Jenkins fulminait.
Ces gens avaient-ils la moindre idée de qui il était et de l'importance capitale de sa mission ? À l'heure qu'il était, Jenkins aurait déjà dû présenter son rapport à ses supérieurs et devrait être en train de participer au démantèlement de cette aberration innommable. Au lieu de ça, il était retenu ici, comme un vulgaire criminel, les mains menottées à sa chaise sous prétexte qu'il "était trop violent pour lui laisser les mains libres". Il leur en ferait bouffer de la violence.
Décidément non, ces gens étaient des ignares et de parfaits abrutis. Et en plus de ça, ils le laissaient poireauter tout seul comme un con dans une salle vide. Probablement à l'observer à travers le miroir sans tain sur sa droite, comme dans n'importe quelle mauvaise série policière. Lui, un scientifique éminemment génial, retenu par quelques demeurés incapables de passer un coup de fil à la bonne personne.
Sa patience parvenue à bout depuis longtemps, et après plusieurs salves d'insultes qui auraient fait revoir leur définition de la vulgarité à la plupart des êtres humains, il interpella une nouvelle fois ses geôliers.
"BON OKAY, BANDE DE SOUS-MERDES, JE VOUS LAISSE TROIS SECONDES POUR RAMENER VOS SALES CULS ICI, SINON C'EST MOI QUI VIENS VOUS LES BOTTER !"
Le silence se fit (pour la première fois depuis longtemps). Puis, alors que Jenkins s'apprêtait à se lever pour éclater ce foutu miroir à grands coups de crâne, la porte s'ouvrit.
Il ne fallut pas deux secondes à l'agent pour détester la personne qui venait d'entrer. Il était assez grand, un peu moins de la quarantaine et portait une chemise. En résumé, ce mec était le parfait connard. L'inconnu lui sourit poliment, ce qui donnait d'autant plus envie à Jenkins de lui éclater la gueule, puis s'installa dans la chaise en face de lui.
"Bonjour Monsieur, je suis-"
"Je me fiche de qui vous êtes ! Libérez-moi immédiatement !
"Je crains que ce ne soit pas possible."
"Que- Écoute-moi bien espèce de petit con, t'as aucune idée d'à quel point je suis important. Je vais te faire virer. Je vais tous vous faire virer. ALORS MAINTENANT ENLEVEZ-MOI CES PUTAINS DE MENOTTES ET RENDEZ-MOI MES AFFAIRES !"
L'autre le fixa quelques secondes, impassible, puis répondit sèchement :
"Non."
"Comment ça non ?"
"Non."
"EST-CE QUE T'AS COMPRIS CE QUE JE VIENS DE TE DIRE, ESPÈCE DE TRIPLE CON ?"
"Monsieur, vous avez été placé en garde à vue."
"JE SAIS MAIS COMME JE ME TUE À VOUS L'EXPLIQUER CALMEMENT, JE FAISAIS MON PUTAIN DE BOULOT !"
"Votre boulot."
"Mon boulot."
"Frapper un jeune requin taureau."
"Oui."
"À mains nues."
"Oui."
"Pendant près de vingt minutes."
"Il était coriace celui-là."
"Dans le bassin du pavillon tropical de l'Océanopolis de Brest."
"Parfaitement."
L'inspecteur de police s'enfonça dans sa chaise, pensif, puis demanda toujours aussi sérieusement :
"Auriez-vous l'amabilité de m'expliquer en quoi consiste votre boulot ?"
"En quoi consiste mon boulot. Je suis du Shark Punching Center, mon gars. C'est très sérieux."
"Et que fait ce « Shark Punching Center » même si j'ai déjà ma petite idée."
"Bon sang, mais t'es un bleu ou quoi ? On vous apprend pas ça ? Le Shark Punching Center est une organisation gouvernementale regroupant les scientifiques les plus brillants de la planète, et dont le but premier est de contrer la menace sélacienne."
"Et on vous apprend à frapper les requins pour ça ?"
"Ça fait partie de la formation oui."
Pour la troisième fois depuis le début de l'interrogatoire, il y eut un long silence.
"Et qu'est-ce qui vous a conduit à molester spécifiquement ce requin plutôt qu'un autre ? L'océan regorge de requins qui ne demandent qu'à être frappés. Je suppose."
"Écoute, si on avait assez de moyens pour tous les frapper, ça se saurait, mais là on est obligés de faire des choix. En l'occurrence, j'étais sur un gros truc : une ancienne religion qui vénère les requins, les « cultes sharkiques ». Ils sont de retour, je ne sais comment. La menace sélacienne n'a jamais été aussi élevée depuis des années. Et ce requin avait des infos clés."
"Le requin avait des infos clés."
"Parfaitement."
"… Donc vous l'avez interrogé ?"
"Exactement."
"Très bien. Et… vous avez récupéré les renseignements que vous cherchiez ?"
"Ouais. C'est pour ça qu'il faut que vous enleviez mes menottes, que j'aille faire mon rapport et que j'aille frapper ces putains d'adorateurs des requins. Dans la bouche."
"Je vois."
"Donc il faut que vous me relâchiez. Maintenant."
"Bien sûr."
"…"
"…"
"T'attends quoi au juste ?"
"Pour être franc, tu devrais ressortir d'ici très bientôt… mais en camisole."
"Pardon ?"
"Les tests indiquent que tu n'as consommé aucune drogue et tu n'as pas un gramme d'alcool dans le sang. J'attends juste l'avis du psy et je te fais envoyer à l'asile."
"Espèce de sombre fils de pute est-ce que t'as la moindre idée de-"
"Vous m'excuserez, étant moi-même une personne très importante et occupée, j'ai beaucoup de choses à faire."
"OH, REVIENS ICI DU CON, J'AI PAS FINI !"
"Je vous souhaite, Monsieur, de passer une très agréable journée," termina l'inspecteur avant de claquer la porte.