Roi dépouillé

"Très bien tout le monde, une dernière chose avant qu'on y aille. Puisque Johansson part en retraite, nous avons un nouveau membre." Le Commandant de FIM Damian Creed scruta les individus autour de la table de briefing. À ce moment avancé de la réunion, plusieurs yeux étaient devenus vitreux. "Voici l'Agent Beatrice Ross. Elle est une thaumatologiste formée au CIETU et spécialisée dans l'évocation, donc avec un peu de chance nous arriverons à en faire plus lorsque nous serons appelés sur quelque chose venant de Trois Portlands."

"Contente d'être ici," dit l'Agent Ross. Elle fit un pas en avant et un hochement de tête confiant en direction de ses nouveaux collègues.

"Ok, pour ceux qui n'ont pas joué à Donjons & Dragons enfants, ça veut dire quoi ?" demanda une voix de l'autre côté de la table.

"Ça veut dire qu'elle est forte pour faire exploser des trucs, Dwyer," répondit Creed. "Missile Magique et tout ce bordel. Boum."

Des yeux pleins d'espoir se tournèrent en direction de Ross. Elle haussa les épaules et rit.

"En fait, le terme technique est Projectile de Force Désincarnée, et je préfère généralement les évocations basées sur l'électricité, mais ouais." Elle sourit à Creed. "Boum."


"Boum…" marmonna Ross. Sa respiration était visible et elle tremblait, à moitié inconsciente, sur le sol du bureau de Gabe Merlo.

Gabe se tenait à quelques dizaines de centimètres. Le comptable en chef du Site-64 s'était détourné de Ross afin de regarder le jeune homme dégingandé avec d'épaisses lunettes qui se tenait derrière lui. Le jeune homme était habillé d'une combinaison de membre du personnel de maintenance ; il pointait un fusil à pompe en direction de Gabe.

"Je ne vous le demanderai pas de nouveau, M. Merlo. Éloignez-vous de l'Agent Ross."

Gabe se tourna pour lui faire face. "J'ai déjà demandé de l'aide. Vous n'avez pas le temps de nous tuer et de vous échapper de cette installation."

"Vous voulez parier ?" dit le jeune homme en arborant un rictus.

"Et l'autre option ?"

"Éloignez-vous. Je finis mon affaire, vous administre des amnésiques de Classe A et ce sera tout."

Gabe marqua une pause. Avec un soupir, il ferma les yeux, hocha la tête et fit un pas de côté. Le rictus de l'homme se transforma en un grand sourire.

"Merci beaucoup," dit-il avant de faire un pas en avant. Son canon se tourna en direction de l'agent immobilisé.

Une tasse de café vola en éclats contre sa tête. Du liquide chaud ébouillanta son visage ; Gabe l'écrasa contre le mur en lui faisant lâcher son fusil à pompe. Gabe lui asséna deux coups de plus avant que le jeune homme le fasse tomber au sol avec un coup de tête.

"Décision audacieuse, M. Merlo." Le jeune homme récupéra son fusil à pompe et visa. "Décision putain d'audacieuse."

L'arme vola de ses mains et s'écrasa avec assez de force dans le mur du fond pour lui faire tirer une cartouche. Le jeune homme la suivit rapidement. Il laissa échapper un bref hurlement terrifié, qui fut rapidement interrompu par le bruit d'os se brisant. Il cracha une gorgée de sang, puis s'écroula au sol en un tas informe.

La bouche de Gabe restait ouverte de terreur. Il se tourna pour regarder Ross, qui s'était redressée, une main gantée tendue en avant ; elle observait le corps du jeune homme à la recherche de signes de mouvement.

"Vous pouvez m'aider, s'il vous plaît ?" coassa-t-elle. Gabe se remit rapidement sur pied et aida Ross à se lever.

"J'ai contacté Sasha," expliqua Gabe. "Ils sont en route. Si nous attendons ici nous devrions être en sécurité-"

"Je finis ça maintenant." Ross se dégagea du support de Gabe et boita en direction de la porte. "Je pense qu'il est temps de rendre une visite à la Dre Morgan."

"Agent Ross, avec tout mon respect, vous n'êtes pas en ét-"

"Je finis ça maintenant !" répliqua Ross. "Je ne la laisserai pas s'échapper. Il y a eu trop de putain de morts, Gabe. Trop d'impasses. Je finis ça maintenant, même si ça me tue ! Si vous essayez de m'arrêter, je vous fusionnerai avec votre putain de chaise de bureau, c'est clair ?"

"Comme du cristal," répondit-il. Ross hocha la tête d'un air satisfait en entendant sa réponse.

Elle fit un geste en direction du fusil à pompe. "Vous savez comment vous servir de ça ?"

Gabe hocha la tête et récupéra l'arme.

"Restez ici et gardez la porte verrouillée," ordonna Ross en sortant son pistolet et en commençant à se diriger en direction du couloir. "Dites à l'Assistante Directeur Merlo et au Directeur Holman ce qui est arrivé et où je suis partie. J'aimerais bien voir comment la Dre Morgan va couvrir ses traces cette fois."


Dre Lindsey Morgan, Comité d'Éthique

"Je te tiens maintenant," marmonna Ross entre ses dents en boitant en direction de la porte du bureau. Elle frissonna et ses dents claquèrent lorsqu'elle attrapa la poignée de porte, qui se révéla verrouillée. "Bien sûr. Évidemment."

Avec un soupir, Ross tint un doigt sur la poignée. Le métal se givra au toucher et vibra sur place avant d'émettre un petit clic mécanique. Elle éloigna ensuite maladroitement sa main en notant qu'elle ne pouvait plus sentir son bras en dessous de son coude.

Elle testa de nouveau la poignée ; lorsque la porte s'ouvrit, un sourire apparut sur son visage. Puis une balle ricocha au-dessus de sa tête, entraînant la disparition de celui-ci. Elle ne prit pas la peine de voir qui lui tirait dessus, boitilla pour traverser l'embrasure et ferma la porte d'un grand coup sec derrière elle. Elle toucha de nouveau la poignée ; le métal grinça et se déforma alors qu'elle bloquait les mécanismes à l'intérieur.

L'Agent Ross éternua, puis regarda la pièce autour d'elle. Celle-ci était vide, à l'exception d'une chaise inoccupée et d'un bureau poussiéreux.

"Bien sûr. Évidemment," se murmura-t-elle une nouvelle fois avant d'approcher du bureau et de s'asseoir dessus en continuant à observer la pièce. Un martèlement bruyant provenait de l'autre côté de la porte que ses assaillants tentaient de franchir. "J'ai l'impression que je n'aurai jamais le fin mot de cette histoire."

"J'apprécierais que vous ne vous asseyez pas ici, Agent Ross," murmura la voix d'une femme âgée dans son oreille. "Je ne viens pas dans votre bureau pour m'asseoir sur le vôtre."

Ross se figea et tourna la tête. Une petite femme avec des cheveux argentés coiffés en un chignon se tenait à ses côtés. Elle était habillée d'un tailleur brun-roux et fronça sévèrement des sourcils en passant des ombres à la lumière de l'éclairage d'urgence.

"Je devrais vous faire exploser le cerveau tout de suite, Dre Morgan." dit d'un air renfrogné Ross en visant de son arme la vieille femme.

"Bien sûr, je vous invite à essayer," dit la Dre Morgan avec un sourire suffisant. "Mais je crains que cela ne se révèle pour vous impossible."

"Qu'est-ce que vous racontez, bordel ?" cria Ross. "Les membres du Comité d'Éthique sont pare-balles ?"

"Très peu. Mais je sais que vous n'allez pas me tirer dessus. Je vous suggère de partir, ma chère. Vous avez déjà enduré beaucoup."

BANG

De la fumée s'éleva du canon du pistolet. Le martèlement contre la porte à l'extérieur s'arrêta, puis reprit avec encore plus de violence. Les yeux de Ross s'écarquillèrent lorsque la Dre Morgan s'évanouit à la seconde à laquelle la balle la toucha.

"Comme je l'ai déjà dit, ma chère," murmura la Dre Morgan à l'oreille de Ross. "C'est impossible."

La Dre Morgan plaça une main sur l'épaule de Ross puis disparut de nouveau ; une vague de froid enveloppa l'agent.

"Toute cette Poussière de Spiritisme était pour vous." Ross attendit que sa cible réapparaisse. "La pièce entière en est remplie, n'est-ce pas ?"

"J'ai un bon ami qui a créé pour moi un ensemble spécial qui vaporise en aérosol une mixture de cette Poussière mélangée à mes restes," dit au loin la Dre Morgan derrière Ross. "Seule une molécule de chaque est nécessaire pour obtenir l'effet désiré. Je suis un meuble permanent de cette pièce, désormais. Une partie permanente du Site-64."

"Servir la Fondation ad infinitum," commenta Ross. "L'immortalité. Mais pourquoi ?"

"La Fondation peut faire de nombreuses choses. Mais même elle ne peut soigner un cancer bronchique à petites cellules."

La Dre Morgan apparut ensuite devant Ross, passant de nouveau des ténèbres à la lumière de l'éclairage d'urgence. Un sourire mélancolique dominait son visage.

"Je fais partie du Comité d'Éthique du Site-64 depuis l'époque du Directeur White," continua-t-elle. "J'ai aidé à façonner cet endroit. J'ai sacrifié tellement pour m'assurer que cet endroit ne se détruise pas lui-même. Mais les choses sont encore bien trop précaires."

"Vous avez essayé d'assassiner l'Agent Creed ainsi que moi-même, Dre Morgan," répondit Ross. "Une pile de cadavres a été laissée dans votre sillage. Pourquoi empêcher votre mort est plus important que toutes ces vies ?"

"Mieux vaut une poignée de sacrifices ici qu'une guerre totale avec Trois Portlands. C'est ce qui arrivera sans une main expérimentée aux commandes. Sans un bienfaiteur pour tirer les ficelles. C'est arrivé avec la Bibliothèque, et cela arrivera également ici, soyez-en sûre."

Les coups contre la porte s'arrêtèrent et furent remplacés par le son de coups de feu et de cris. Ross secoua la tête.

"Tout le monde meurt, Dre Morgan. Même vous."

Ross leva une main. Une orbe de lumière violette et rose apparut et commença à lentement croître alors que l'agent la plaçait sur le bureau avec précaution. Des arcs électriques partaient de sa surface en expansion vers l'extérieur avant de replonger en son sein. Elle se déplaça lentement en direction d'un coin de la pièce en grimaçant alors qu'une épaisse couche de givre commençait à s'accumuler.

"Qu'est-ce que c'est ?" demanda la Dre Morgan. Ses yeux s'écarquillèrent alors que l'orbe grossissait jusqu'à la taille d'un ballon de basket.

"Du plasma thaumatologique," grogna Ross, sa paume toujours tendue en direction de l'orbe rayonnante. "Ça vaporisera tout dans cette pièce."

"Vous employez des mesures désespérées, ma chère," gloussa la Dre Morgan. "Ce genre de sort va vous tuer dans l'état dans lequel vous êtes."

"P-Peut-être, même si je suis presque sûre que je peux me protéger," dit Ross en claquant des dents, "m-mais dans tous les c-cas, ça détruira sans aucun doute également chaque m-molécule de vous."

L'orbe vacilla en avant, engloutissant le bureau. La Dre Morgan resta bouche bée.

"Arrêtez," cria-t-elle en se précipitant aux côtés de Ross.

La Dre Morgan s'agrippa à la thaumatologiste, disparut et réapparut de l'autre côté de la pièce. Ross tressaillit lorsque la vague de froid frappa de nouveau son corps. Vague après vague, le fantôme du Dre Morgan s'écrasa contre Ross, la faisant tomber à genoux. Celle-ci laissa échapper un faible sourire, laissa tomber sa main ; dans le même temps, son corps s'écrasa au sol. Il y eut un grand éclat de lumière et une bourrasque de vent. L'orbe explosa, frappa l'entièreté de la pièce et disparut. Le mobilier de la pièce fut réduit à de la poussière fumante, laissant une Ross carbonisée en tas au sol rire en tentant de respirer.

"J'ai toujours voulu… tenter ce sort…" dit Ross en levant les yeux pour voir la Dre Morgan s'estomper.

La porte du bureau s'ouvrit ensuite brusquement ; des agents de Tau-51 se déversèrent à l'intérieur et trouvèrent leur commandant intérimaire tombant dans l'inconscience à la suite du lancement de son sort.

"Salut les gars," murmura l'Agent Ross. "Contente de vous voir."


Le son d'équipements médicaux constituait une piètre alarme ; les bruits métalliques et le goutte-à-goutte des divers gadgets et bidules garantissaient une mauvaise humeur au réveil. En ouvrant les yeux, l'Agent Beatrice Ross fronça des sourcils et regarda la pièce autour d'elle. Assis au pied de son lit, lisant un petit livre de poche, se tenait un homme élancé avec de courts cheveux blonds et une barbe taillée.

"Salut Creed," marmonna-t-elle. "Tu t'es finalement pointé. Je pensais que t'allais manquer toute la fête."

Creed se tourna dans sa direction et sourit.

"Le truc étonnant quand tu te fais tirer dessus plein de fois," répondit-il. "C'est qu'ils ont tendance à ne pas te laisser quitter l'hôpital tout de suite. Comment tu te sens ? Tu m'as un peu fait peur sur ce coup. J'ai cru qu'on allait devoir aller chercher Annabelle."

"Comme de la merde," dit-elle avec un petit rictus. "Je ne sens pas mes pieds et mes mains. Et j'ai du mal à respirer."

"Les engelures de tes évocations ont fini par t'avoir, Bea," répondit-il avec un froncement de sourcils. "Ils ont dû t'amputer ta jambe droite au genou et ton bras gauche au coude. Ils ont réussi à sauver ton bras droit et ta jambe gauche, mais ils ne vont pas fonctionner normalement pendant un moment."

Ross ferma les yeux et soupira. Creed plaça une main sur son épaule.

"Bea, je suis tellement, tellement désolé," dit-il doucement. "J'aurais dû être là. Cela n'aurait pas dû arriver. On peut faire beaucoup de choses avec les prothèses de nos jours, on te remettra comme neuve. C'est un combat qui sera dur, mais ça ne t'a jamais arrêté-"

Ross tendit une main enveloppée de bandages en direction de la sienne et la tint ; elle secoua la tête et lui fit un sourire triste, alors que des larmes coulaient de ses yeux.

"Ce n'est pas comme si je ne savais pas ce que je faisais," dit-elle. "J'ai simplement fini par perdre le contrôle. Pas ta faute, Damian."

Les yeux de Creed se remplirent de larmes alors qu'il lui rendait son sourire, avant de rire brièvement.

"Qu'est-ce qu'on va faire de toi ?" demanda-t-il. "Je peux pas te laisser sans surveillance une minute, hein ?"

Elle secoua la tête.

"Hé mec, j'ai résolu l'affaire," répondit-elle.

"Mais à quel prix ?"

"Un bras et une jambe."

Puis le sourire de Ross s'estompa et elle ferma les yeux. Elle resserra son étreinte sur la main de Creed et pencha sa joue dans sa direction.

"Je suis tellement fier de toi," murmura-t-il en serrant légèrement la main en retour.

"J'espère bien. Tu peux être sûr que t'en entendras parler jusqu'à la fin des temps."


L'Assistante Directeur Merlo et le Directeur Holman étaient assis en silence dans le bureau du second et récupéraient après une audition par les Affaires Internes. Des doigts avaient pointé. Des noms traînés dans la boue. Mais en fin de compte, il semblait que tous deux fussent tirés d'affaire. Pour le moment, du moins. Davantage d'auditions et d'enquêtes étaient prévues pour un futur proche.

"Ça aurait pu être bien pire, Ed," dit Merlo. "On a eu de la chance que Ross ait réussi à arriver à la racine du problème quand elle s'y est confrontée."

"Nous avons fait fondre la partie émergée de l'iceberg et n'avons désormais aucune idée d'où le reste de la glace est partie, Sasha," soupira Holman. "La Dre Morgan a eu besoin d'une très grande quantité d'aide pour arriver aussi loin sans être remarquée, et jusqu'à maintenant, personne n'a refait surface. Je n'aime pas l'idée que ce genre de questions en suspens soient laissées se métastaser tranquillement."

"Je ne l'aime pas non plus," répondit Merlo, "mais il n'y a plus rien que l'on puisse faire maintenant à part rester vigilants. Ils ne peuvent pas couvrir leurs traces pour toujours, et maintenant ils sont dispersés et sans chef. Un jour, l'un d'entre eux va commettre une erreur de nouveau. Avec un peu de chance, nous serons mieux préparés pour les éliminer quand ça arrivera."

Holman acquiesça.

"Depuis quand es-tu si optimiste ?" demanda-t-il.

"Depuis quand es-tu si déprimant ?" répondit-elle avec un sourire. Puis elle soupira, se leva et récupéra une pile de paperasses en se dirigeant en direction de la porte. "Tu penses que si elles savaient la quantité de travail qu'elles créent de notre côté, les FIM seraient un peu plus prudentes ?"

"Cela t'a-t-il déjà arrêté lorsque tu dirigeais Gamma-13 ?" répondit Holman avec un rictus de son cru.

"Touché." dit Merlo en gloussant. "Je suppose que le karma m'a enfin rattrapé."


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