Variations, chapitre 2

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Équipe 2 : Ezcyo, Goupil et Zakkarit

Ezcyo

Jour 39 après la chute d'Aleph


Tout était sombre.

La salle dans laquelle nous nous trouvions, seulement éclairée par les quelques voyants d'alerte qui rougeoyaient par-delà la grille nous séparant de notre objectif, restait silencieuse.
Aucun écho.
Neko, assis par terre, tête penchée en avant, ne disait rien. Je ne pouvais ni voir Goupil, ni Zakkarit.
Alors que mes yeux commençaient à s'habituer à la faible lumière de cette pièce, j'ai commencé à observer ce qui m'entourait.
Tout me semblait irréel. J'avais l'impression de me trouver dans un lieu où je n'aurais pas dû être. Une salle brûlante, oppressante, le refuge qui nous séparait de la mort.
Tout ceci me semblait presque être un rêve. Trois personnes, mortes ? Tuées par un monstre ? Des amis disparus ?
Je voulais passer cette porte, revenir sur Aleph, retourner dans la salle de pause, et prendre du bon temps avec les collègues, comme avant.
Ils étaient là, derrière cette porte … J'aurais pu y rester …

"Ez ! Non, lâche ça !"

Je me suis retourné juste à temps pour voir le docteur Goupil courir dans ma direction.
L'air extrêmement inquiet, il vint retirer mon bras, alors posé sur la poignée de la porte blindée.
J'ai levé la tête vers lui, et me suis rappelé de la réalité.
Au moment où il s'aperçut que je reprenais mes esprits, il se mit à sourir, et retourna vers Zakkarit, qui était resté en retrait, visiblement inquiet.

Malgré ce certain retour à la réalité, j'avais toujours du mal à assimiler leurs morts.
Et curieusement, c'est ce manque de rationalité qui me convainc d'aller de l'avant.
Me dirigeant vers la grille nous séparant de l'installation, je pensais déjà à notre sortie et notre retour vers la surface.
Cette mission de sauvetage était un échec, et il fallait que Neko reste en vie.
C'était notre devoir.

Goupil et Zakkarit vinrent me retrouver, alors que j'approchais du panneau de contrôle du générateur. Il s'agissait de déployer la barre secondaire, la source de chaleur qui maintenait ce site en vie ayant apparemment régressé.
Déclencher cette opération fut aisé. Retirer la sécurité et déclencher la descente, et maintenant, attendre que le générateur se remette en marche.

D'abord, les écrans du générateur vinrent nous éclairer de leur lumière tremblante, bleutée.
Puis, les lumières de la salle, tandis qu'un ronronnement mécanique commençait à se faire entendre.
La clarté regagnait peu à peu le site.
Les voyants d'alerte s'éteignirent, redonnant à la pièce où nous nous trouvions un aspect ordonné, neuf.
Ne présentant aucune faille, aucun danger.

"Fin d'alerte de niveau 7. Courant électrique rétabli. Dispositifs automatisés opérationnels. Veuillez rester à vos positions jusqu’à nouvel ordre, une équipe de secours est en route."

La voix synthétique qui s'élevait dans le site annonçait la renaissance de Kybian.

Et son chercheur en chef se tenait prêt à le reconquérir.

Neko se tenait debout, poing fermé.


On venait d'ouvrir la porte.

Un couloir blanc s'ouvrait devant nous, portant toujours les traces des événements antérieurs.
Le danger n'était plus là.

"Bon, on se dépêche de remonter à la surface, la fin d'alerte a dû effrayer cette merde." dit Neko.
"J'en suis. On poursuit le couloir jusqu'au hangar, et on remonte par le premier escalier ?" demanda Zakkarit.
"Exactement. Allez, on y va, vite."

Alors que le groupe commençait à s'avancer, Neko émit un dernier avertissement :

"Et si vous voyez cette chose, poutrez-lui la gueule. Dès que possible."

L'état de Neko était facilement compréhensible. Après plus de dix ans de travail sur Kybian, tout le personnel ici pouvait être considéré comme sa seule famille.
En particulier Neva.
L'anneau qu'il portait à sa main droite n'était que trop signifiant.
Une telle fin n'avait aucun sens. Pas dans ce monde.

Et cette tournure d'événements inévitables ne pouvait avoir qu'une fin.

Un artefact.

"On vient de passer la moitié du couloir sans rien rencontrer, vous pensez qu'il nous attend ?" fit Zakkarit, la voix inquiète.

Observant le léger ralentissement de Zakkarit à la prononciation de cette phrase, Goupil se tourna vers lui en souriant, et passa derrière lui avant d’accélérer son allure.

"Il est nécessairement sur ce site, Zakk'. Mais là, dans la lumière, c'est nous qui avons l'avantage."

Ce mensonge suffit à redonner un peu de courage à notre compagnon, dont la vitesse doubla presque aussitôt.
Notre progression fut silencieuse jusqu'à l'arrivée dans le hangar.
Alors que nous continuions à courir, nous pouvions apercevoir les quelques petits robots de tri s'animer et sécuriser les objets anormaux que nous avions déballé plus tôt.
Suivant leur programme, ils s'attelaient à leur tâche, indifférents à tous ce qu'il pouvait se passer autour d'eux.
Certains commençaient à fermer les portes vitrées des salles de stockages et à se poster dans leurs réceptacles de stockage.

"C'est étrange …"

Neko venait de s'arrêter.

"Voir le site s'animer ainsi me fait presque penser que rien n'a changé."

Tout le monde stoppa sa course pour observer l'activité des petits drones.

"Hé, les gars, rien n'est perdu." dit Zakkarit.
"Ce site a juste eu besoin d'un coup de pouce pour revivre." continua-t-il.

Alors que le groupe, pensif, continuait de penser à cette mission de sauvetage, Neko s'approcha d'une boîte rouge et en retira un cube métallique, d'une dizaine de centimètres de côté.

"Qu'est-ce que c'est ?" ai-je demandé.
"Un petit drone de défense qui se déploie pour protéger le personnel en cas d'attaque. Il semble en bon état, il pourra peut-être servir, dehors." expliqua Neko.
"Bonne idée. Tant qu'ils sont fiables …" dit Goupil.

Sans un autre mot, nous repartîmes en direction de l'escalier. La sortie du site était proche.

La montée vers le hangar ne fut qu'un bref moment. Une fois sortis, nous regardâmes en direction de la grande porte blindée faisant office d'entrée dans le site.
D'ici quelques minutes, nous serons dehors.
Les quelques caisses en cours d'acheminement par l'équipement automatisé du site pouvaient s'avérer dangereuse, nous devrions donc passer par le côté.

"On y est, les gars." dit Neko, d'un ton calme.

Tout le monde acquiesça.

"C'est tout de même étrange de ne pas avoir rencontré cette…"
"Bordel… Élisa ?"

Tout le monde tourna la tête dans la direction de Neko, seulement pour remarquer la silhouette du docteur Neva, de dos, non loin de la porte.
Neko voulut courir dans sa direction, mais il fut immédiatement stoppé par Zakkarit et moi-même, tandis que Goupil sortait le taser.

"Lâchez-moi, les gars, ne faites pas les cons !"
"Neko…" fis-je.
"Regarde à ses pieds." continua Zakkarit.

Une tâche écarlate s'étendait à vue d’œil. Levant le regard, nous vîmes d'où provenait ce fluide.
Neva consommait son bras.

Son bras.

Neko tomba à genoux.

C'est alors qu'il se retourna.
Son visage était entièrement altéré.
Seules, clairement visibles, deux longues dents ensanglantées dépassaient de sa bouche.
003-FR. Cette merde avait fini sur Kybian.

"Si bonne. La chair humaine … Un ravissement sans fin."

Neko devenait blême.
Zakkarit tentait de lui faire détourner les yeux de cette scène, pendant que Goupil, armé de son taser, tentait de contourner ce parasite.

"D'autres… D'autres proies qui arrivent. Héhéhéhé… D'autres…"

Il se dirigeait vers nous.
C'était mauvais. Il semblait capable de contrôler totalement les mouvements de son hôte.
À croire que la fin du monde lui avait été bénéfique.

"Non non non… Pas maintenant, ton cœur… D'abord, eux…"

Un bruit sec se fit entendre.

Goupil venait de réussir à tirer dans le bras du monstre avec son arme.
D'abord surpris, par la soudaine solidification de son bras qu'il ne pouvait désormais plus contrôler, il parut un temps paniqué.
Nous profitâmes de ce temps pour contourner les caisses en direction de la porte, soutenant Neko du mieux que nous pouvions.
Or, derrière nous, nous pûmes apercevoir 003 arracher le bras de Neva avec sa mâchoire, avant de se ruer vers nous, la bouche ouverte à un point humainement impossible.
Il allait nous rattraper.

"Bordel, il est encore derrière, Neko, tu tiens le coup ?" fit Zakkarit.

Neko ne répondait pas.

"Courez, on y est presque, la porte est juste en face !"
"Il va finir par nous rattraper. Il vous reste de quoi le ralentir ?"
"Non, c'est mort."
"Continuez, en ligne droite !"

Quelques mètres. Devant nous. La porte.
Je venais de manquer de trébucher, nous faisant perdre de précieuses secondes.
Neko était toujours aussi inerte.
Nous approchions de l'ouverture…

"Allez, on y est !"
"Il faut refermer la porte, rien ne va l'empêcher de nous poursuivre…"

C'était vrai. Même dehors, il pourrait encore maîtriser l'un de nous.
L'un de…
Diantre, des gens devant l'entrée.
Goupil les avait vu aussi.
Voulant les appeler, il leva la main et se prépara à crier :

"Aidez-n…" commença-t-il.

Goupil venait de chuter.
003-FR venait de se rendre compte de l'erreur de sa proie, et se dirigea immédiatement vers elle.

"Goupil !" s'écria Zakkarit.

J'eus tout juste le temps de voir deux silhouettes devant la porte se diriger dans notre direction, alors que nous nous dirigions vers notre ami, dans l'espoir de lui porter secours.

"Écartez-vous bordel !" fit une voix, derrière nous.

Nous stoppâmes notre course un moment, surpris.
Ce qui nous empêcha de recevoir la balle destinée à notre assaillant.
Touché au crâne, il recula un bref instant, sonné, instant pendant lequel Goupil, libéré de son étreinte, se déplaça de quelques mètres sur le côté, cherchant encore à se débattre.
Ce moment de répit ne fut que de courte durée.

003-FR, plus prompt que Goupil à se rétablir, tâcha de l'atteindre, tandis que Zakkarit tentait d'aller chercher Goupil, me laissant Neko.

Dans quelques mètres…
Il allait…
Une balle siffla près de ma tête, manquant de peu sa cible, et alla se ficher dans un conteneur métallique quelques mètres plus loin, près de Goupil.
Zakkarit venait d'atteindre Goupil. Voyant que ces deux n'étaient plus dans leur ligne de mire, les deux tireurs déchargèrent une rafale afin de neutraliser 003.
Goupil, encore sous le choc, peinait à se mettre debout. Tentant d'échapper au prédateur qui rampait encore à quelques mètres de nous, nous nous dépêchâmes d'atteindre la porte, de laquelle nous pûmes distinguer les uniformes gris des tireurs.
Alors qu'un de ceux-ci allait tirer en direction des caisses, Goupil, semblant soudain alarmé, voulut les avertir.
Son cri fut masqué par le rugissement des armes, tandis que les étincelles que produisaient leurs chocs sur la surface métallique du conteneur allumaient réagissaient avec le gaz qui s'y trouvait.

Le bruit de la détonation masqua celui des armes.

Puis tout fut noir.


L'explosion fut visible à des kilomètres.
Un site. Entier.

De la porte à demi-ouverte furent projetés débris en tous genres.
Bois, cendres, métaux, humains.

Portés par une mince couche de linoléum, quatre corps à peine visibles s'écrasèrent sur le sol.
A quelques mètres de deux autres, à terre, sans connaissance, dont la chute avait été plus brève.

Le réveil serait ardu.

Tandis que, sous les agrégats de matière divers, un site mourait.
Confiné.
… Et ils restèrent ainsi, témoins de la fin de ce dernier lieu qui les rattachait à ce qu'il connaissaient.

Jusqu'à ailleurs.


Une douleur.

Au niveau de la jambe.

… Le sol est étrange.

Il est souple. Hé…
… Où sont les autres ?

Je… Je n'arrive pas à les appeler… Ma mâchoire me fait trop mal.
Goupil… Zakkarit… Neko…
Et les deux autres… Qui étaient ces tireurs ?

Je dois essayer d'ouvrir les yeux…
Essayer…

La lumière est trop forte…

Hé, le sol bouge…
Un bruit sourd résonne dans ma tête… Et d'autres sons, plus aigus…

Je crois que je bouge… Je ne vois que des taches de lumière…

Ça sera pour plus tard… Je suis trop fatigué…

"Hmm… Il se réveille, celui-là ?"
"Le docteur Ezcyo ? Euh… Je crois qu'il bouge, oui."

Tiens, Goupil… Et une autre voix…

Mes yeux s'ouvrent beaucoup plus facilement. Moins de lumière…

En face de moi, Goupil était assis, et juste derrière lui, un garde, dans l'uniforme de la Fondation… Un des tireurs ?

"Ez' ? Tu peux parler ?" dit Goupil, voyant que je venais d'ouvrir les yeux.
"Je sais p… pas." articulais-je, réalisant dans le même temps que je parvenais à me redresser.
"Zakkarit et Neko sont encore évanouis, mais ça va, ils n'ont rien de cassé. On a été protégés du souffle de l'explosion par le lino qui s'est détaché du sol, il a un peu amorti la chute."
"Ah… Je… Super." dis-je, sans réfléchir.
"Au fait, les deux tireurs sont les agents Hedd et Darjnovna, des gardes sur Kybian… Ils se sont abrités dans le bunker de leur poste durant l'alarme. Désolé, Ez', mais y avait d'autres survivants." fit-il, souriant.
"Au fait, l'agent Hedd est ici, il s'est réveillé peu après moi… L'autre est partie récupérer des vivres dans son bunker, je lui ai dit que nous avions un véhicule." continua Goupil.

L'agent me regardait bizarrement. Probablement l'absence d'expression sur mon visage.
Il s'avança et commença à parler :

"Donc… Vous aviez un objectif précis en venant ici ? Une équipe de quatre docteurs n'est pas vraiment très optimisée quand il s'agit de se promener en territoire hostile." fit-il.
"En fait… Nous étions allés chercher des survivants et du matériel sur Kybian pour nous aider à récupérer des artefacts…" commença Goupil.
"Des artefacts ? Et ils auraient servi à quoi ?" le coupa le garde.
"Euh… En fait, ça serait les morceaux d'un objet permettant de re-confiner toutes les entités et objets ayant brisé leur confinement après ce qui est arrivé, et de restaurer le monde tel que nous le connaissions…" expliqua Goupil.
"Qui est le type qui a eu l'idée de tous les éparpiller, si c'est si utile ?"

Ne nous laissant pas le temps de répondre, le garde repartit accueillir son collègue, revenu du bunker. Il lui glissa quelques mots à l'oreille, probablement pour exposer la situation. Pendant ce temps-là, j'observais l'endroit où nous étions. À l'ombre d'un rocher auprès duquel était stationné notre véhicule, se trouvaient Zakkarit et Neko, encore inconscients.
Goupil était assis sur une petite butte, et regardait le sol, pensif.

"Dis, Ez'…" dit-il, sans tourner la tête.
"Oui ?" répondis-je.
"Tu penses que c'était une erreur de venir ici ?"

Tournant la tête, je pus apercevoir les deux gardes charger les vivres dans le véhicule, parlant quelquefois à voix basse.
Zakkarit bougeait légèrement.

"Je ne sais pas. On a récupéré du matériel et un allié, mais…"

Le ciel se couvrait.

"Oui… C'est déjà un bon point… Mais à quel prix ?"

Les premières gouttes commençaient déjà à choir sur le sol.

Silencieusement, j'ai tourné ma tête vers le ciel.

Espérant un futur.

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