« Ceux qui ont menti | Celui qui a eu peur »
Ça va aller, mec. Ça va aller…
Bordel non, ça va pas. ‘tain fait chier, j’ai l’impression d’être une fillette d’cinq ans. J’arrive plus à contrôler ma peur.
Avant, j’étais un agent au sang-froid. Certains me surnommaient le Roc. Une armoire à glace d’une centaine de kilos. Un vrai malabar.
C’sûr, faut pas être fin pour être agent. Faut en avoir sous le capot. Et savoir impressionner aussi.
Mais j’y arrive plus. Ça fait pas longtemps que j’suis comme ça. Deux s’maines exactement. Putain de merde, je regarde mon équipe en essayant de rester stoïque et pourtant, je sais qu’ils sentent tous ma peur.
J’ai peur. Et ça fait chier. Ça fait chier d’la ressentir. Encore plus de l’admettre. Estomac noué, sueurs froides, la totale. Vie de merde.
Je fais signe aux membres de la FIM que je commande de se déployer. Certains font le tour de la maison pour entrer par l’arrière. Mon second me regarde. Il a vu ma trouille. Chier.
Je m’agrippe à mon arme. J’essaye de me remémorer les instructions mais mon esprit se barre en couilles. Quand j’essaye de me rappeler le visage de l’humanoïde à capturer, c’est un autre qui le remplace.
Mon demi-frère.
Arrête d’y penser, ‘tain. Respire. Calme-toi. Ne pense plus qu’à ta mission. Juste ta mission.
Mon demi-frère…
Ta mission, bordel.
Je donne le signal. On enfonce la porte. Ceux à l’arrière font de même. Des « RAS » fusent au fur et à mesure que mes hommes investissent les lieux.
Il ne reste plus qu’un lieu. La cave. Je descends, l’œil dans le viseur. A l’affût du moindre mouvement suspect.
Fait quasiment noir. Y a que la lumière qui entre par la porte. Je vois que dalle. Manque de bol, j’ai pas pris les lunettes infra-rouges. Pas de lampe torche non plus.
Quelque chose me frôle. Je me retourne et vise l’intrus. Ce dernier lève les mains. J’ai le doigt sur la gâchette.
Je le reconnais et baisse mon arme. C’est mon second. Cet enculé m’a fait peur.
Dans le noir, j’ai l’impression de voir des ombres se mouvoir, prendre forme et danser devant mes yeux. Mes mains tremblent. Mes doigts sont recroquevillés autour de l’arme. J’arriverai plus jamais à la lâcher. Mon front est en sueurs.
Mon second s’approche de moi et me souffle :
« Va quand même falloir penser à refaire des tests d’aptitude.
- C’pas l’moment, dis-je les dents serrées. »
Il la boucle. De toute manière, je sais qu’il ne pense qu’à une chose, c’est de me piquer ma place. Enculé, va.
La cave est grande. Beaucoup trop grande. Et le reste de mon équipe ne descend pas. Mais qu’est-ce qu’ils foutent ?
Quelque chose d’autre me frôle. Il y a un courant d’air glacé. Je suis certain que c’est l’humanoïde. Je me retourne à nouveau. Il n’y a que mon second. Mais bordel, pourquoi il souffle dans mon cou, celui-là ?
On continue d’avancer. Y a pas une putain de lampe ici ? Je veux juste de la lumière.
Y en a un qui ne la verra plus. Mon demi-frère. Un agent du DSI mort à cause d’un de ces beaux-parleurs du DCD. Ceux-là, je rêve de leur coller une balle en pleine tête. On verra s’ils sourient encore. Ça m’a fait l’effet d’une douche froide. Apprendre que mon demi-frère devenait Classe-D à Yod, puis qu’il y soit mort deux jours après. Quelque chose s’est brisé. Mon demi-frère… me rappelle encore quand on jouait ensemble dans le jardin au cow-boy et à l’indien. Notre mère nous élevait seule. Mon père était un enfoiré. Il avait abandonné ma mère. J’avais pris son nom. Davenport. Quant au père Naurtaud, l’est mort quand mon frère avait deux ans. Dire qu’il comptait m’adopter. Qu’il repose en paix avec son fils, mon frère…
Nous pensions être invincibles. Sa mort m’a détruit. Quelque chose s’est brisé en moi. J’le sais, j’le sens dans mes tripes.
J’sais pas son nom à c’t enfoiré du DCD. Je sais juste qu’il a été capable de foutre en l’air la vie d’un honnête gars. Ma seule consolation est qu’il a certainement dû crever lui-aussi. On reste pas plus de quelques jours à Yod. Cette certitude me permet de continuer à avanc-
Les coups de feu partent d’eux-mêmes. Putain… cet humanoïde commence à me courir sur les nerfs.
Dans le noir, je sens l’odeur du sang. Y a un macchabée. Bordel… La Fonda le voulait vivant. Tant pis. Légitime défense et puis basta.
Les ténèbres commencent à s’éclaircir. Le reste de mon équipe descend. Je leur demande, énervé :
« ‘tain mais vous foutiez quoi, les gars ?
- On a tout fouillé. On a trouvé l’humanoïde. L’était caché dans un placard du grenier. Mission accomplie ! S’exclame joyeusement un agent.
- … »
Mais pourquoi je sens l’odeur du sang ?
Quelqu’un brandit une lampe torche. Je vois ce que j’ai fait.
Bordel, j’ai tué l’enculé.
J’m’y fais pas. Rien que d’y penser, ça me fout les j’tons. Alors, l’accepter…
J’en ai rien à cirer qu’on me foute dans le trou le plus pourri où croupit le plus bâtard des plus dangereux skips.
Mais accepter que j’ai… tué l’un de mes hommes. Même un enculé. Même cet enculé. C’est juste impensable.
On m’a formé pour obéir aux ordres, puis pour commander. On m’a formé pour me battre, pour risquer ma vie.
Mais surtout, la plus importante leçon qu’on devait retenir, c’était qu’on faisait partie d’un tout. D’un groupe. Que nos hommes étaient une sorte d’extension de nous-même. Qu’on devait les maintenir en vie. Au péril de la nôtre.
Et moi, un commandant d’une FIM, d’un putain de groupe. Avec des gars que je connaissais depuis plusieurs années. Après, des années au DSI, des années comme simple garde, réaffecté dans cette FIM. Cette même putain de FIM dont j’ai gravi tous les échelons pour parvenir à sa tête après vingt ans de carrière. Pas une seule défaite, pas une seule bavure. Moi, Agent Davenport, j’ai tué mon second parce que j’ai flippé. Non… Pas flippé… J’ai littéralement chié sur ma mission, ma vie et celle de cet enculé.
Je porterai cette mort sur ma conscience, sur mon âme et sur mon corps, toute ma vie. Aussi courte soit-elle.
C’est… difficile à avaler. Je crois même que je ne l’avalerai jamais. J’ai commis l’irréparable. Les regrets me cernent. Heureusement, je ne regretterai pas bien longtemps. Je veux crever.
Ça fait deux mois maintenant. Deux mois que je survis à c’t Enfer qu’on appelle Yod.
Les premiers jours, je continuais à croire que je pouvais crever vite. Je faisais le pitre, les pires conneries, face aux skips les plus dangereux qui soient. Mais quelqu’un là-haut veut que je crève pas. Du coup, j’ai arrêté. Maintenant, je me contente d’aller faire ma besogne, les épaules voûtées, le regard vide.
Car ce n’est qu’une journée de plus.
Mes compagnons de cellule… Au départ, je voulais les ignorer. J’pensais que j’allais clamser vite du coup, je prenais pas l’temps de me sociabiliser. Déjà que j’étais pas bien bavard au départ, à ce moment-là, j’étais carrément muet.
Mais au fil du temps, j’ai vite compris que j’allais passer le reste de mes jours avec eux. Alors, j’ai commencé à leur parler. Sont sympas. Ils respectent mon intimité et ça me va. De bons gars. Des vrais gaillards. L’un des deux est revenu de la cellule de 023-FR. Avec un œil en moins. Incroyable. Dommage pour sa jolie gueule m’enfin, l’est encore en vie. Survivre à 023-FR… Ça impose le respect.
L’autre, je sais pas trop quoi en dire. Il est là, à fixer le plafond. Lorsqu’il parle, ce n’est jamais pour rien dire. Toujours une parole sage, raisonnée. Ce mec, c’est un moine bouddhiste.
Tout le contraire de celui qui est arrivé après. Un mec avec une tronche dégueulasse comme c’est pas permis. L’a une grande gueule. A chaque fois que j’entends sa voix, j’ai envie de le claquer. Autant dire que j’ai tout le temps envie de le claquer…
Puis un autre est arrivé. Il a une tête de fourbe. Les autres l’ont tout de suite surnommé la Fouine.
N’empêche, ce fut grâce à lui qu’ils ont commencé par se trouver des surnoms et à… parier.
Ils pariaient. Lorsque l’un d’entre nous partait, ils pariaient sur sa mort en portion de purée. Comme j’avais toujours autant envie de crever, je pariais ma portion complète sur la survie du gars car j’étais sûr de perdre. Mais Tronche Cassée m’avait demandé pourquoi je pariais comme ça alors que du coup, j’allais perdre ma portion.
Le Chef lui avait demandé d’aller voir ailleurs si j’y étais. Je l’aime bien lui.
Mais du coup, je ne parie plus qu’une demi-portion que je donne à chaque fois à Tronche Cassée. La purée est immonde, ça lui f’ra les pieds.
Comme chaque jour, je continue à parier ma demi-portion alors que les autres ont arrêté ce p’tit jeu car à chaque fois, la personne rev’nait.
Je me suis du coup retrouvé avec Demi-portion comme surnom.
… Moi ? Demi-portion ? Baraqué comme je suis ? Sérieusement ?
De toute manière, je ne compte pas m’éterniser ici. Je finirai par clamser un jour ou l’autre.
…
Deux mois, putain.
Mais laissez-moi mourir bordel.
« Celui qui a eu peur | Celui qui s'est tué »