Ceux qui risquent leur vie

« Ceux qui ont survécu à Yod | Ceux qui risquent leur vie»


« Le mec s’y croyait trop, tu vois.
- Ouais, je vois le genre. Le beau gosse prétentieux qui pense que toutes les femmes sont à ses pieds, dit le Chef.
- Exactement. Bah un jour, il entre dans mon bureau alors que j’étais au téléphone avec une charmante demoiselle.
- Nan… Toi ? Avec une charmante demoiselle ? »

Le Chef s’esclaffe, vite suivit par le Paresseux. Il n’y a que Demi-portion qui me regarde avec réprobation. La Fouine, quant à lui, reste muet. Je cache une grimace. J’aurais dû la fermer… Comment leur expliquer qu’auparavant, j’étais courtisé par toutes les femmes et tous les hommes du Site Aleph et même au-delà ? Remarque, ils y étaient aussi. Ce Site est tellement grand qu'on connaît pas tout le monde là-bas. J’ouvre la bouche pour leur expliquer quand une tornade rousse jaillit devant nous :

« Bon les gars. On a pas le temps pour vos histoires. Vous vous raconterez le bon vieux temps une prochaine fois.
- Fort bien, la Rouquine.
- Raven ? Qu’est-ce que j’ai dit sur les surnoms ? »

La Rouquine croise les bras et soutient le regard du Chef qui lui fait un sourire narquois :

« Si je me souviens bien, tu as dit que le prochain qui oserait t’appeler par ce surnom ridicule, tu lui arracherais un œil… On va dire que je ne suis plus à ça près. »

Je ris en chœur avec les autres. Je suis soulagé. La Rouquine est une bonne diversion, je n’aurais pas à finir mon histoire.

Elle fusille le Chef du regard :

« Je ne crois pas vous avoir autorisé à me tutoyer, Raven.
- Je ne crois pas vous avoir autorisé à vous accorder le droit d’exiger une telle autorisation, répond-il du tac au tac.
- Parce que j’en ai besoin ?
- Certainement. »

Le Paresseux arrête de rire tandis que la Rouquine s’avance vers le Chef qui est obligé de se lever pour pouvoir la défier. Mais il se passe quoi entre ces deux-là ?

La Rouquine est peut-être jeune, la trentaine à peine, mais c’est une forte tête. Le Chef en est une aussi. Mais j’ai l’impression qu’il y a autre chose.

« Et pourquoi donc ?
- Parce que je suis le Chef. »

Il lui fait un grand sourire sans chaleur. Elle soutient son regard un temps puis baisse les yeux. Je vois un peu de culpabilité dans son regard. Soudain, un cahot fait rebondir le véhicule. Le Chef se rattrape au siège tandis que la Rouquine tombe… Directement dans mes bras. Elle n’est pas du tout mon genre mais elle est tout de même pas trop mal. Et ça fait pas mal de temps que je n’ai pas touché une femme.

Arg, corps de faible.

Elle se relève vite et me fusille du regard. Je lui fais un sourire charmeur. Du moins… Aussi charmeur que je le peux. Elle s’assoit en face du Chef et de moi-même, à côté de la Fouine.

Il y a des agents avec nous. Ils ne sont pas là pour le même objectif que nous. Ils sont là pour récupérer le skip, et accessoirement nous surveiller. Quant à nous… Nous sommes les appâts.

Enfin… Ce n’était pas réellement ce qui était écrit dans l’ordre de mission mais je l’avais compris ainsi :

« Vous devrez repérer les lieux, trouver le skip et l’attirer vers la zone de confinement. »

Oui donc, nous sommes les appâts. La FIM Omicron-13. Le Chef l’avait tout de suite appelée la « Suicide Squad ». J’avais remarqué à ce moment que la Rouquine serait Harley Quinn. Il y avait eu alors un moment de silence où on avait tous plus ou moins imaginé la Rouquine en tenue de Harley, avec la batte, le maquillage foireux et le mini-short. On avait tous fini morts de rire à terre.

Nous sommes à l’essai. Première mission. Apparemment, ils essayent de réintégrer des classes-D anciennement membres de la Fondation au sein des FIM. Des classes-D d’élite en somme.

« Classes-D d’élite… ». J’ai l’impression que dire « merde exquise » sonnerait pareil. On est toujours de la chair à canon. Mais de la chair à canon de luxe. Si la mission est une réussite, ils nous demanderont de former des classes-D. 'fin… De mieux les former que ce qu'ils faisaient avant, c'est-à-dire d'la merde. Ils veulent qu’on leur apprenne à survivre. Vu qu’on a pas la moindre idée de comment on a fait pour tenir jusque là, on se demande bien ce qu’on va leur dire…

J’imagine bien la scène. Des classes-D pleins d’espoir, pensant qu’ils vont apprendre un secret très important. Puis nous, on arrive et on leur dit :

« Survivez. »

La bonne blague. M’enfin… On joue les professionnels pour pouvoir vivre un jour de plus. Si ils découvrent que nous sommes aussi ignorants que les autres, on fera pas bien long feu.

Aujourd’hui, nous avons troqué nos combinaisons oranges pour des uniformes de combat. Nous n’avons pas d’armes, sont pas fous, mais nous avons un gilet pare-balle et un casque.

Je me demande à quoi cela peut bien servir, hormis nous entraver dans nos mouvements.

Dès que le blindé s’arrête, nous sautons hors du véhicule et nous nous débarrassons en chœur de nos casques et de nos gilets pare-balles. Les agents nous regardent faire avec des yeux ronds. Le Chef se la joue professionnel et donne une tape dans le dos de l’un d’entre eux :

« On sait ce qu’on fait, les gars. »

Il ment avec beaucoup d’aisance. C’en est impressionnant.

La Rouquine n’a rien enlevé. Je lève les yeux au ciel. On verra qui râlera lorsqu’elle sera gênée par son casque.


C’est chaud. Beaucoup trop chaud. Je suis caché derrière une maison qui a été à moitié détruite par la créature. Je sais pas où sont les autres…

Ah si, la Fouine court vers moi. Je me redresse puis articule :

« Il est où ?
- Juste derrière moi, putain ! Hurle-t-il.»

Je lève les yeux vers le ciel et je vois une petite étoile derrière lui qui grossit à vue d’œil. En fait, elle ne grossit pas, elle fonce juste vers nous.

Et merde.

Les derniers pans de la maison volent en éclat. Je me baisse et sens un courant d’air au-dessus de ma tête. Ça devait être la queue.

Je me précipite vers la ville basse, tout en priant pour ne pas tomber à cause des pavés inégaux. La Fouine est juste derrière moi.

Alors que je suis forcé de ralentir pour ne pas m’écraser dix mètres plus bas à cause du dénivelé, j’entends un bruit retentissant.

L’église à côté d’un château en ruines, au sommet de la colline… Quelqu’un est en train de faire mumuse avec la cloche.

Je me retourne pour voir comment réagit la créature. L’étoile s’arrête de bouger et vacille. J’entends un craquement. La Fouine est à quelques mètres de moi. Je lui hurle :

« Baisse-toi ! »

J’ai eu raison. La seconde d’après, la créature explose en milliers d’éclats de verre. Je me protège la tête avec les mains.

La cloche arrête de sonner, pour le plus grand plaisir de mes oreilles. La Fouine se relève. Je fais de même. Je suis pas blessé. Je lève les yeux. L’étoile est juste au-dessus de nos têtes, elle attend quelque chose.

Brille, brille, petite étoile…

J’entends des cliquetis. Je me retourne pour voir un pan de verre se former juste à côté de moi. Je reste là, hébété, incapable de réagir.

Quelqu’un se jette sur moi tandis que la Fouine hurle quelque chose que je n’arrive pas à comprendre.

Je suis projeté dans la pente et roule sur plusieurs mètres. Mon corps, endolori, a du mal à s’en remettre. Mon dos est en charpie. Mon visage me fait mal. Je passe ma main dessus, je sens des éclats de verre. Je les enlève en frottant comme un malade, mais il y en a un qui essaye à tout prix de rejoindre l’étoile… En traversant mon crâne. Je le retire juste à temps puis le lâche. Il fuse vers la créature qui reprend peu à peu forme. Ma face est en sang. Ça ne fera que quelques cicatrices de plus. Je me relève tant bien que mal pour voir une chose étrange. Il y a quelqu’un dans la créature. La personne est casquée et tape sur les parois de verre. Merde, c’est la Rouquine. Je comprends de suite que c’est elle qui m’a sauvé. La paroi de verre l’a emprisonnée dans la créature.

Il faudrait un deuxième coup de cloche. Je regarde vers le clocher, mais je ne peux pas distinguer ceux qui sont en haut. Doit y avoir le Paresseux, c’est lui qui a dû avoir l’idée.

La Rouquine retire son casque et frappe avec. Mais c’est insuffisant, elle n’a pas assez de force. La Fouine se rue vers moi et s’exclame :

« Faut la laisser, c’est trop tard pour elle. Barre-toi putain. Pas le temps de jouer les héros ! »

Je reste cependant devant la créature qui se remet de sa… désintégration ? La Rouquine me regarde avec terreur. Ah… Qu’est-ce que je ne ferai pas pour les beaux yeux d’une femme ?

« La Fouine ! Va dans l’église et dis-leur que j’ai besoin d’un autre coup ! »

Il me regarde comme si je venais d’inventer la petite cuillère. Je le regarde sévèrement :

« Vas-y putain !
- Si je crève, Tronche Cass-
- Je sais, tu me tues ! Fonce ! »

Il court vers l’église en contournant la créature qui a fini de se recomposer. La Rouquine ne bouge pas pourtant elle se tourne vers la Fouine. La créature l’a repéré. Merde, il faut que je l’attire.

« Eh ! Gros tas ! »

Je sais pas s’il peut m’entendre, mais il peut voir. Je lui fais de grands signes en espérant que la créature oublie la Fouine.

Ça ne fonctionne pas.

Aux grands maux…

Je fonce vers la Rouquine et me prend la paroi de verre en pleine tronche. Merde, elle était plus proche que je pensais. Je reprends mes esprits et me mets à crisser le verre avec les ongles qui sont, heureusement, longs.

Le bruit me donne la chair de poule. L’étoile frissonne aussi. Elle est sensible à certaines fréquences. Dont celle de la cloche. Je prie pour que la Fouine court vite.

La créature se tourne vers moi et l’étoile s’avance. Je me prends ce qui semble être une patte invisible dans le torse. Mon souffle se coupe, je suis propulsé vers un mur. Le choc est rude. J’ai mal. Je crois bien que j’ai une côte brisée. Ah, et mon diaphragme en a pris un coup aussi. Je me relève péniblement tandis que la Rouquine me regarde, les larmes aux yeux.

La queue détruit le mur, des blocs énormes atterrissent juste à côté de moi alors que je me baisse à nouveau, m’arrachant un cri de douleur. Le moindre mouvement est une véritable torture.

Mais je me relève. Encore. La queue revient à la charge. Je me baisse puis puise dans mes dernières forces pour me jeter sur elle. Je m’accroche de toutes mes forces aux parois lisses. Je glisse. L’étoile scintille et bourdonne, on dirait qu’elle est exaspérée. La queue me propulse en l’air et j’atterris sur le dos de la créature. L’atterrissage me fait horriblement mal mais mû par une volonté plus forte que la souffrance, je m’agrippe à la paroi. La Rouquine… Je sais même pas son prénom et cela m’attriste… ne mérite pas de mourir dans cette fichue créature. L’air va commencer à lui manquer. Elle m’a sauvé la vie. A moi de lui rendre la pareille.

Je rampe jusqu’à la tête de la créature. De ce que je peux imaginer, elle doit ressembler à un petit dinosaure.

« Petit ». Une petite dizaine de mètres. La Rouquine me regarde faire, elle me crie quelque chose mais je ne peux pas l’entendre.

Je continue. Il faut que j’atteigne l’étoile. Il le faut…

Un coup de tête de la créature me déséquilibre. Je m’accroche tant bien que mal, au risque d’en arracher mes ongles. Je me hisse à nouveau sur le dos de la créature puis escalade sa tête.

L’étoile est si proche, je la vois. Elle ressemble à une boule de lumière qui vibre. Une boule d’énergie pure. Je la prends dans ma main.

Je n’ai même pas le temps de sentir la brûlure, la cloche retentit à nouveau. L’étoile ne tient pas le choc une seconde fois. Elle explose.

Une vive lumière. Puis le noir.


« N’empêche, j’ai eu raison pour la cloche.
- C’est bien, Chef. Vous avez eu raison, chef.
- La ferme, la Fouine. N’empêche, je te ferais remarquer que si je n’avais pas été là avec Demi-portion, tu aurais eu l’air bien con à vouloir la faire sonner seul.
- Merci le Paresseux, toujours un plaisir de recevoir ta gratitude. »

Je reprends peu à peu conscience. Curieusement, je n’ai mal nulle part. Je me sens même très bien.

« Grmpf… »

J’entends le Chef rire puis me dire :

« Parle plus clairement, Tronche Cass-
- Ce surnom est inutile maintenant, remarque posément le Paresseux. »

… ?

J’ouvre un œil. Puis deux.

« De quoi vous parlez, les gars ? »

Les trois me regardent avec un grand sourire. Seul Demi-portion tire une tronche de dix pieds de long. La Rouquine n’est pas là. Suis dans une chambre d’hôpital. Je me redresse. Le Chef s’agite. Il semble impatient.

« Ferme les yeux ! S’exclame-t-il. »

J’obéis.

« Maintenant, touche ta tronche. »

J’obtempère. Je sens alors une peau lisse, un nez fin et droit…

« L’étoile avait un pouvoir de régénération, c’est comme ça qu’elle pouvait reconstituer la créature. Et avant de se faire confiner, elle t’a fait contre son gré un petit cadeau. On a réussi notre mission, mec ! »

J’ouvre les yeux pour voir que le Chef a sorti un miroir. Je vois mon reflet.

Contre toute attente, je ne me mets pas à sauter de joie. Je suis même encore plus dégoûté par moi-même. Je ne méritais pas une telle clémence de la part de la vie. Une larme coule sur ma joue aussi parfaite que laide à mes yeux.

« Oh… Il pleure de joie le con ! »

Je ne sais pas si c’est la Fouine, le Chef ou quelqu’un d’autre qui a parlé. Tout devient flou. Je hais encore plus ma tête. Celle qui était cassée était celle que je méritais. Celle-là appartient à un autre. A un sombre crétin.

Je détourne les yeux de cette horreur et croise le regard accablé de Demi-portion. Il me comprend, lui. Je n’ai pas eu le temps de lui en parler mais lui aussi a été touché par le même skip. Je sais alors que c’est mon prochain objectif :

Retrouver Adam, pour lui demander de me redonner l’apparence que je mérite. Celle qui reflète celui que je suis vraiment.

« Ceux qui risquent leur vie | Celle qui observe»

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