23 octobre
10 h 00
"OK, à trois."
"Un…"
"Deux…"
"Trois !"
Alison Carol trancha les racines retenant le Dr Claire Hennessy alors que Robert Tofflemire attrapa la tête du Département des affaires Multi-Universelles, la soulevant sur son épaule. Il demanda à descendre, "Il nous reste du sel volatil ?"
"Ouais !" confirma Cassandra Pike depuis le fond du Gouffre.
Depuis les douze dernières heures, ils travaillaient sur la récupération des membres du personnel Site-87 bloqués sur les murs du Gouffre Sans Fond. Tout le monde était important à ce moment— mais tout le monde n'avait pas été retiré du mur. Hennessy faisait partie des derniers— Reinhertz fut capable de secourir l'un des frères West et commença à descendre du mur.
"Incroyable…" Claude Mattings fixait le ciel— d'ici, il pouvait voir les étoiles malgré le fait que sa montre indiquait 10 heures du matin. "On est au fond d'un gouffre sans fond."
Robert déposa Hennessy à côté de Pike commença à lui administrer le sel volatil. "Quelqu'un ici se souvient comment il a atterri ici ?"
Montgomery Reynolds leva la main. "Je suis allé dans les quartiers de Pike avec elle et on s'est fait… attaquer par quelque chose. Je me suis senti me faire tirer sous terre, puis—"
"On s'est retrouvé là-haut," confirma Christopher Hastings. "Et si on s'était fait tirer sous terre—" Un sujet où Christopher Hastings avait beaucoup trop d'expérience — "On aurait des lacérations sur tout le corps qui auraient déjà montré des signes d'infection. Donc… plus comme une téléportation bizarre ?"
"Comment tu t'en es sorti, par contre ?" demanda Robert en se grattant la tête. "Je veux dire, je sais que tu es Chris Hastings, le Botaniste de l'Extrême, mais tu étais le seul éveillé lorsqu'on est descendu."
"C'est marrant que tu mentionnes ça." Hastings s'avança vers Robert. "Je me souviens t'avoir entendu hurler à quelque chose en disant que ce n'était qu'un simple paresseux ou quelque chose du genre. Et je me suis réveillé en glissant à travers les vignes. J'ai réussi à attraper quelque chose et descendre tranquillement."
"Eh bien, tout le monde a l'air vivant." lança le Dr Keith Partridge, ayant vraisemblablement de l'expérience depuis son séjour au Guatemala et qui venait tout juste de finir de faire descendre le reste du personnel ; une vraie Mary Churchill. "Maintenant vient la question de comment sortir d'ici…"
Alice regarda les pitons d'un air abattu. "Quelqu'un aurait un petit million de mètres de corde en plus ?"
"Le grimper est impossible pour vous." dit l'Homme-Chèvre en faisant savoir sa présence, mâchant une pipe faite de carcasse d'épis de maïs alors qu'il sortait de la foule. "Je suis immortel et inépuisable. Vous chuteriez vers votre mort avant d'atteindre le premier kilomètre."
Alison soupira. "Donc, soit Jackson Sloth se montre et nous fait creuser jusqu'en Chine…"
"Soit on commence à tirer au sort qui on va manger en premier."
La blague de Robert fut accueillie par un silence dépité.
"Donc, ouais, quelqu'un voit un type habillé comme un clochard se baladant avec une pelle ?"
24 octobre
13 h 00
La plupart des chercheurs s'étaient endormis— quelque chose que Nina Weiss voyait comme un miracle, sachant qu'ils ont tous été assommés pendant au moins la dernière semaine. La directrice du Site restait éveillée, non pas sans l'aide de patchs de caféine.
Alice colla son troisième patch et s'étira avec un bâillement. "OK, donc… de ce qu'on a trouvé, le gouffre est une singularité pataphysique."
"C'est un trou dans le scénario." lança Robert assis face à un feu de camp improvisé, faisant cuire des marshmallows pour faire des s'mores. Il avait amené une quantité déconcertante de biscuits Graham, de chocolat et de marshmallows et était en train de partager son butin avec l'Homme-Chèvre.
"OK, ouais, c'est un trou dans le scénario. Bon…" Alison regarda en l'air. "Je pense qu'on va devoir le remplir. Métaphoriquement parlant."
"Comment ça ?" demanda la Directrice Weiss en observant le gouffre. Ce n'était pas sa première fois ici-bas— mais la dernière fois sa chute était bien moins longue.
Alice posa la main sur son menton. "On a besoin de faire une bonne histoire pour nous sortir de là. Manipuler le Narratif de ce façon à ce qu'on puisse sortir d'ici. Je propose la Technique Bêta-03."
"Donc comment allons-nous sortir d'ici ?" demanda Nina Weiss avant qu'elle et l'Agent Carol se tournèrent vers Robert, ce dernier étant en train de s'empiffrer de s'mores.
"Pourquoi vous me regardez comme ça—" Il cligna des yeux et se souvint soudainement ce que la Technique Bêta-03 signifiait. "Une rotation coordonnée de la tête pour trouver une solution. Habile."
"Rien ne vous vient à l'esprit ?" demanda Weiss.
"Eh bien…" Il se leva et commença à marcher prudemment alors que l'Homme-Chèvre prenait le relai sur la confection des s'mores. "Parmis tous les sites de la Fondation, nous avons le plus faible taux de suicide de l'hémisphère ouest. Cela implique que la ville essaye de garder un sens de légèreté à ce propos. De l'espoir, même. Pourquoi je parle comme ça ?"
"Je sais pas." dit Alison en fronçant les sourcils. "C'est comme si quelqu'un te mettait les mots dans la bouche." Elle commença à parler dans le vide. "C'est un agent qui passe la plupart de son temps sur Reddit, ce n'est pas un chercheur."
Robert cligna rapidement des yeux. "OK, ouais. Humour et corde. Deux choses que le reste de la Fondation n'a vraiment pas en stock. Partout où vous allez les gens disent que c'est la fin du monde tel qu'on le connaît et qu'ils ne se sentent pas bien du tout. Le Site-87 a toujours été différent— Je l'ai remarqué après avoir été transféré de…" Il s'arrêta, se remémorant le Vieil Homme et son ami, toujours dans sa tanière. "Enfin bref. On doit faire quelque chose d'unique au Site-87 pour sortir de ce gouffre."
"Si le mot 'plan farfelu' sort de ta bouche," Alice joua avec son revolver, "Je vais te frapper avec ce pistolet."
"En réalité j'allais juste te demander quelque chose." Robert s'assit à côté d'Alice et lui offrit un s'more. "Quelle est la procédure de la Fondation en cas de piège dans une zone extradimensionnelle ?"
L'Agent Carol prit le s'more. Elle avait du mal à ne pas l'apprécier et se mit à parler la bouche pleine de marshmallow. "Eh bien, pour commencer, on est supposé rester sur place et activer une balise de localisation. Et rationner nos vivres."
"Ils ne disent rien sur le fait de tenter de trouver une sortie, n'est-ce pas ?"
Alice pencha la tête afin de réfléchir. "Ils… ne le disent pas."
"Gagné !" Robert regarda le mur. "Donc c'est ce qu'on va faire. On va essayer de trouver une sortie ici, tout au fond."
"Et remonter un millier de kilomètres ?" lança la Directrice Weiss en se levant, attrapant sa canne. "Sauf votre respect, agent, certains d'entre nous ont de très mauvaises jambes."
"Alors surmonter cela fera une excellente histoire, Directrice." Robert s'avança des murs en les tâtant. "Alice, tu peux me passer une lampe ?"
Les murs du gouffre furent éclairés par deux faisceaux différents— Robert se retourna à temps pour attraper une lampe-torche et commença à inspecter le gigantesque mur. "OK. Quarante mètres de diamètre, à prendre ou à laisser…" Il se retourna. "Tu vas à gauche, je vais à droite ?"
Alice promena son faisceau lumineux autour d'elle. "Comment tu fais ça ?"
Robert la fixa. "Faire quoi ?"
"Rester si… foutrement de bonne humeur ? Même maintenant, tu parles d'espoir et d'essayer de créer une bonne histoire…" Elle soupira et s'appuya contre le mur. "L'année dernière tu as eu de la chance. Tu n'as vu que la surface." Elle regarda le sol. "Tu étais à Duluth et c'était plutôt calme là-bas, hein ?"
"Ah ouais ?" Robert pencha la tête. "Quelqu'un a essayé de TP les appartements pendant la nuit de la farce, mais…"
"Quand j'étais à Superior… l'un des locaux, il a pété un câble." Elle déglutit. "Sa femme s'était faite emporter par les épouvantails. Quand ses enfants ont disparu, on pensait que ce qui avait pris la ville s'était échappé. Puis on a trouvé…" Elle ne put finir sa phrase.
"Merde." Robert se rapprocha d'elle. "Pourquoi tu ne m'as rien dit ?"
"Tout le monde voulait juste… oublier les événements." Alison roula des épaules. "Cette ville… ce site. Ils en ont trop vu ces deux derniers Halloweens. Comment tu tiens le coup ?"
"Parce que je dois le faire." répondit-il en se grattant l'arrière de la tête. "Après que 106 ait eu mes potes, j'ai fait des cauchemars pendant des semaines. C'est à ce moment que j'ai appris pour mon allergie aux amnésiques. J'ai dû vivre avec les mauvais souvenirs, toutes les erreurs, toutes les choses horribles que j'ai vu." Il s'appuya contre le mur. "C'est la raison principale de mon transfert ici. Je devenais vraiment nihiliste."
"Nihiliste ?" Alice leva un sourcil. "Toi ?"
"Ouais ! Je sais, on dirait pas que je sois dans ce délire de… Nietzsche."
"Je devrais te gifler pour cette blague."
Robert ricana. "Je le pense, hein. Avant qu'on ne soit partenaires, j'étais un vrai fataliste. Puis j'ai réalisé que de s'inquiéter sur la fin du monde et de sa propre mort et de l'échec était une perte de temps. Sourire, s'amuser, faire une vanne de temps à autre." Il regarda Alice de côté. "Même si ça veut dire que ton partenaire t'appelle un idiot."
Alison le bouscula du coude et sourit en coin. "T'es un peu bête, aussi."
"On va sortir d'ici." Robert observait la zone.
"Touchons du bois." Alice frappa le mur et rencontra le toc-toc-toc d'une porte. "Attends, qu'est-ce que—"
Les deux agents se regardèrent et commencèrent à creuser la terre. Derrière, ils trouvèrent une porte sale à la peinture écaillée et ornée d'un heurtoir.
"Ça vaut le coup." Alison ouvrit la porte. De l'autre côté, un ciel ensoleillé légèrement couvert apparut et elle se trouva face à un panneau qui lui était familier. Elle se mis à rire. "Oh mon Dieu."
"Quoi ?"
"C'est le porche." lança-t-elle en souriant. "C'est le porche du Manoir Jackson Sloth. Ton foutu panneau y est aussi !" Elle traversa la porte et le sortit du sol, lui montrant les mots 'Gouffre Sans Fond (et danseuses sans haut)'. "Réveille tout le monde, tout de suite."
Robert commença à hurler, secouant les chercheurs. Dehors, il commençait à pleuvoir. Pour tous ceux émergeant de la porte, c'était la meilleure chose qu'ils aient senti depuis des semaines.
Une demi-heure plus tard, il pleuvait toujours. Ryan Melbourne et l'Homme-Chèvre étaient les derniers à sortir, laissant la porte ouverte derrière eux.
"Nous allons devoir mettre à jour la documentation pour 4040, on dirait." dit Melbourne en se grattant le menton. "Fascinant."
"Ouais, super cool, doc." Robert avança vers lui. "Un seul problème : on ne sait toujours rien de nouveau sur le Paresseux du Gouffre."
Un fort hum vint de la porte. Les personnes les plus proches se retournèrent pour voir un homme à l'air grognon dans un costume de soirée, tenant une pelle et s'approchant de la porte. "Vous savez qu'il est impoli de laisser la porte de chez quelqu'un ouverte lorsque vous partez ?"
"C'est Sloth." Alice écarquilla les yeux et couru vers la porte alors qu'il commençait à la fermer. "Attendez !"
Jackson s'arrêta. "Ah, encore vous. Désolé de ne pas être venu, c'était… plutôt rempli."
Robert vint aux côtés d'Alice. "On a besoin de trouver un moyen de vaincre le Paresseux du Gouffre, ou au moins le confiner."
Sloth lui sourit. "J'aime votre caractère. Vous proposez de détruire cette abomination avant de l'enfermer dans une cage." Sloth se tint dans l'encadrement de la porte, déclenchant un halètement de l'assemblée. "Il a besoin d'un point d'orgue approprié afin d'être vaincu. Un plan astucieux, un protagoniste plein de courage. Quelque chose d'excitant. Disparaître dans un feu d'artifice ! Ou bien dans un soupir."
"C'était le meilleur non-conseil que j'ai jamais reçu." lança Alison en levant les yeux au ciel.
"Jeune femme, si je vous avais donné une balle magique et dit 'tirez ça pour tuer le Paresseux du Gouffre', cela aurait-il été une conclusion satisfaisante ?" Sloth leva à son tour les yeux au ciel. "Cela prendrait au moins trois essais ou une bonne supposition et nous n'avons pas le temps pour ces bêtises."
"Mais qu'est-ce qu'on peut faire ?" le pressa Alice.
"À vous de me le dire." Sloth indiqua la foule. "Vous êtes le centre de l'attention, ici."
Alice et Robert se retournèrent et virent que l'entièreté du Site-87 les fixait. La Directrice Weiss hocha la tête d'approbation dans leur direction.
Les deux agents se regardèrent. Ils se retournèrent, mais Sloth avait fermé la porte. Au moment où elle se ferma, le porche tomba de son perchoir instable et commença à s'effondrer dans le gouffre.
"Alors, Gens de Plastique ?" demanda l'Homme-Chèvre en les regardant avec insistance, appuyé sur un bouleau et allumant sa pipe.
Alison Carol et Robert Tofflemire réfléchirent intensément. Une idée commença à se former derrière leur tête.
"Je pense qu'on a quelque chose."
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