Il est une légende que peu ont pu voir contée
Car ceux qui la connaissaient l'ont délaissée.
Pourtant, elle fut à l'origine de nos rois
Et de l'amour du peuple et des fées.
Il y a fort longtemps, vivait un enfant,
Mal aimé, souvent délaissé.
Il décida de rire et, s'il était bien faible
Il savait qu'il pouvait marcher.
Il n'était pas admirable, ni même exemplaire.
S'il ne volait pas sa pitance, il n'était guère talentueux.
C'était comme un mendiant qui traversait le pays
Cherchant à donner le sourire aux autres.
Ceux qui le croisèrent s'en souvinrent longtemps,
Toujours au bon endroit, au bon moment.
Pour que même après des années,
On puisse rire de lui ou de son action.
Un jour, il a disparu, et personne ne le remarqua.
Son visage n'a jamais été retenu.
Seul son sourire en coin et son œil brillant
Furent rapportés tels des légendes.
En hiver, il se faisait rare.
Mais sitôt la neige fondue et la première fleur éclose
Il réapparaissait, on eut dit le fils de Yarilo.
On oublia qu'il était mortel.
Un voyageur aurait trouvé sa caverne.
Un squelette y demeurait.
Mais, figé par le givre,
Son sourire était resté là.
Douce femme, j'ai attendu l'automne
Sous la chaleur du soleil.
J'ai souffert de ne pouvoir que briser mon dos
En attendant de pouvoir te retrouver.
Belle amie, j'ai attendu l'hiver,
Cueillant les derniers fruits, récupérant les dernières pousses.
J'ai pleuré mon père mort aux champs
Voulant t'épargner ce destin.
Chère dame, j'ai serré les dents
dans le froid où même le feu cherche à se réchauffer.
Il a peur de ce que lui ferait les dieux
Car son existence les défie.
mais quand j'ai vu ces belles feuilles,
J'ai couru sur la montagne,
J'ai chassé les bêtes
Pour t'apporter cette fleur.
Ouste, ouste, fourbes Hali !
Quittez ma maison, avant que ne s'éveille
Le Domovoï qui sommeille.
Il vous briserait, mais moi, je vous aime !
Partez, car il est mon ami
Et je ne vous protégerai pas de lui.
Les vents sombres savent effrayer
mais passez une nuit avec elles
Et vous saurez que la peur peut être salvatrice, parfois belle.
Ne soyez pas le favori de ces jolies
Ou elles demanderont toujours plus.
Une récolte prospère en récompense ne suffit pas,
Ces démones seront toujours ingrates.
Ne les hérissez pas, traitez-les comme des enfants.
Ne les aimez pas dans vos étreintes,
Elles deviendraient encore plus capricieuses.
Dès qu'arrive la belle saison, apprenez-leur à danser.
Faites-en vos filles et, pour vos familles
Vous aurez un beau futur.
Venez, venez, douces Hali
En ma maison alors que s'éteint le feu.
Hier vous avez mené le blizzard,
Mangé les chevaux.
Moi et mon ami le Domovoï
Ferons de vous de dociles filles.
Yarilo et la tisseuse
Il était une fois, sur les terres du royaume des morts, Yarilo. Yarilo voulut un jour ne plus mourir. Il voulait fouler la terre et revoir la froide saison. Ne plus avoir à fuir face à sa sœur. Il alla voir son père.
"Père, n'y-a-t-il pas un moyen de briser le cycle ? Je suis las de ne régner que sept mois."
"Eh bien, va trouver le forgeron. Il saura sûrement quoi faire."
Yarilo sella son cheval, passa le pied à l'étrier, puis se rendit chez le forgeron.
"Hé, là, mon ami, je cherche un moyen de ne plus mourir, et on m'a dit que tu savais comment t'y prendre."
"Seigneur, toute chose doit mourir un jour, et sous votre règne vient le renouveau. C'est parce qu'ils savent que vous reviendrez que les hommes patientent durant l'hiver. C'est parce qu'ils savent que vous arrivez que les bandits et les hali se terrent à la fonte des neiges."
Yarilo y pensa, mais il était jeune, et il était un dieu égoïste.
"Forgeron, je veux ne plus mourir. Je veux choisir quand délaisser les hommes plutôt que d'y être contraint. Peux-tu m'y aider ?"
"Hélas, seigneur, votre mort sera sûrement bien plus solide que mes lames. Mais je peux vous faire une porte d'acier. Vous pourrez alors enfermer votre mort derrière."
La porte achevée, Yarilo ne savait où aller.
"Mon ami, si tu ne peux m'aider davantage, peux-tu m'indiquer le chemin ?"
"Bien sûr. Allez trouver le conteur. Il a déjà fait bien des morts."
Il sella son cheval, passa le pied à l'étrier, prit la porte, et se rendit chez le conteur.
"Hé, là, mon ami, je souhaite ne plus mourir, et on m'a dit que tu savais comment t'y prendre."
"Seigneur, si le renouveau que vous êtes cesse de mourir, comment pourrait-il revenir ? Les fleurs seraient-elles toujours écloses ? Mais qu'offrirons-nous à nos femmes et à nos filles s'il n'y a plus de rareté ?"
Yarilo y pensa, mais il était jeune, et il était un dieu égoïste.
"Conteur, je veux ne plus mourir. Et les hommes verront mieux les autres beautés du monde si c'était le cas. Je rends service à mes frères et mes sœurs en fuyant la mort. Peux-tu m'y aider ?"
"Hélas, seigneur, votre mort sera sûrement bien plus secrète que mes contes. Mais je peux lui écrire une histoire pour qu'elle soit divertie et vous laisse en paix."
L'histoire achevée, Yarilo ne savait où aller.
"Mon ami, si tu ne peux m'aider davantage, peux-tu m'indiquer le chemin ?"
"Bien sûr, allez trouver le palefrenier. Il saura sûrement comment trouver votre mort."
Yarilo sella son cheval, passa le pied à l'étrier, prit la porte, prit l'histoire et se rendit chez le palefrenier.
"Hé, là, mon ami, je souhaite ne plus mourir, et on m'a dit que tu savais comment t'y prendre."
"Seigneur, n'êtres vous pas déjà satisfait que de pouvoir renaître ? Les hommes vous aiment car, comme eux, vous connaissez une fin. Voulez-vous vraiment les laisser seuls avec le fardeau de leur destinée ?"
Yarilo y pensa, mais il était jeune, et il était un dieu égoïste.
"Palefrenier, je veux ne plus mourir, comme les autres dieux. Et puis, j'apporterai tant de bienfaits que la solitude ne leur pèsera plus. Peux-tu m'y aider ?"
"Hélas, seigneur, votre mort sera sûrement plus rapide que mes chevaux. Mais je peux entraîner l'un d'eux pour qu'il la poursuive et la chasse loin de vous."
Le cheval entraîné, Yarilo ne savait où aller.
"Mon ami, si tu ne peux m'aider davantage, peux-tu m'indiquer le chemin ?"
"Bien sûr, allez trouver la tisseuse. Elle se cache mais elle a avec elle bien des morts."
Yarilo sella son cheval, passa le pied à l'étrier, prit la porte, prit l'histoire, prit le cheval et se rendit chez la tisseuse.
Il vit une maison toute cassée, alors il héla :
"Hé, là, mon amie, je cherche un moyen de ne plus mourir, et on m'a dit que tu savais comment t'y prendre."
"Seigneur," dit-elle d'une petite voix, "la mort est le lot de tous et la vôtre est déjà bien plus douce. Pourquoi vous ferai-je ce mal que de vous la retirer ? En l'éloignant, vous profiterez de ces années, mais elle reviendra. Et cette fois elle ne vous laissera pas vous échapper."
Yarilo y pensa, mais il était jeune, et il était un dieu égoïste.
"Tisseuse, je veux ne plus mourir, je suis un dieu, qu'elle vienne, je l'affronterai. Peux-tu m'aider ?"
"Certainement, seigneur, mais j'exige en présent ce qui vous a été donné."
Sans réfléchir, Yarilo lui donna la porte, l'histoire et le cheval. La tisseuse, satisfaite, lui retira sa chemise.
"Voilà ta mort, celle qui t'enveloppait quand venaient les jours de l'hiver et de l'automne. Je la jetterai sur la terre, et elle te cherchera quand il lui faudra un corps pour la réchauffer. Alors réchauffe la terre si tu veux lui échapper."
Yarilo ne fut pas inquiété. Il remercia la tisseuse et se rendit sur la terre. Mais c'était pendant un hiver très froid. Et sa sœur, Morana, au courant de l'histoire, ne le laissa pas réchauffer la terre. Il s'épuisa tant à fuir et à briller que, lorsque ses mois furent venus, il n'eut pas la force de faire fleurir les champs et de rendre leurs feuilles aux forêts. Et les hommes le prièrent de revenir. Mais il ne comprenait pas.
"Mes enfants, je suis là !"
Mais personne ne le crut. Morana régna des années durant. Les autres dieux, voyant leurs enfants souffrir, furent courroucés.
"Yarilo, pourquoi les as-tu abandonnés ?"
"Mais je voulais ne plus mourir !"
"Tu es fou. Nous avons ramené ta mort. Porte-la et reviens-nous lorsque ce sera ton temps !"
Yarilo voulut se battre, mais il n'avait plus de force, alors il trépassa.
Lorsque Yarilo revint sur la terre, il était devenu plus sage. Et n'était certainement plus si jeune.
À chaque printemps, il revint, et fut aimé des hommes comme un mortel.
Dame de l'hiver, dame de la mort,
Jette son manteau et, s'il est taché de sang,
S'en retourne en ses contrées lorsque vient son frère.
Elle connaît chaque secret, et elle n'est plus rancunière.
Peut-être qu'elle voudrait l'aimer encore.
Mais savoir de quelle étoffe est faite le monde
A étouffé son amour du renouveau.
Elle a sûrement oublié comment le faire.
Elle s'en serait souvenu si elle avait été plus aimable.
Mais elle a préféré se faire l'ennemie de la vie.
Pauvre femme qui a vieilli trop vite.
Tu ne sais où aller ni que faire.
Alors tu es partout et tu surveilles
mais parfois sur tes traces tu sèmes
Les réponses et les chemins
Vers les bienfaits que tu transportes.
Les cris se faisaient entendre hors de la masure.
Les femmes s'étaient rassemblées.
C'était la huitième fois
Et tous craignaient une autre mort.
Son aîné avait vu le jour.
Mais, né en plein hiver,
Il s'était éteint avec le feu
Laissant des larmes gelées.
Son deuxième était mort
Avant que son ventre ne s'arrondisse.
Elle s'était sentie mourir
Et le mort avait quitté son corps.
Cela s'était répété encore quelques fois
Si bien qu'on crut ses entrailles stériles.
Mais c'étaient bien ses yeux
Qui s'étaient asséchées.
Alors, quand elle sentit le sang couler
Elle ne voulut plus vivre
Et se laissa partir.
Et les sages femmes portèrent la frêle vie
Hors de son être.
Et les derniers sons qu'elle entendit
Furent les cris
De cet enfant de la belle saison.
Et la dernière pensée de sa vie
Fut le regret de l'abandon.