut-être pas été déterré. Mais plutôt poussé vers la surface par quelque chose."
Guillard tendit à Hastings une plaque de gel et Chris y enfonça les dents du crâne à l'intérieur. "Combien de temps ça va prendre pour avoir un résultat de l'empreinte ?" demanda-t-il.
"Et bien juste en voyant ça, je peux te dire que ça vient d'un homme ayant vécu vers la fin des années cinquante. Probablement tué par un choc à la tête." L'enquêteur indiqua une large fissure sur le dessus du crâne. "Peut-être avec un batte de baseball ou quelque chose du genre."
Chris secoua le crâne et leva un sourcil. On pouvait entendre un petit objet de métal se secouer. Il le pencha en arrière et une clé sortit du trou à sa base. Il l'attrapa et lut l'inscription. "'Clé de la ville de Sloth's Pit, décernée par Clive Carter à Marian Carter, 1969.' C'est bon de savoir que le pistonnage est éternel." grogna-t-il. "Tu disais que c'était un crâne d'homme, n'est-ce pas ?"
"Ça l'est." Guillard se mordit la lèvre et regarda les dents. "Il a une couronne en porcelaine donc on est définitivement sur la fin des années 50. C'est environ à cette période qu'ils ont commencé à utiliser le remplissage aux amalgames. La clé a été placée dans son crâne plus tard." Il prit la clé des mains de Chris. "Plutôt récemment, même. Il y a de la terre encore humide dessus."
Chris se frotta la tête et commença à faire les cents pas. "Mais ça veut dire quoi ? Pourquoi quelqu'un irait déterrer un crâne pour y placer la clé de la ville ?" Le chercheur chuta, le pied coincé dans un trou. "Putain de merde !"
"Du calme, Hastings." dit Partridge en regardant le sol. "On dirait un trou creusé par un animal. Probablement un castor ou quelque chose comme ça. Bouge ton pied."
"Je peux pas," Hastings déglutit. "Il est bloqué. Je—" Il sentit quelque chose serrer sa jambe. "Oh merde, quelque chose m'a attrapé. On-on dirait un serpent."
"Merde, sûrement un trou de joint snake." Guillard sortit un couteau. "Je vais couper la jambe de ton pantalon et on va l'enlever, d'accord ?"
"D-d'accord," dit Hastings en déglutissant. Il grimaça alors que le tissu était enlevé de son pantalon.
Guillard recula? "C'est… pas un serpent."
"Quoi, alors ?" demanda-t-il.
"C'est," hésita Partridge. "C'est une racine. Peut-être des vignes."
"Oh. Merde — " Hastings inspira et tenta d'atteindre son genou, la plante s'enfonçant dans le sol et tirant sa jambe avec elle. Il se sentit tiré vers le bas. "Putain, putain, elle m'a eu, elle me tire." Il enleva sa chemise et se l'enroula autour du visage, tentant de s'accrocher au sol. Au moins il n'avalera pas de terre quand il sera tiré en dessous. Il inspira et grogna. "Merde, je pense qu'elle va me péter la jambe —"
Les deux directeurs de recherche reculèrent et Partridge parla dans son téléphone. "Helen, p-préparez la traque du téléphone du ch-chercheur Christopher Hastings du Site-87."
Chris déglutit, les larmes aux yeux. "Si je ne… si vous ne me trouvez pas, le rapport que j'ai pour toi, Doc— il est sur mon bureau, dans le casier. Force-le si besoin."
"Compris." Partridge déglutit et dit le même mensonge qu'il a dit un nombre incalculable de fois aux autres membres du personnel tombés pendant leur service. "Tout va bien se passer, Hastings."
Chris se sentit tiré d'un seul coup et lança un cri d'exclamation. Sa jambe n'était pas cassée mais au moins une des articulations était disloquée. Il serra les bras autour de lui et prit une grande et profonde inspiration avant d'être tiré vers le bas.
"Bordel de merde," Partridge se frotta le visage. Hastings avait exécuté le protocole à merveille ; la prévention de la suffocation en minimisant la surface superficielle et se protégeant le torse en étant tiré, sans tenter d'être tiré dans l'autre sens et amener d'autres personnes avec lui. Il était malin et il était sûrement parti. "Appelle March. Dis-lui qu'on a besoin de l'équipe Sigma-10 déployée hier."
Christopher Hastings sentit sa peau éraflée par le sol du Wisconsin. Des milliers d'insectes, de rochers et de racines arrachant sa peau petit à petit et il sentit le sang couler lentement dans la terre. Une partie de lui-même était reconnaissante à son vaccin contre le tétanos, mais il fut vite submergé par la douleur.
Ensuite il se sentit tiré encore plus profond par les racines, sous le sol. À cette distance il doutait de la capacité de son téléphone à envoyer un signal. Mais si par miracle il y parvenait, ils arriveraient au moins à retrouver son corps.
La Fondation avait un haut taux de mortalité dans la plupart de ses métiers et la botanique était sûrement sur le podium. Entre s'occuper de fleurs empoisonnées et des arbres prêts à te dévorer, les botanistes pouvaient disparaître comme un mouchoir de papier. Il était des plus appropriés qu'il soit tué par une plante.
Il sentit l'air lui manquer. Sa vision commença à se griser et son corps à devenir lâche. C'était déjà mieux que de se faire manger ou écraser. Plutôt sans douleur. Et d'un coup—
Il se trouva exposé à l'air et prit une grande inspiration, toussant dans des hauts-le-cœur. La racine lui lâcha la jambe et le chercheur tomba sur de la terre, grognant de douleur. Au-dessus de lui se trouvait le plafond d'une grande caverne— il estima la hauteur à une trentaine de mètres et voyait de la lumière sortir d'une fissure au plafond, indiquant qu'il devait être proche de la surface.
Hastings se mit à ramper, ne voulant pas tester l'état de sa jambe. Il ferma les yeux, les forçant à s'adapter à l'obscurité ambiante. Il vit quelque chose le long du plafond de la caverne— une espèce de réseau de racines, probablement les mêmes que celles l'ayant enlevé. Mais la plante en elle-même n'était pas visible.
Chris vit ce sur quoi il était tombé et grogna misérablement. Il avait chuté sur un squelette à moitié enterré avec ses vêtements toujours intacts. La cavité thoracique du squelette était remplie de matière végétale ; des citrouilles fusionnées pour former de faux organes. Les vignes sortaient des plantes qui bougeaient et semblaient respirer ; le 'cœur' et les 'poumons' étant les plus actifs. Chris fouilla le corps, cherchant dans ses poches de pantalon. C'était techniquement manquer de respect à un mort mais il avait besoin de faire quelque chose en attendant de mourir.
Il trouva son portefeuille et regarda dedans. Il contenait trois cent dollars en petites coupures, une carte de membre du "Club de Chasse de Sloth's Pit" (dissous en 1988 à cause d'une explosion ayant détruit leur gîte), un permis de conduire d'un certain Clive Carter et une photographie polaroïd pliée.
"Bonjour, Clive. Je suppose qu'on sait d'où vient la clé." Il regarda les organes. "T'essayais de nous dire où t'étais ?" dit Chris en dépliant la photo représentant quatre hommes debout face à une grande roue, souriant à la caméra. Chris reconnu le plus jeune d'entre eux, Jeffery Hubble Senior. Les trois autres lui étaient inconnus.
De l'autre côté de la photo se trouvait une inscription au stylo :
C. Carter, J. Hubble, R. Gideon, & Z. Allen
26/10/69
Comité d'Organisation de la Foire du Comté de Douglas
Photo de M. Isimeria
Hastings sortit son téléphone et prit le polaroïd en photo ainsi que son dos. Il plaça ensuite le téléphone au sol appuyé contre le squelette et lança l'enregistrement vidéo.
"Si les mots 'confinement ésotérique' ne vous disent rien, arrêtez de regarder." Il s'arrêta et se frotta les yeux. "Je m'appelle Christopher Hastings. Je suis un chercheur à S & C Plastiques à Sloth's Pit, dans le Wisconsin, connu en interne comme le Site-87 de la Fondation. Je suis dans une caverne approximativement… je sais pas, tout en dessous de la Zone Nexus 18, qui comprend la ville de Sloth's Pit dans le Wisconsin."
"Cette grotte semble posséder une structure complexe de racines au plafond, ce qui me fait penser… qu'elle est habitée par une forme d'organisme en vigne fruitière provenant de citrouilles ayant remplacé le système organique de Clive Carter. Attendez." Il récupéra le téléphone. "J'allume ma lampe torche pour avoir une meilleure vue de la caverne."
Il alluma la lampe de la caméra, éclairant le plafond et s'exclama. "Oh mon Dieu."
Au plafond se trouvaient des épouvantails accrochés à l'envers. Ils étaient une quinzaine se déplaçant le long des vignes comme sur une courroie de transport, quelques fois enveloppés de végétaux, sortant avec de nouveaux organes. De nouveaux membres, une tête différente et un chapeau. Le processus était lent et un seul épouvantail prenait une demi-heure pour être terminé. Hastings était content d'avoir une carte mémoire de grande capacité dans son téléphone.
"C'est de là d'où viennent les épouvantails," dit-il dans un déglutissement, baissant la caméra. "Je pense que c'est là où tous les gens de la ville ont été emmenés pour être… convertis. Mais ça n'explique pas pourquoi ils ont commencé—" Il regarda le squelette de Clive, inspectant sa tête. "Des fissures dans le crâne. La mort doit être dûe à un choc à la tête. C'est Hubble qui t'a lancé là-dedans ?" Il toucha les citrouilles palpitantes. "Peut-être qu'il t'utilisait… en tant qu'énergie supplémentaire pour son rituel ? Je…" Chris fit une grimace. "Merde."
Il pointa sa caméra vers le plafond. "Il semblerait que votre hypothèse était exacte, Dr Partridge," dit-il en déglutissant. "Les épouvantails viennent effectivement de matière végétale. Les plantes présentes sur le corps de Clive Carter semblent imiter les fonctions des organes après la mort. Hypothèse actuelle : les organismes végétaux ont poussé le… squelette trouvé sur le terrain des Hubbles, brisant le… sort matriciel et causant l'infection de Jeffery Hubbles." Il déglutit. "Je vais tenter de détruire le remplacement du cœur. Je sais que c'est clairement contraire à la politique de la Fondation mais au point où on en est… ma jambe est disloquée, la moitié de ma peau est en sang et… merde, j'ai plus mon couteau. J'ai dû le perdre en étant tiré ici."
Hastings regarda son téléphone. "Je vais tenter d'utiliser mon téléphone comme d'un instrument contondant pour briser l'enveloppe extérieure du cœur. Cet enregistrement s'arrêtera et continuera probablement… quand je le détruirai. Hastings, terminé."
Il éteignit son téléphone et le saisit dans ses mains. Il pesait à peine moins d'un demi kilo mais tout ce qu'il avait à faire était d'entailler la peau de la citrouille. Ensuite il pourrait appuyer avec ses ongles et l'arracher. Il frappa la citrouille avec son téléphone, créant des anomalies à l'image et des grésillements. Il frappa à nouveau mais l'appareil sembla rebondir. La citrouille avait une peau épaisse et peu importe ce que c'était, il ne se laissait pas faire.
Cependant, on ne rentre pas à la Fondation sans un peu d'ingéniosité. Les coins du téléphone étaient arrondis mais ce n'était pas le cas de la batterie. Il retira la protection en plastique arrière et retira la batterie du téléphone. Les coins étaient assez pointus pour qu'ils puissent passer au travers avec la bonne force appliquée.
Hastings planta le coin de la batterie dans la peau de la citrouille et appuya. Il creusait lentement alors que la caverne commençait à trembler. Le squelette convulsa sans qu'il ne le remarque. Il tourna la batterie pour aller plus loin et commença à voir la pulpe de la citrouille suinter. Soudainement il bloqua sur quelque chose, une enveloppe intérieure plus dure. "Non, bordel de merde," sanglota-t-il. "Putain."
La main du squelette surgit pour attraper celle de Christopher. Le chercheur cria et ferma les yeux, de peur de se la faire arracher. Il s'apprêta à hurler mais il sentit les os tirer sa main vers le bas, directement vers le cœur de la citrouille. La batterie transperça la peau et il la sentit plonger dans la terre dessous.
La main osseuse tomba inerte excepté un doigt qui écrivit un message dans la terre.
MERCI
Elle dessina ensuite un semblant de triangle et s'immobilisa. Toutes les autres citrouilles se flétrirent et Hastings suivit le processus des yeux. Il s'étendait le long des racines, les épouvantails tombant du plafond, faisant trembler la caverne.
Christopher Hastings était épuisé. Il serra le téléphone dans ses mains et se coucha à côté du squelette de Clive Carter. "De rien mon pote," dit-il en fixant un triangle. De son point de vue il réalisa que ce n'était pas un triangle, mais une pyramide. C'était la dernière pensée à lui traverser l'esprit avant de s'endormir.
Christopher Hastings n'avait pas le droit de se réveiller, mais il le devait un jour ou l'autre.
Le chercheur s'était extirpé de la caverne et s'était élancé, non pas au centre de traumatologie du Site-87, mais au récemment réquisitionné Hôpital du Mémorial Saint Francis. En dehors de sa chambre se tenaient le Dr Partridge et le Dr Claude Mattings, tout juste sortis d'une évaluation psychologique.
"Comment vous l'avez trouvé ?" demanda Claude. "Tu disais que son traceur était hors de portée."
"Je sais pas ce qu'il a fait sous terre mais ça a tué toutes les plantes sur le domaine Hubble et a laissé une longue ligne de plantes mortes depuis la caverne où on l'a retrouvé. On dirait que ça a creusé pour créer des centaines de systèmes de racines et quand tout est mort…" il mima un 'pouf'.
"Tu as dit que tu avais quelque chose pour moi ?" demanda Mattings.
Partridge acquiesça, sortant le polaroïd de sa poche. "On a trouvé ça dans les mains de Hastings." Il donna une brève explication du contenu de la vidéo qu'il avait enregistré ainsi que du portefeuille qu'il a trouvé à côté de lui. "J'ai terminé d'envoyer cette information à la liste de diffusion du Site-87 il y a cinquante minutes. On va voir les morceaux qu'on peut assembler."
Mattings examina le polaroïd. "Ouais. Cette grande roue était l'anomalie que Pickman et moi avions rencontré. J'en suis sûr."
Partridge se frotta le visage. "Alors, pour faire court…"
"Hubble est parti en mode Dracula et le corps de Carter repose sous Sloth's Pit, rempli de plantes mortes. Il nous reste Z. Allen et R. Gideon, ainsi que le photographe, M. Isimeria. On connaît même pas leur genre." Il rendit le polaroïd à Partridge. "Pickman… Quelque chose lui est arrivé sur à cause d'une photo qui montrait des preuves de la présence de la Fondation à Sloth's Pit sept ans avant que l'on connaisse officiellement son existence. Quelque chose ne veut pas que nous trouvions ce qu'ils ont fait."
"Tu penses que c'est quelque chose qui vient de la Fondation ?" demanda Partridge.
"Bien sûr que non," rétorqua Mattings. "Si c'était le cas ils n'auraient aucune raison de me laisser vivre. Ils pourraient me faire chuter par accident dans l'aile psychiatrique ou désactiver les freins de ma voiture sur le chemin du boulot." Il regarda dans la chambre de Hastings et soupira. "Bordel, il est sérieusement amoché."
"Il vivra," soupira Partridge. "J'ai enfin pu parler avec Hennessy. On a un rendez-vous demain."
Mattings aquiesça. "Bien. Je vais parler à Reese, pour voir si on peut accélérer les recherches botaniques sur ces citrouilles vampires. Je—" Le téléphone de Mattings se mit à sonner. Il le sortit et sourit. "C'est Cassandra. Ça ne te dérange pas ?" demanda-t-il.
"Je t'en prie," lança Partridge en levant les mains.
Claude répondit au téléphone. "Allo chérie. Ça va ?"
"Claude ?" Cassandra parlait à voix basse. "J'ai besoin— J'ai besoin d'aide. Appelle la force d'intervention."
"Qu'y a-t-il ?" lança-t-il.
"J-Jules a dit qu'elle voulait vérifier quelque chose à Equinox Ridge, et-et elle m'a emmené avec Fred. Quand on est arrivé, o-on s'est fait attaquer. Jules s'est faite avoir, m-mais elle va bien ; on est dans le fourgon."
"Quelque chose vous a attaqué ? Quoi ?"
"C'était un truc n-noir, avec un foulard noir et—"
"Est-ce que ça avait des dents brunes ?" demanda Claude alors que son sang se glaçait.
"Ouais. On aurait dit des feuilles mortes." On entendit un fort bonk à l'autre bout du fil. "Merde ! Fred, est-ce que ce truc peut aller plus vite ?"
Une réponse étouffée se fit entendre.
"Chéri, l-le fourgon va nous lâcher. Je…" Elle déglutit. "Je pense qu'on va devoir courir."
"Je-Je vais t'aider, Cass. Je te le promets." Claude cria à Partridge. "Appelle Sigma-10, tout de suite ! On a des membres du personnel en danger à Equinox Ridge !"
Partridge tapota sur son téléphone et commença une conversation avec Harold March, le commandant de Sigma-10.
Il y eu un énorme bang de l'autre côté du téléphone de Claude. "Bordel de MERDE !" lança une voix dans le fond. Celle d'une femme, Juliette Hobb.
"Tout le côté du fourgon vient de s'enfoncer. Quelque chose essaye de rentrer," chuchota Cassie. "On va courir."
"Tu reviens vers moi." dit Claude en déglutissant. "S'il te plaît."
"Ne t'inquiète pas." dit-elle sans raccrocher. On entendit le son d'une portière s'ouvrir, suivit par un "COUREZ !"
Des centaines de pas et des milliers de minutes semblèrent s'écouler. Le téléphone de Claude était collé à son oreille alors qu'il entendait les bruits de fuite. Les sons du plastique et de l'herbe indiquaient qu'ils se trouvaient à la lisière de la forêt. L'appel se termina.
Claude Mattings se tenait dans le couloir d'un hôpital quasiment vide, paralysé. Le son qui entourait sa vie n'était que celui de l'électrocardiogramme d'un homme bienheureux à peine conscient, bipant au loin dans le noir.