Celui qui tente d'écrire l'Histoire

"…Lorsque Rê réalisa tout cela, il invoqua devant lui sa fille Nout et son fils Geb. Tout deux durent répondre de leurs actes.

Geb fut forcé de trouver une femme convenable à son statut de futur chef de la tribu. Nout, elle, se vit donner l'ordre de ne jamais accoucher des suites de son union incestueuse avec Geb. Rê les renvoya, et Nout en profita alors pour fuir la tribu afin de sauver le fruit de ses entrailles.

C'était une tentative desespérée, et cette tentative n'aurait jamais porté ses fruits si, un jour, à la tombée de la nuit, l'homme nommé Adam et sa tribu n'avaient pas croisé le chemin de Nout, à bout de force, sept jours et six nuits après qu'elle ait fui son père. Cette dernière rendit l'âme, mais accoucha de trois enfants. D'abord vint son fils, Osiris, puis les jumelles Isis et Nephtys. La femme d'Adam, Hawwah, fut celle qui aida Nout à accoucher. Dans ses derniers instants, la malheureuse fit promettre à Hawwah de s'occuper des trois enfants comme s'il s'agissait des siens. Adam était bon, et Hawwah était sage. Tout deux tinrent leur promesse devant les yeux de leurs propres enfants, Qayin, Hevel, et enfin le plus jeune qui venait à peine de naitre, Set.

Lorsqu'ils arrivèrent dans la vallée des Deux Arbres, leur périple durait déjà depuis deux fois cinq années. Et tous les enfants avaient bien grandi. En dix et sept ans d'existence, Qayin était devenu plus savant que toute la tribu réunie, et Hevel, du haut de ses quinze ans, dépassait nombre de ses maîtres d'armes. Quant à Set, il se lia d'amitié avec Osiris, tant et si bien qu'on eu pu croire qu'il voyait en lui un quatrième membre de la fratrie. Si l'on eu questionné Osiris, il n'aurait d'ailleurs pas répondu autrement, bien qu'Hevel et Qayin semblaient pour lui être parfois des étrangers. Quant à Isis et Nephtys, elles semblaient soutenir chacune à leur façon leur ainé : Isis était celle qui défendait son frère en public, celle qui haussait la voix face aux moqueries visant son sang, quand Nephtys était celle qui, loin des regards, pansait son frère et savait trouver les bons mots pour apaiser son coeur. Mais de leur rôle dans cette histoire, peu de choses sont connues, sinon une et une seule, et il n'est pas encore venu l'heure d'en parler.

Ainsi passèrent les jours paisibles sous les Deux Arbres. Osiris passait souvent de longues journées avec Set, discutant de tout et de rien. Plus que tout, il aimait admirer les Deux Arbres, et leurs Gardiens, en qui il avait une foi inébranlable.

Un soir, alors qu'il s'égarait une fois de plus seul à proximité des Arbres, il vit le Serpent tenter de proposer quelque chose à Hawwah. Bien qu'il ne comprit pas la nature de l'échange, il sentit quelque chose d'anormal chez le Serpent. Quelque chose qui créait une contradiction profonde avec l'image de Gardien invincible qu'il prétendait être. Ainsi naquit le doute dans le coeur d'Osiris. Et à partir de ce jour il commença, en secret, à observer le Serpent. Et il y vit effectivement quelque chose de dérangé chez le Gardien.

Puis un soir, alors qu'il épiait le Serpent en secret, il le vit retenter le même stratagème qu'il avait déjà proposé à Hawwah, peu avant. Et Qayin se laissa faire. Alors le Serpent posa son énorme tête contre celle de l'ainé d'Adam, et lui, comme l'Arbre de la Connaissance, s'illuminèrent un bref moment. Le visage de Qayin, lui, à partir de ce jour, ne s'illumina jamais plus.

Osiris le vit dépérir, encore et encore, jusqu'à ne plus être que le fantôme de lui-même. Il tenta alors de parler à Set, seul membre de la tribu dont il avait assez confiance, au-delà même de son propre sang, des agissements du Serpent à l'origine du mal de son frère. Mais le cadet d'Adam avait une foi en les Gardiens semblable à celle que son frère adoptif entretenait autrefois et qu'aucun dire n'aurait pu ébranler. Il sembla même s'emporter contre Osiris pour de telles déclarations, tant et si bien qu'ils se fâchèrent.

Puis advint le meurtre d'Hevel par Qayin, et le jugement qui s'ensuivit. Osiris tenta bien de prendre la défense de l'Ainé d'Adam, mais rien n'y fit : Qayin fut marqué et banni, et Osiris décrédibilisé au sein de la tribu. De plus, s'étant ouvertement déclaré comme ennemi du Serpent, il redoutait désormais la vengeance de ce dernier. Pendant cinq jours et cinq nuits il vécu dans la peur, ne dormant que si l'une de ses sœurs le veillait, puis l'impossible fut. Hevel revint des morts, et avec lui, la possibilité pour Qayin de n'être plus banni.

Fâché avec Set, craignant le courroux du Serpent et souhaitant plus que tout voir Qayin de retour parmi les siens, Osiris pris la route avec ses sœurs pour retrouver ce dernier. Il fit ses adieux à Adam et Hawwah, leur promettant un retour rapide, tandis que Set, le cœur lourd et plein de regrets, resta caché dans l'ombre, épiant l'échange.

Pendant des mois ils cherchèrent Qayin. Puis des années. Et chaque jour, la rancœur d'Osiris contre le Serpent et Set se fit plus forte. Et chaque jour, son désir pour ses sœurs se faisait moins silencieux. Puis vint un jour où ils croisèrent les Daevites, avec à leur tête Hevel. Ils abandonnèrent alors leur quête pour rejoindre leur frère, qui les accueillit d'un air sombre. Orisis, cependant, ne fut point surpris : que pouvait-on dire à celui qui était allé et revenu ?

Et ainsi, Osiris, Isis et Nephtys joinrent leurs noms à ceux des Daevites. Dans leurs sombres cités, Daé leur raconta comment leur mère adoptrice, Hawwah, l'Infanticide, avait utilisé la Lame Polie pour massacrer ses sept filles. Face à la tromperie qui soudainement devenait claire à ses yeux, Osiris devint fou de rage. Il y avait eu le Serpent, puis Set, puis Hawwah. Qui étaient donc ces monstres qui l'avaient élevé ?

Il s'abreuva alors des noires magies des Daevites, imité par Isis et Nephtys, avec qui il copula par la suite. De sa couche avec Isis naquit Horus, et de sa couche avec Nephtys, pourtant promise par le passé à Set, naquit Anubis. Anubis s'en alla bien tôt et mystérieusement, laissant Nepthys dans le désarroi, et peu est su à son propos depuis. Horus, lui devint un puissant Daevite, alors que son père s'élevait dans l'Empire, au point d'en obtenir une partie qui devait lui être confiée sous peu.
Mais alors qu'Osiris allait être couronné roi d'une province de l'Empire, il eut vent de l'offensive d'Hevel contre les Deux Arbres.
Aveuglé par sa haine ancienne et nourrie par les noirs desseins de Daé, il chevaucha trois jours et trois nuits vers la Vallée, afin de devancer Hevel, qui désormais se faisait nommer Ab-Leshal, pour être certain d'être celui qui tuerait le Serpent, Hawwah, et Set.
Alors qu'il arrivait à proximité d'un des fleuves de la Vallée, il aperçut Set, seul, et tenta de le tuer, mais ce dernier, d'abord surpris, l'emporta avec lui dans le fleuve, où, dans sa lourde armure, il coula sans pouvoir prononcer un seul des sorts maudits des Daevites.

Son corps fut retrouvé plusieurs semaines plus tard par Nepthys et Isis qui sondaient le fleuve. Elles prièrent Daé de lui confier une des branches de l'Arbre de Vie que cette dernière avait dérobé pour ressusciter ses filles, et cette dernière accepta. Mais la monstruosité qui revint d'entre les morts fit une peur telle à Isis et Nepthys qu'elle tentèrent de le tuer, et, dans le feu et le sang, les deux sœurs ainsi que ce qui était autrefois leur frère moururent.

Seul resta Horus, qui avait mené avec son oncle Hevel l'assaut sur les Deux Arbres. Avec les plus grands des mages Daevites, il avait procédé au Rituel de Scission, étape critique afin de séparer l'esprit, le corps et l'âme d'Hakhama, Gardienne de l'Arbre de Vie, sans quoi toute victoire aurait été impossible. Il vit Daé tuer de ses mains Adam et Hawwah, alors que Ab-Leshal démembrait Qayin, revenu pour aider sa prime tribu. Il vit le Serpent s'enfuir vers la Bibliothèque avec l'Esprit d'Hakhama et quelques branches des deux Arbres qu'il avait pu sauver à une telle vitesse qu'il déchira l'espace et le temps d'une façon si terrible que jamais ces derniers ne s'en remirent. Quant à l'âme d'Hakhama, nul ne su ce qu'il en advint.

De Set, oncle maudit d'Horus, il n'y avait aucune trace. Alors le fils d'Osiris fit éclater sa rage sur le corps d'Hakhama, simple coquille vide désormais, le démembrant totalement, pendant que les mains avides des Daevites s'emparaient des morceaux brillants de la Gardienne. De ce pillage, il ne resta à Horus que l’œil de la Grande Voix, qu'il conserva et étudia longuement à son retour dans l'Empire, où il ne fut accueilli que par le mépris de Daé. La trahison de son père lors de l'assaut ainsi que le carnage causé par la tentative de résurrection ratée menée par ses sœurs n'avaient pas effacé les mérites de la famille, mais n'avaient pas non plus attiré les bonnes grâces sur cette dernière. Aussi Daé tint sa promesse : elle confia à Horus, en l'honneur de son père une province de l'Empire. La pire de toute. Une où l'eau ne tombait jamais, et où, même si un déluge advenait, aucun lac ne pourrait s'étendre ni aucune fleur éclore.

Aussi Horus quitta avec quelques un des siens la capitale de l'Empire pour sa province désolée. Et une fois arrivé et installé au milieu du désert, le Déluge advint. Mais le désert fut bien plus vorace que le Déluge ne pouvait donner, et il absorba toute l'eau qui tomba, ne laissant pour seule cicatrice de ce dernier qu'un immense fleuve le coupant en deux. Une fois le Déluge fini, Horus s'installa sur ses rives, et engendra un fils, qu'il nomma Thot. Il vit à travers l'oeil d'Hakhama, qui accordait la vision pure à celui qui l'utilisait, les attaques de son ancien frère adoptif contre l'Empire, et l'affaiblissement de ce dernier. Aussi il pris la décision de profiter de cela pour fonder sa propre nation.

Et très vite, le mot fut porté à d'autres. Dont Set, qui avait tout vu du massacre des Deux Arbres, et qui depuis nourrissait une haine profonde envers son neveu adoptif. Ce fut alors que Thot eu treize années que Set vint et défia Horus, le blessant à l’œil, tandis que son neveu le blessa au bas ventre, contraignant le Cadet d'Adam à fuir, renonçant à jamais de tuer Horus.

Le jeune Thot, déjà versé dans les arts magiques par son père, fut celui qui implanta l’œil d'Hakhama à la place de l’œil manquant de ce dernier mourant. Depuis très jeune, il avait prouvé ses dons dans les arts magiques. Il avait été de nombreuses fois surpris en train de faire apparaitre des selles dans l'assiette de certains convives étant enfant, ce qui lui valait de grandes réprimandes de la part de son père en public, mais de grandes félicitations en privé. Horus survécut, mais le prix à payer pour obtenir la vision d'Hakhama fut terrible. En cinq autres années, le roi de la contrée nommée Égypte devint fou, puis se suicida. Mais de son règne naquit une période faste pour le pays. Tant et si bien que son œil fut glorifié et considéré comme un véritable porte-bonheur, un bouclier contre le mal.

Thot était depuis devenu bien plus redoutable que son père, tant et si bien qu'il était dit qu'il pouvait se déplacer en un éclair d'un point à l'autre sans avoir à bouger. Il avait tout particulièrement étudié l’œil d'Hakhama et se targuait de pouvoir en savoir désormais plus sur lui que feu son père. Pris de folie, il utilisa l’œil comme nul autre alors ne l'avait fait : lors d'un rituel maudit, il demanda à l’œil de voir le futur. Et il le vit. Et le prix à payer fut terrible.

Nul ne sait ce que vit exactement Thot dans l’œil. Mais il en devint follement effrayé. Il le fit couvrir et sceller dans une pièce sans lumière ni vie. Mais très vite, tous les yeux devinrent l'Œil pour Thot. Alors pour se libérer de cette crainte vint un jour où il fit crever les yeux de chacun des habitants du palais, avant de finir par crever les siens.

A partir de ce jour, Thot alla de mal en pis. Totalement délirant, il déclarait que le futur qu'il avait vu ne pouvait être partagé, et, en dépit de son état, semblait pourtant gagner en puissance. Pas un seul état ne mis en échec l’Égypte, la nation fondée par son père, durant tout son règne. Chacune de ses décisions apportait d'innombrables bénéfices au pays. Mais à quel prix ? Partout où il passait, les yeux étaient crevés. Un jour il déclara avoir un grand besoin de pyramides. Jusqu'alors, personne n'avait vu pareil édifice, que cela soit dans leur complexité d'assemblage ni dans leur forme. Beaucoup murmuraient que le grand Thot devait avoir une raison, mais que s'il ne l'expliquait pas, cela devait être du à ses visions qu'il ne pouvait partager. Que pouvait-il attendre d'une pyramide ? Le salut ?

Et pendant que son état déclinait, ses pouvoirs, eux, se renforçaient. Ainsi il n'était pas rare de voir Thot léviter juste au dessus du sol, dans son palais, errant des heures sans but, se téléportant ici et là. Que cherchait-il, ou faisait-il ? Nul ne le savait.

Parfois, un malheureux voyant s'introduisait dans le palais. Alors Thot se cachait, effrayé par les yeux de l'intrus. Jusqu'à ce qu'il apparaisse derrière lui, là où ses yeux ne le voyait pas, et où il ne pouvait pas voir ses yeux. Il posait alors ses mains soudainement sur les yeux de la victime, cherchant les précieux organes. Si Thot ne trouvait rien, la victime était libre alors de partir. Mais si des yeux il y avait, les mains relâchaient le visage de cette dernière pour se déployer de chaque côté du cou sans pour autant le toucher. Et la magie, d'une simple inversion cinétique, faisait le reste. Quand vint la fin du règne de Thot, on ne comptait plus les malheureux, retrouvés la nuque brisée dans le palais royal.

Un jour, alors que sonnait midi, le roi ordonna le retrait de tous les habitants du Palais Sans Lumière. Tous s'exécutèrent et ne revinrent qu'une fois les cris du roi fou éteints, trois jours et trois nuits plus tard.

Nul ne le vit, aucun voyant n'étant assez fou pour rentrer dans le palais. Mais tous le sentirent. Le sang. Et certaines les touchèrent, lorsque vint la toilette du roi. Ce dernier s'était scarifié, faisant ainsi de son corps un manuscrit des plus étranges. Dans sa folie sanguinaire, ses derniers mots, répétés en boucle jusqu'à sa mort furent qu'il ne pouvait y avoir de vérité dans ce que chacun voyait comme fictif.

Peu de temps après ces évènements, le roi fou fit venir son meilleur scribe, un grec aveugle dont le nom passa dans l'histoire. Avec lui il pratiqua le Rituel de Scission, que son père lui avait enseigné de longues années auparavant. Il sépara son Esprit de son Âme et Corps, et le fit occuper l'être du grec. Ce dernier partit alors loin du royaume, soudainement conscient de ce qui allait se produire dans les jours suivants.

Le roi Thot resta ensuite comme une coquille vide, errant, n'étant plus qu'un réflexe vivant, n'étant plus conscient de ses actes. Il n'était plus qu'un étrange amas de signes sanglants, se téléportant dans le Palais Sans Lumière, n'étant même plus capable de déféquer correctement. Pour beaucoup, c'était l'occasion rêvée d'en finir avec le roi fou.

Alors qu'il avait senti un homme voyant dans le palais sans lumière, loin sous le désert, Thot sentit d'autres présences au moment de porter le coup fatal à l'intrus. Il entendit un sort claquer dans les airs et des flammes jaillir, il senti l'odeur du sang et son corps se raidir. Ainsi fut immobilisé à jamais Thot l'Aveugle, dans sa posture meurtrière, par quelques mages qu'il avait formé.

Ces derniers le condamnèrent dans un sarcophage gravé de mille et unes incantations, censé maintenir le tyran en vie à jamais dans une torture éternelle, qui épousa la forme du roi immobile. Le sarcophage contenant le roi fou fut scellé à même le sol dans le plus profond tombeau du palais, ainsi que l’œil d'Hakhama, que beaucoup savaient responsable de la folie du roi. Ultime offense de ses tortionnaires, ces derniers firent figurer de nombreux Oudjats, symbole de l’œil d'Horus porte bonheur, sur les murs de la salle funéraire. Puis les mages ensevelirent à jamais sous le sable le Palais Sans Lumière, où réside à jamais Thot, roi fou, fils d'Horus, fils d'Osiris, fils de Geb, fils de Rê, qui fit tant de mal aux hommes avant même que Keshpeth ne chevauche avec les Dix Mille."

- Je crois que vous ne comprenez pas. Je vous ai demandé d'ouvrir ce tombeau, untermensch.
- Mais, sidi Messing, ce qu'il y a derrière ne doit absolum-

Le bruit du Walther P38 claqua dans l'immense salle sous le désert. Il ricocha de colonne ancestrale en colonne ancestrale dans un vacarme infini. Le reste des guides et de l'équipe d'exploration eut un mouvement de recul lorsque l'infortuné conteur s'effondra. L'Allemand en uniforme se retourna, et avec lui, son arme.

- Vous avez dix minutes pour ouvrir cette porte et me ramener l'Œil. SCHNELL !

La petite troupe s'exécuta. Très vite la pierre scellant le tombeau céda dans un déluge de poussière et une odeur horrible d'excréments. L'équipe pénétra le lieu, une salle circulaire, au centre duquel se trouvait un sarcophage étrange en plusieurs points.

Tout d'abord, ce dernier avait les bras tendus, et les jambes séparées, chose très inhabituelle. Ensuite, il était non pas couché dos au sol, mais debout. Et surtout, il était enchaîné. Mais les chaînes ne semblaient plus retenir grand chose. Et la poussière provoquée par l'effondrement commençait à faire le tour de la pièce, tant et si bien qu'il était désormais dur de discerner que les murs étaient couverts d'une substance maronnasse dégageant une odeur infâme.

Face au sarcophage, il y avait un petit globe. Ce que cherchait l'allemand. L'un des membres le pris dans ses mains et le confia à l'Allemand, qui, d'un air heureux, le mis dans la sacoche qu'il transportait, avant de quitter les lieux, laissant les locaux commencer le pillage de la tombe. En sortant, il vit l'équipe extérieure déjà prête à reboucher l'entrée pour préserver la tombe entre deux pillages avec une grosse bétonnière située au dessus de la porte improvisée qu'ils avaient aménagée. Il fallait trois jours pour faire l'aller-retour vers la ville la plus proche. Autant éviter d'être un pilleur pillé entre deux aller-retours à l'entrepôt.

L'Allemand monta dans une voiture à proximité, puis s'en alla.

Pendant ce temps au sous-sol, la poussière avait envahi la pièce. Les murs n'étaient plus visibles. Les Oudjats sur ceux ci non plus. À vrai dire, on n'y voyait pas à un mètre. Des millénaires de poussière s'étaient élevés rapidement, et toute l'équipe de pillard marchait avec peu de visibilité dans le tombeau.

Ils ne comprirent pas lorsqu'il entendirent le cliquetis rouillé des chaînes. Ni le premier craquement. Ni le second.

Au troisième, les survivants coururent à la surface. Peu y arrivèrent, mais ceux qui avaient eu l'intelligence de regarder derrière eux où se situait le sarcophage purent revoir le soleil.

Dans la panique, alors que l'équipe d'extérieur tentait de s'enfuir, la bétonnière se renversa au moment opportun, et Thot l'Aveugle fut de nouveau piégé, cette fois-ci dans du béton, par un jour ensoleillé de 1937.


17 août 1979 - Quelque part dans le désert d’Égypte

- Mais où est-elle encore passée ? Annie ? Annie !

Le docteur Franhbe parcourait les fouilles impatiemment, à la recherche de sa fille.

- Je vous jure ces putains de gosses. Si je la reprends à jouer avec cette foutue peinture…

Deux jours plus tôt, c'était des inscriptions antédiluviennes d’œil d'Horus qui y étaient passées. L'expédition entière en voulait au docteur allemand désormais. Quelle idée d'amener sa fille ? Franhbe leur aurait bien rétorqué deux trois mots bien sentis, mais il n'avait pas la force. Oui. Quelle idée, aussi, de voir sa femme déserter quinze ans de vie commune au lendemain d'une expédition pour un foutu pilote d'avion ? Il n'avait pas eu d'autres choix que d'emmener la gamine. Coup de bol, c'était les vacances, pas de soucis avec l'école au moins.

Il vit soudainement la casquette rouge d'Annie sortir d'un petit cratère de sable. Puis sa tête. Pleine de peinture. Il la regarda. Elle le regarda. Et elle su soudainement, du haut de ses huit ans, qu'elle avait fait une connerie. La tête et la casquette rouge disparurent dans le cratère.

- Oh putain. Annie. ANNIE !

Le docteur se précipita vers le cratère, qui semblait plus profond que prévu. Au fond de ce dernier, il y vit Annie, une demie douzaine de bombes de peinture krylon, et… putain mais c'était quoi ça ? Et… cette odeur ? Non, Annie était propre depuis bien longtemps maintenant, cela devait provenir de la terre sous le sable.

- Annie, viens là.

La statue ne semblait pas dater de l'Egypte antique. C'était clairement du béton, tout comme c'était clairement quelque chose fait de la main de l'homme. Sans doute l'œuvre de pillards. Mais pour le savoir, il allait falloir déterrer la statue, qui pour l'heure n'était rien de plus qu'un grand buste. Franhbe posa une main sur l'épaule de sa fille.

- Va me chercher Moktar, tu veux bien ? Qu'il ramène des hommes et des pelles, il doit y avoir un truc là-dessous.

Et plus personne n'entendit jamais parler ni de Moktar, ni de Franhbe, ni d'Annie.


Deux ans après la chute des Terres de l'Eté - Bibliothèque du Vagabond

La voix de Nahash résonna dans le grand hall où il avait intercepté l’inopportun qui avait osé s'introduire dans le saint des saints.

- Tu oses poser un pied ici.
- Même les deux je dirais.

La fureur du Serpent fut perceptible. Il aurait, d'habitude, éparpillé l'intrus aux quatre coins de l'immense pièce, mais cela aurait été inutile le cas échéant.

- Que veux-tu Frémont ?
- La même chose que vous, grand Nahash.

La créature émit un rire guttural.

- J'en doute.

Frémont leva un sourcil. Il posa une main sur une des étagères qui ornaient l'ensemble de la Bibliothèque. Son doigt toucha un livre, puis il reprit.

- Je sais pourquoi vous assemblez tout ces livres. Votre volonté de transformer la Bibliothèque en un nouvel Arbre de la Vie et de la Connaissance est louable. Avec les livres et la connaissance que vous accumulez ici, vous générez l'information. Avec l'Esprit de votre sœur au centre de cet Arbre et les quelques rameaux de l'Arbre de Vie que vous avez pu sauver, vous donnez vie à ladite information. Dites moi, combien de mondes avez-vous généré dans l'espoir de combler les déchirures que vous avez causé en vous enfuyant ? Dans l'espoir de recréer ce que vous avez échoué à défendre ? Dans l'espoir de ne plus être banni par votre mère ? "Ygg Dra Sil" "Arbre Vie Savoir" en S'Kora'Tel, c'est un peu banal, non ?

Le Serpent siffla. L'atmosphère devint menaçante.

- Comment sais-tu pour l'Yggdrasil ? Comment connais-tu la langue du Soleil Blanc et de la Lune Noire ?

- Je suis un homme qui analyse et apprécie ce monde au travers de la critique depuis des millénaires. J'y ai cherché beaucoup de réponses, mais n'ai eu que des questions. Certaines de ces questions étaient des réponses. Certaines des réponses étaient des questions. Et je sais désormais que même vous ne pouvez pas tout savoir. Seule votre sœur aurait pu, en son temps, mais elle n'a pas eu la folie de s'y tenter, et avec raison…

Frémont marqua une pause légère.

- …mais certains l'ont fait. Bien avant la chute du Dévoreur. La lignée maudite d'Osiris a engendré un fol nommé Thot. Il a vu à travers l'œil de votre sœur tout ce qu'il y avait à voir. Passé. Présent. Futur.
- Même s'il l'avait vu, personne, pas même ma mère, ne peut transmettre la Vérité qu'il voit.
- Il y a une phrase que j'apprécie beaucoup. Je la tient d'un être que j'ai rencontré dans un monde qui a évolué bien vite comparé au Tronc. Je trouve qu'elle sied particulièrement bien à la situation. Voulez-vous l'entendre ?
- Faites vite, l'humain. Vous avez épuisé mon calme pour la journée.
- "Les artistes utilisent les mensonges pour dire la vérité". Je pense que Thot a réussi à transmettre la Vérité qu'il a pu voir. Tous les textes parlent d'inscriptions qu'il s'est auto-infligées sur son corps, avant d'effectuer un Rituel de Scission pour sceller son Esprit dans un autre être.
- Venez-en au fait.
- Je pense que ses inscriptions auto-infligées sont la clé d'un code. Et que l'autre être en question, un grec, a écrit une partie du code.
- Une partie ?
- L'homme en question a écrit des textes… plutôt intéressants. J'y trouve beaucoup de références à des évènements réels, mais bien souvent légèrement différents dans le récit par rapport au réel.
- C'est le principe d'une fiction, Frémont. Vous me faites perdre mon temps.

Le Serpent commença à mouvoir son énorme corps pour s'éloigner de l'homme quand ce dernier se mit à crier.

- ET QU'EN EST-IL DE JORMUNGANDR ?

Le Serpent s'arrêta soudainement.

- Qu'as-tu dis, humain ?
- Jörmungandr. Ce nom vous parle ?
- Plus qu'il ne devrait vous parler. Seul mon frère me nommait ainsi, et jamais aucun humain n'usa de ce nom.
- Jusqu'à la décade dernière dans le tronc en tout cas.
- Quoi ?
- Le grec a réalisé un Rituel de Scission avant de mourir vers quelqu'un d'autre. Je pense qu'il tente d'écrire une Vérité à travers une myriade de récits fictifs, en dispensant à chacun des êtres qu'il traverse une part de cette Vérité noyée dans beaucoup de fiction. J'ai perdu la trace au dernier. Mais le dernier en question a entre autre participé à ce qui semble être une base de mythologie. Dans une de ses versions, Jormungandr est un serpent géant voué à détruire le monde. Que dis-tu de cela, Adversaire ?

Le Serpent se figea.

- Tu connais donc les dernières paroles de ma sœur quant à mon avenir. Que veux-tu vraiment l'humain ?
- Je te l'ai dit. La même chose que toi. Quand j'aurais retrouvé Thot et la clé du code, encore faudra-t-il que je déchiffre un code. Et je suis persuadé qu'il se trouve autour de nous.

Frémont désigna les étagères bardées de livres qui cernaient la pièce.

- N'importe lequel de ces livres peut être une partie du code. N'importe lequel des livres peut être une partie du code. En d'autres termes, je sais aussi quelle est la difficulté de ta tâche. Dans tout ces mondes en permanente génération, trouver l'ensemble des écrits produits est impensable si l'on est seul. Même si l'on est l'un des grands quatre. Mais tu n'es pas obligé d'agir seul, Nahash. Je peux trouver du monde pour nous aider, et je sais à quel point tu n'aimes pas avoir à faire avec les hommes. Laisse-moi t'aider à déterminer la Vérité, et à voir comment nous pouvons en tirer profit pour ne plus être Exilés, toi et moi.
- M'aider ? Ah ! Pour devenir quoi, mon assistant ?

Frémont explosa de rire

- L'assistant d'un serpent ? Non merci. C'est horriblement laid comme nom. Trouvons quelque chose de plus poétique. J'avais justement quelque chose en tête.

Le Serpent eu un air curieux. Frémont esquissa un sourire en coin.

- Et si je devenais ta Main ?

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