— Fixe le thermoconducteur à supra-conduction conductrice avec le bidule qui clignote. Non, pas comme ça mon amour ! Si tu le branches pas au truc qui clignote en bleu, ça explose !
— Ici ?
— Non malheureuse ! Ça clignote en cyan ! C'est pourtant évident non ?
De quoi parlaient-ils ? Que disaient-ils ? C'est ce que se demandait Nicolas. À 4 ans, il ne comprenait pas grand-chose à ce que ses parents disaient ou faisaient. Ils prenaient des bidules, des trucs, et en faisaient des choses. Son père Ilhan et sa mère Lucie étaient dans leur grand garage. Avec la place pour y contenir deux voitures, ils avaient installé ici leur atelier. Nicolas ne pouvait pas encore savoir qu'ils avaient en fait acheté ce garage à leurs voisins mitoyens. Aussi, en échange de pouvoir piquer dans leur stock apparemment inépuisable de bières, ils ne devaient rien dire sur les bruits étranges qui pouvaient se faire entendre malgré un investissement conséquent dans l'isolation des murs.
L'enfant pouvait observer ses parents œuvrer depuis une sorte de baie vitrée que les deux adultes avaient installée plus ou moins correctement pour pouvoir surveiller leur petit, tandis qu'ils "travaillaient" dans une pièce jouxtant le garage qui servait de chambre de jeu. Et il les observait. Assembler leur bric-à-brac sans que cela ait le moindre sens pour lui. Enfin, surtout un manque de logique. Soudainement, alors que Nicolas était sur le point de sucer son pouce, quelque chose explosa devant lui.
Un petit incident provoqué par la jonction du connecteur thermoquelquechose qui avait été relié avec un embout clignotant en turquoise. Une petite déflagration qui avait fait sursauter Nicolas et dressé les courts cheveux noirs de son père métissé aux yeux marron, et ceux de sa mère pâle aux cheveux courts noirs et aux yeux bleus. Apeurée, que son fils n'ait reçu quelque chose lors de la déflagration malgré la séparation - sûrement dû à son instinct maternel - Lucie regarda en direction de la véranda. Mais il riait aux éclats. Un rire de petit enfant qui ne pouvait qu'attendrir et faire sourire même la personne la plus insensible.
Voyant que son fils n'avait rien, elle se remit au travail avec un professionnalisme indéniable.
— Toi et tes conneries de nuances de bleu, j'te jure…
Ne comprenant pas encore ce que sa mère disait, et surtout n'entendant presque rien à cause de l'isolation du verre, Nicolas, voyant que plus rien n'explosait et que les cheveux de ses parents s'étaient calmés, chercha quoi faire d'autre. Il trouva son bonheur en apercevant un jouet potentiel. Nicolas se laissa tomber sur le côté pour se mettre à quatre pattes et rejoindre au plus vite le lieu de ses nouvelles occupations. En quelques secondes, l'enfant que ses parents aimaient appeler "le bébé de course" arriva devant son nouveau Graal. Des trucs à encastrer dans d'autres trucs et de la pâte à modeler.
À partir de là, son petit cerveau commença à travailler sérieusement. Il pouvait prendre ce rond pour faire rouler quelque chose. Nicolas saisit donc le rond de sa petite main droite potelée. Et de sa main gauche, il prit un cube. Il sembla se plonger dans une réflexion intense. Une expression adorable de poupon fronçant les sourcils en essayant d'imiter sa mère. Il tourna la tête vers la pâte à modeler. L'enfant posa son rond et vida en un violent secouage de pot toute la pâte à l'intérieur. Il entreprit ensuite d'enduire avec la substance gluante un côté du cube. Sans doute voulait-il s'en servir comme de colle se dirent ses spectateurs.
Debout dans l'encadrement de la porte ouverte, Lucie et Ilhan regardaient leur fils. Prenant une pause après un débat sur ce qui était ou pas du bleu, ils avaient décidé d'arrêter de se disputer pour des détails. Ils argumentaient tous deux et, au moment d'une pause pour reprendre leur souffle, ils s'étaient rendus compte à quel point ils s'aimaient passionnément, lisant chacun la même chose dans le regard de l'autre, et avaient conclu que ça n'avait pas d'importance. Ils s'étaient embrassés, puis Lucie était allée observer leur fils discrètement, appuyée sur l'encadrement de la porte, vite rejointe par l'homme de sa vie qui lui avait rapporté une bière pour qu'ils trinquent ensemble. Buvant une gorgée, Ilhan s'essuya la bouche et sourit.
— Il a ça dans le sang. Il deviendra un grand Amateur, meilleur que ses parents.
Et les deux amoureux s'étreignirent en s'embrassant, comme au premier jour, tandis que Nicolas se demandait toujours à quoi pourrait bien servir cette satanée combinaison ésotérique de formes géométriques.
— Papaaaaaaaa ?
— Oui mon fils ?
— Je peux avoir une petite sœur ?
Assis sur le canapé, Ilhan lisait son journal, "La Dépêche". Assis à côté de son père, Nicolas lisait son journal, "Le Journal de Mickey". La petite lampe de poche offerte avec rendait aux yeux de l'enfant son propre journal bien plus précieux que celui en papier gris moche de son père puisque ça lui avait permis de le fixer à la petite voiture qu'il avait reçue pour son dernier anniversaire, le huitième de sa petite vie. Ilhan tourna la tête vers la chair de sa chair.
— Pardon ?
— C'est pas grave, tu es pardonné papa, répondit-il innocemment avec un grand sourire.
La politesse. Grande vertu s'il en est. Mais cela rendit son père confus. Comprenant son erreur, il sourit et se reprit.
— Non, je veux dire, quoi ? Comment ça tu veux une petite sœur ?
— Beeeeeeeen… Je voudrais une petite sœur s'il te plaît papa chéri ?
Cette réponse ne fit qu'amuser le père. Son fils était peut-être un peu trop bien élevé.
— Nicolas, pourquoi tu veux une petite sœur ?
L'enfant ferma son petit journal, comme son père, et le déposa sur la table basse devant lui, comme son père. Évidemment, il devait descendre là où son père n'avait qu'à se pencher pour déposer le journal, mais cela ne le découragea pas. Son père avait beau faire son mètre quatre-vingt-cinq, un jour, il serait plus grand que lui. "Quand je serai plus grand, je serais plus grand que papa" se promit-il. Il grimpa sur le canapé pour être de nouveau à côté de son père. Pendant ce temps-là, il réfléchit à la réponse, et, une fois parvenu là où il voulait, il lui dit :
— Ben euh, je voudrais une petite sœur pour jouer avec moi…
Il avait cette expression sur son visage d'un enfant à qui on ne pouvait rien refuser. Un mélange de supplication et de tristesse pour faire céder les adultes. Et Nicolas savait que ça marchait sur son père. C'était donc déjà gagn…
— Chérie ! Nicolas veut te parler !
Et c'est ainsi qu'Ilhan prit la fuite dans la cuisine. Nicolas se mit debout sur le canapé.
— Mais et si c'est moi qui me fabrique une petite sœur ? cria-t-il à son lâcheur de père pour qu'il l'entende.
— Pardon ?! s'exclama une voix féminine qui sortait du garage.
Nicolas se retourna et vit sa mère. Elle avait le visage couvert de suie et les cheveux en pagaille. Sans parler de son expression mi-confuse mi-étonnée. L'enfant lui sourit et lui dit :
— C'est pas grave maman, tu es pardonnée !
C'était un diner habituel. Les infos sur la sixième chaîne parlaient de grèves, de manifestations et de gens pas contents. Comme d'habitude pour un journal français. Et c'est là qu'Ilhan avait posé une question.
— Chérie, tu penses qu'ils ont des grévistes à la SCP ?
Nicolas, étant une personne étonnante par sa capacité à ingérer sans se tuer cette immondice que l'on appelait "épinards" leva les yeux de son assiette. Sa mère avala le reste de son œuf dur avant de répondre au père de son enfant.
— Tu sais mon amour, c'est pas parce que c'est la meilleure organisation du monde que les gens n'ont pas des divergences d'opinions. Et en plus c'est "la Fondation SCP".
— Oui mais comment tu peux avoir des manifestations dans un endroit où la moindre faute d'inattention peut déclencher des morts ?
Lucie haussa les épaules.
— J'imagine qu'ils gèrent comme ils peuvent. Même les employés ont le droit de s'exprimer, ce sont des humains. Surtout quand ils choisissent de risquer leur vie en travaillant là-bas.
— C'est quoi la SCP ?
Les deux adultes tournèrent leur tête vers Nicolas. Ils avaient complètement oublié qu'il ne lui en avait jamais parlé. Ilhan éteignit la télé. Le silence s'abattit sur la table. La discussion allait être sérieuse.
— Je crois qu'il est temps de faire une petite réunion de famille, déclara solennellement le père.
L'ambiance ne laissait plus la place à la plaisanterie. Nicolas sentit que c'était très important et ouvrit ses oreilles en grand. Sa mère regarda son père qui hocha la tête ; Lucie laissait à Ilhan la responsabilité de s'en charger. Ce dernier prit une grande inspiration.
— Mon fils, dans le monde, il y a des choses extrêmement dangereuses et des monstres qui font beaucoup d'ennuis aux gens qui ne peuvent rien faire contre eux…
— Comme le monstre sous mon lit ? coupa Nicolas, l'air inquiet.
— Nan, lui je le gère, balaya de la main son père. Mais pour les monstres que papa ne peut pas gérer, ou tous les autres trucs dangereux, il y a la SC… (regard noir de Lucie) la Fondation SCP qui nous protège.
— C'est quoi la Fondation SCP ? demanda l'enfant, écarquillant les yeux.
— La Fondation SCP… c'est le pays de la science : y'a plein de scientifiques et de militaires qui nous protègent de ces vilains monstres qui devraient pas exister ! C'est pour ça que ton papa et ta maman fabriquent des trucs pour essayer de les aider un peu !
Nicolas ouvrit grand les yeux. Il n'en revenait pas. Depuis tout ce temps, il y avait des gens gentils qui le protégeaient des monstres ! Des monstres plus puissants que son papa ! Il avait du mal à se l'imaginer, mais pourtant, si son père le lui disait, c'était forcément vrai !
— Quand je serai grand, moi aussi je fabriquerais des choses pour aider la SCP !
Lucie leva les yeux au ciel, bien qu'amusée. Déjà qu'Ilhan avait cette mauvaise habitude, elle allait devoir corriger aussi son fils maintenant…
C'était un grand jour. Le jour qu'il avait tant attendu. Celui qu'il avait préparé depuis quatre mois. La présentation à ses parents de sa première machine ! Son père lui avait dit qu'il devait prouver qu'il était un grand garçon et que ses 14 ans signifiaient un tournant dans sa vie.
Ilhan et Lucie étaient dans sa chambre. Une assez grande pièce, peinte en gris et blanc, selon les goûts de Nicolas. Bien sûr, comme c'était Ilhan qui avait peint, il y avait des imperfections. Pâtés, coins mal finis, petites rayures… Mais Nicolas s'en fichait. Il était reconnaissant à son papa chéri. D'ailleurs Lucie en avait bien profité pour taquiner son compagnon pendant les repas. Le tapis sur lequel était assise cette dernière était un cercle violet, là où son compagnon devait se contenter du parquet. Nicolas, quant à lui, était sur sa chaise de bureau roulante, celle dont il se servait pour travailler sur son atelier situé sous son lit en hauteur.
Et c'était justement sous cet atelier qu'il y avait son invention. Sa plus brillante machine. La plus grande invention de l'Homme.
— Voici le cuisino-pasta-solo !
La bouche de ses parents faisait un trait droit. Ils avaient complètement oublié que leur fils ne connaissait que très peu de choses sur l'Anormal. Il faisait partie de la vie de la maison et de son éducation - à domicile - mais c'était un domaine dangereux et imprévisible dont Ilhan et Lucie lui proscrivaient une utilisation trop étendue. La dernière chose qu'ils voulaient soit que Nicolas brise les lois universelles en fabriquant une batterie de voiture télécommandée. Mais c'est justement à ça qu'ils s'attendaient. Une voiture télécommandée. À la place, il leur montrait une… ce qui avait été autrefois une bouilloire sûrement. Une bouilloire avec deux entonnoirs sur le dessus, l'un à côté de l'autre et quatre pieds soutenant le dessous du défunt ustensile de cuisine percé en un autre entonnoir à sa base. Lucie plissa les yeux.
— Et à quoi ça sert mon cœur ?
— C'est très simple maman !
Il mit son invention au-dessus d'une casserole qu'il avait empruntée dans la cuisine et brandit fièrement un sachet de pâtes et du sel devant ses parents amusés mais perplexes.
— Avec ça, je peux cuisiner des pâtes facilement !
Les deux adultes penchèrent la tête. Nicolas décida de leur faire une démonstration. Il tourna un bouton à l'arrière de son invention jusqu'à ce que le petit indicateur soit en face d'un "3" fait au feutre noir en faisant un petit "clic".
— Là, je viens de le régler sur 3 personnes, dit-il. Et là je verse les pâtes dans l'entonnoir de gauche.
Il déversa le paquet entier qui pouvait faire trois repas pour quatre personnes d'un coup, sous le regard arqué de son père.
— Et maintenant je mets le sel dans celui de droite…
Nicolas versa au moins dix cuillères à soupe dans l'entonnoir sous le regard suspicieux de sa mère. Il activa ensuite un petit bouton rouge. Son invention commença à bourdonner comme un ordinateur en plein travail intense. Les parents regardèrent leur fils qui souriait, tout fier de lui. Il avait l'air de savoir ce qu'il faisait. Quelque part, ça les rassurait. Mais ça les rendait surtout fiers. Au bout d'une petite minute, la machine sonna, et du sel et des pâtes sortirent de l'entonnoir installé sous la bouilloire, au-dessus de la casserole. Les deux adultes remarquèrent cependant que les quantités à la sortie étaient moindres qu'à l'entrée. Ils levèrent la tête de concert vers leur enfant qui n'attendait qu'à s'expliquer.
— Comme j'ai réglé le bouton qui tourne sur "3", ça a automatiquement réglé le dosage de sel et de quantité de pâtes sur les mesures que maman m'a données pour un plat de pâtes pour trois personnes !
Les yeux des parents s'illuminèrent. Nicolas, voyant cela, sentit une bouffée de fierté et les larmes lui monter. Il essaya quand même de continuer sa présentation.
— Et du coup, c'est comme ça que… que… que j'ai… tenta de finir Nicolas, la voix enrouée, avant d'éclater en sanglots.
Sa mère et son père se levèrent précipitamment, confus, et le prirent dans leurs bras en se mettant à genoux.
— Pourquoi tu pleures mon coeur ? lui demanda Lucie.
— Parce que… parce que… j'ai enfin réussi à construire un truc comme vous, bégaya-t-il après un reniflement et deux crises de larmes.
Ses parents, émus, le serrèrent dans leurs bras. Ils étaient fiers de lui, sans aucun doute. La petite famille resta comme ça pendant un petit moment, même lorsque Nicolas eut fini de pleurer. Il était trop heureux pour se rendre compte qu'il avait oublié de leur dire que l'Anormal dans sa machine résidait en un espace de vide stable dans lequel allaient le sel et les pâtes en trop.
Il pleuvait dehors. Les gouttes tombantes venaient s'écraser avec fracas contre la baie vitrée du salon qui donnait sur le jardin. Mais c'est dans ce salon qu'une phrase retentit :
— Papa, faut qu'on parle.
Quand un ado de 16 ans vous disait cela, vous ne pouviez pas être rassuré. Ilhan était sur le canapé, avec "La Dépêche", comme toujours. En entendant cela, il leva la tête et s'empressa de fermer son journal. Et accessoirement de retirer ses pieds de la table basse avant que Lucie ne le surprenne.
— Qu'est-ce qu'il y a mon fils ? demanda le père, inquiet. Dis-moi tout.
L'air triste et grave, il regarda autour de lui, l'air de chercher quelque chose.
— Maman n'est pas là ?
Ilhan secoua la tête.
— Non, elle est dans le garage, en train de finir l'ultra soudeur à bio compression moléculo-atomique pour la Fondation.
L’adolescent hocha la tête. C'était un projet simple, mais important.
— C'est grave si elle n'est pas là ?
— Non non, c'est pas grave.
De plus en plus inquiet, Ilhan se décala sur le canapé pour laisser de la place à son enfant et l'invita à s'asseoir à côté de lui. Ne sachant pas quoi faire, ce genre de situation n'étant jamais arrivé auparavant, le père décida de laisser parler Nicolas quand il serait prêt. Ce dernier se frottait les mains, ne sachant pas par où commencer. Rien qu'à l'idée de prendre la parole, sa gorge se nouait. Le salon resta silencieux plusieurs minutes. Mais Nicolas se décida enfin à parler.
— C'est que… j'ai des doutes papa…
— Sur quoi mon fils ? demanda-t-il sans le presser, avec un sourire rassurant bien que son enfant regardât ses mains.
— Eh bien… cette nuit je réfléchissais…
— Une activité des plus dangereuses, fais attention.
Ilhan avait tenté de détendre son fils avec un peu d'humour. Cela fonctionna car il vit l'ombre d'un sourire se dessiner sur ses lèvres.
— Non mais sérieusement papa. Je me disais… enfin je pensais…
Il s'arrêta. Nicolas continuait de se frotter les mains. Ilhan attendit, patiemment. Au final, au bout d'une minute de silence seulement coupé par un lointain juron de Lucie dans le garage, à peine audible, il leva la tête vers son père, le regardant droit dans les yeux.
— Et si la Fondation ne nous aimait pas ?
Ilhan était surpris. Pas tant par la question, mais il se demandait plutôt comment en était-il arrivé à ce questionnement. Il lui adressa un sourire maladroit.
— Pourquoi cette question Nicolas ?
— Eh bien, on a jamais reçu de merci ni rien. Tu as déjà reçu un merci de la Fondation, papa ?
Ilhan déglutit et secoua la tête, l'air livide à présent.
— Donc s'ils ne nous ont jamais remerciés, qu'est-ce qui prouve qu'ils nous sont reconnaissants ? Qu'on leur est utile ? Qu'ils se servent de ce qu'on fabrique ? Ou même, est-ce qu'ils les reçoivent ? conclut Nicolas, levant un regard détruit vers son père.
Trente minutes plus tard…
— C'est bon ! J'ai enfin réglé ce problème de f… qu'est-ce que vous faites ?
Les deux hommes de sa vie étaient en larmes, dans les bras l'un de l'autre avec une boîte de mouchoirs presque vidée sur la table basse. En fait, la boîte n'était pas transparente, mais Lucie déduisit qu'elle était presque vide à la vue de la montagne de mouchoirs qui gisaient un peu partout autour du canapé. Elle fronça les sourcils, ne comprenant rien à la situation. En la voyant, son compagnon se redressa et les yeux pleins de larmes dit :
— Chérie ! Mon dieu c'est t-terrible… t-t-u vas être dévastée, parvient-il à dire avant de sombrer à nouveau dans une crise de larmes.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda-t-elle, mi-inquiète, mi-confuse.
Ilhan renifla et s'essuya les yeux d'une main, l'autre étant occupée à tenir un mouchoir sale. Le père de famille se calma et tenta d'expliquer le drame à la femme de sa vie.
— La Fondation ne nous a jamais remerciés ! Donc si ça se trouve ils ne nous aiment pas ma chérie !
En disant cela, les larmes lui montèrent à nouveau.
— Mais comment veux-tu qu'ils nous remercient s'ils ne connaissent pas notre adresse ?
Les deux hommes tournèrent la tête vers Lucie, s'arrêtant de pleurer. La seule femme de la famille soupira.
Arthur Pontaichet posa sa main contre le mur, reprenant son souffle. On lui avait dit que sa tutrice avait eu un problème. En bon assistant innocent et compatissant qu'il était, il avait accouru. Mais maintenant, il se disait qu'il avait accouru un peu trop vite. Arthur prit donc le temps de souffler un peu. Le Dr Merkeslet ne lui en voudrait pas s'il était en retard de quelques secondes. En fait, après un très court temps de réflexion, si, ça lui ressemblait d'en vouloir à quelqu'un pour quelques secondes. Pontaichet se redressa donc et toqua à la porte du bureau de sa supérieure.
— Dr Merkeslet ? Vous allez bien ?
Ne recevant pas de réponse, il décida d'entrer, au risque de se recevoir quelque chose au visage. Mais rien ne fut lancé. En fait, il n'y avait personne pour lancer quoique se soit. Très intrigué, le chercheur junior s'approcha du bureau de sa tutrice. Dessus, un ordinateur, un carton, des dossiers, un stylo et une photo. Ce furent le carton et la photo qui retinrent son attention. Il avait déjà vu ce cadre avant, mais n'avait jamais vu ce qui était dessus. Et le carton était ouvert et prenait beaucoup d'espace, ce qui laissait penser que ça n'était pas sa place habituelle.
Arthur s'approcha et prit le cadre de la photo. Sa tutrice ne lui en voudra pas, elle n'était pas là. Sur la photo, très vieille, figuraient deux femmes. Une jeune femme noire et une jeune femme au teint basané. Ayant l'impression de fouiller dans la vie privée de sa supérieure, il reposa en vitesse le cadre et s'intéressa au carton. Avait-il mangé la vieille femme ? Était-ce une de ces anomalies sans fond desquelles on pouvait ne jamais revenir ?
Arthur déglutit et pencha la tête au-dessus du carton, faisant ses adieux à ses filles et sa femme. Mais il vit juste un bout de papier froissé posé sur un fond bel et bien tangible. Soulagé, mais intrigué, il décida de se saisir du papier.
Bonjour Fondation !
Bon du coup, c'est la septième fois que j'écris cette lettre et je vais essayer de pas faire de fautes cette fois ! Le jour où vous recevez ce colis (en espérant que La Poste fasse pas des siennes), c'est le lendemain de mes 18 ans ! Je tenais à vous offrir mon invention la plus réussie et la plus fonctionnelle à cette occasion, comme maintenant je sais faire des pâtes. Je vous donne le cuisino-pasta-solo. Ne vous inquiétez pas, c'est du solide, ça fait six ans qu'elle tient bon !
Aussi, dans cette lettre, je voulais vous remercier. Quand mon père m'a parlé de vous la première fois, je n'en revenais pas. Vous étiez devenus instantanément des héros et avez obtenu une place particulière dans mon cœur (après ma famille et l'Amicale bien sûr). Aujourd'hui, j'espère que ce modeste présent vous aidera à faire des pâtes dans votre protection du monde. Ne vous inquiétez pas, je vous ferai des trucs bien plus utiles !
Merci à vous d'être là pour nous, de la part de l'AAA.
La lettre fit sourire Pontaichet. C'était des plus touchants. Personnellement, il trouvait cela adorable. Arthur se dit néanmoins qu'il avait oublié de dire comment faire fonctionner son invention. Il reposa la lettre au fond du carton, lorsqu'un hurlement lointain qu'il identifia comme celui de sa tutrice retentit dans les couloirs.
— ILS SE REPRODUISENT !