Variations, chapitre 1

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Équipe 2 : Ezcyo, Goupil et Zakkarit

Ezcyo

Jour 39 après la chute d'Aleph



"Il ne nous suit plus ? C'est bon ?"
"Ça va faire une heure qu'il ne nous suit plus, je pense qu'on est tranquilles, là."
"On sait jamais, hein …"

Nous étions devant le petit poste de garde qui servait à contrôler les arrivées dans Kybian. La seule entrée du site. Là où en temps normal, on nous aurait foutus dehors avec pour principal argument le fait que cette zone soit interdite au public, mais où aujourd'hui, on n'en ferait rien.
Parce que ses occupants sont morts. Rien de surprenant.

"Donc, on doit avancer sur cette petite route jusqu'au site ?" demanda Zakkarit, toujours perturbé par la légère confrontation avec d'autres espèces disparues.
"Ouais. Le site est encastré dans une falaise, normalement. Si il y a encore des gens présents là-dedans, ils devraient ouvrir." répondit Goupil.

Le soleil brillait. Notre petite troupe progressait lentement sur la route caillouteuse, toujours à bord du véhicule, silencieuse.
Pour seul paysage, les reflets du soleil dans les carcasses des capsules de secours du site, qui n'avaient pas suffi à évacuer le personnel présent.
Un calme plat, un reflet de l'anxiété du groupe au fur et à mesure que nous progressions vers le site.
Enfin, en face de nous, se dessina une petite falaise.

"Donc, c'est ça Kybian." déclara Zakkarit.
"C'est petit." fit Goupil.
"C'est sûr que par rapport à Aleph ou Shell …" répondis-je.
"Les gars, je stresse."
"Tu n'es pas le seul. On stresse ensemble, c'est déjà ça." fis-je, silencieusement.

C'était la fin de la route. En face de nous se trouvait l'entrée du site. Un grande porte en métal, conçue pour empêcher toute entrée en force dans le site.

"Donc, on est censés contacter les survivants et leur demander de nous ouvrir ?" demanda Goupil.
"Ouais. À l'époque où je rendais visite aux collègues ici, un interphone permettait de communiquer au poste de garde qui contrôle la porte." dis-je.
"Il marchera encore ?" continua-t-il.
"On verra bien. Je pense qu'il ont prévu notre arrivée, bien que je doute fort qu'ils soient idiots au point de laisser rentrer n'importe qui ici."
"On dirait que la porte est ouverte."
"Mais oui, bien sûr, il vont aussi laisser rentrer n'importe qui dans le s…"

Zakkarit avait raison. Coupé en plein milieu de ma phrase, je pus m'apercevoir que la porte était en effet ouverte au quart. Aucune marque n'était présente sur la porte, comme si elle avait simplement été interrompue en plein milieu de sa fermeture.

"Qu'est-ce que c'est que ce merdier ?"
"Doucement Ez', il doit y avoir une explication logique au fait que les gens ici soient un peu cons, rien de grave."

Goupil, ton humour …

"Dans tous les cas, on doit progresser, les gars. Calmez-vous un peu." fit Zakkarit, visiblement agacé.
"Pour un type en manque de sucre depuis plus d'une semaine, tu le prends plutôt bien."
"Ta gueule."

Cette petite engueulade sembla nous donner l'énergie nécessaire pour pénétrer à l'intérieur du site, et, tandis que nous progressions vers l'incertain, la confiance nous regagna peu à peu.
Notre but était de parvenir aux différents locaux abritant des abris anti-atomiques, susceptibles d'être les refuges de nos survivants. Ceux-ci n'étant pas présents dans le hall principal, il nous fallait atteindre l'étage inférieur au moyen d'un des deux ascenseurs ou escaliers du site, situés plus avant dans le hall.
Cette pièce était la plus importante du site, et servait de lieu de stockage temporaire pour les objets sûrs ou objets anormaux qui risquaient d'encombrer inutilement Aleph. De ce fait, l'empilement de caisses constituait un véritable labyrinthe pour notre groupe, peu familier avec le fonctionnement de ce site.
Et dans le noir quasi-complet, ce n'était pas simple.

"Franchement, c'est normal qu'aucune lumière ne soit active ?" chuchota Goupil.
"Cette partie du site doit être totalement inutilisée, ça doit expliquer pourquoi elle n'est pas alimentée. De plus, les interrupteurs se trouvent dans un local de maintenance, au fond de la salle, et à l'opposé de notre objectif."
"T'as l'air de plutôt bien connaître le site, Ez'." remarqua Zakkarit.

Silence, tandis que nous passions devant un détecteur de mouvement qui nous gratifia de trois petits clignotements bleutés en nous repérant.

"J'y ai bossé, à un moment. Avec un vieux collègue."
"Mais … Tu n'avais travaillé que sur Shell et Aleph, non ?" demanda Goupil, interloqué.
"J'ai failli être retiré du projet sur Shell pour des … raisons personnelles. En attendant mon placement ici, j'ai travaillé à l'étude de divers objets sûrs, ici-même."

Nouveau détecteur de mouvement, trois clignotements. Nous avions traversé la moitié de la distance jusqu'aux ascenseurs.

"Des raisons person … Nan, je vais éviter de te questionner là-dessus."
"Merci Zakk'. Bref, j'étais chercheur dans le laboratoire numéro un, avec d'autres, présents depuis plus longtemps que moi. J'ai appris assez rapidement comment fonctionnait le site. C'est juste un site de stockage, et d'étude. Tout
est dans l'économie, ici. Peu de gardes, peu d'équipes de recherche … Un réfectoire dégueulasse …"
"J'imagine. Bon, on te fait confiance, pour trouver les autres, du coup."

Kybian. C'est là que Neko et Neva bossaient. Peut-être y sont-ils encore. Peut-être pas. Les quelques souvenirs de cette période, le rétablissement après l'accident … Tout avait commencé à s'effacer peu à peu.
Bien que toujours habité par la détermination qui m'avait envahi après la destruction d'Aleph, cette anxiété continuait à m'habiter. J'avais réussi à refouler tout ceci, mais …

"C'est l’ascenseur, en face ?" demanda Goupil, presque à voix haute.
"Hé, tu m'as surpris."
"Désolé Ez'. Zakkarit est parti vérifier."

Quelques mètres devant, Zakkarit venait d'actionner l'ouverture de l’ascenseur. Un léger chuintement se fit entendre alors que les portes s'ouvrirent. Il se retourna vers nous, avant de lever son pouce, l'air satisfait.

"C'était rapide, dis-donc. Si c'est la plus grande salle du site, le reste devrait être rapide à vérifier." dit Goupil, en avançant.
"Pas tant que ça, en fait. Mais on va pouvoir accélérer les recherches. L'accident est arrivé pendant la pause, l'après-midi. Le personnel du département de logistique devait être dans les salles de pause du hall, qui, cependant, sont inutilisées. Du coup, il ne nous reste plus qu'à vérifier les laboratoires, qui possèdent leur propre salle de pause, ainsi que les postes de garde. C'est nécessairement de là que provient l'appel."
"D'accord, mais… le département administratif ?" demanda-t-il.
"Il y avait deux capsules écrasées dehors. Une correspondait au département administratif et aux dortoirs, l'autre aux laboratoires. À cette heure-ci, personne n'est aux dortoirs, et les gars du département d'administration ont dû penser que la capsule était plus sûre que le bunker. On a toujours plus de chance de trouver des survivants dans les laboratoires." expliquais-je.
"Bel esprit de déduction. Vous voyez que ça sert de jouer à Phoenix Wright au boulot.", fit Zakkarit, alors qu'il sélectionnait l'étage inférieur sur le panneau de l’ascenseur.
"Tu crois pas si bien dire."

L’ascenseur commençait à descendre lorsqu'un léger grésillement se fit entendre.

"Heu … C'était quoi ce bruit ?" demanda Zakkarit, paniqué.

Aucun de nous ne répondit. Nous étions aussi tétanisés que lui, incapables d'expliquer l'origine du bruit étranger.
Nous commencions à regarder tout autour de nous, quand soudain, une voix de femme s’éleva dans l’ascenseur :

"… del bande de … tendez ?"
"…" fut notre réponse mutuelle.
"Qui utilise ce putain d’ascenseur, bordel ?" hurla la voix.
"N … Nous venons d'Aleph, docteurs Zakkarit, Ezcyo et Goupil !" fit Goupil, plus prompt à recouvrer ses esprits.
"Vous venez nous aider ? Vous êtes arrivés jusqu'ici sans … chier pour …"
"La qualité du haut-parleur est mauvaise, on ne vous comprend pas !" dit Zakkarit.
"Vous êtes dans le premier ascenseur ?" hurla la voix, visiblement paniquée.
"Probablement, quelle est …" fis-je, avant d'être immédiatement coupé.
"Appuyez sur le bouton d'arrêt d'urgence, vite ! APPUYEZ SUR CE PUTAIN DE BOUTON !"

Nous comprîmes l'empressement de notre interlocutrice au moment où nos pieds commencèrent à se détacher du sol.
Trop tard.
Bien trop tard.

L’ascenseur chutait.


"Bordel de merde, du sucre !"

Zakkarit, ton sucre, bouffe-le sans nous déranger, s'il te plaît.

"J'ai plus rien, Goupil, tu t'en doutes bien …"
"C'est pas vrai … En plus avec son inexpressivité constante, j'arrive même pas à voir si il reprend connaissance ou pas …"
"Peut-être le contenu de ses seringues ? Elles sont encore entières …"

Goupil ? Ce n'était pas Zakkarit ? Si seulement j'arrivais à voir leurs visages …

"Oh putain !"
"Qu'est-ce qu'il y a ?"
"Il a ouvert les yeux ! Il m'a fait peur ce con !"

J'ai vu Goupil sursauter au moment où je l'ai regardé. Au moins, ils avaient l'air d'aller bien. J'étais soulagé.
Soulagé ?
Pourquoi soulagé ?

"Enfin, je veux dire, tu vois un type aussi inexpressif qu'un lardon sous botox ouvrir les yeux brusquement, c'est flippant, désolé !"
"On vient de le voir reprendre connaissance et t'as que ça à dire ? Franchement ?"

Ils s'engueulent. C'est bon, tout va bien.

"Ez' ? Tu me comprends ? C'est bon ?" demanda Goupil.
"Errrh …" fis-je.
"Je prends ça pour un oui. Si tu peux t'asseoir, essaie de boire un peu."

Avec l'aide de Zakkarit, je réussis enfin à m'asseoir. Peu à peu, les récents événements me revinrent en mémoire. Kybian, la voix, la chute …
L’ascenseur avait chuté.
Nous étions au deuxième sous-sol. En vie.

"Bon, on va avoir des escaliers à monter, on est allé un peu trop bas, d'après le plan. Tu vas mieux ?" s’inquiéta Zakkarit.
"Errrh."
"Ouais, continue de t'hydrater. On y va dès que t'es debout."

Après quelques instants, je parvins à me mettre debout et à faire quelques pas, non sans le support de mes deux amis. Nous commençâmes à nous diriger vers l'escalier.
La progression était lente et complexe, mais au fur et à mesure de notre ascension, j'ai commencé à retrouver peu à peu mon autonomie. L'atmosphère pesante du site commença à me regagner, et mon désir de le quitter s'intensifiait à chaque pas.
Enfin, nous arrivâmes au premier sous-sol. Un couloir s'ouvrait devant nous, avec, de chaque côté de celui-ci, des rangées de chambres de stockage, le plus souvent fermées. Pour seules lumières, les quelques détecteurs de mouvement et indications de sorties de secours continuaient à briller faiblement, dans toute la pièce. Après une brève concertation de regards, nous continuâmes notre route.

"Les gars, excusez-moi d'interrompre la marche, mais, je pensais … Ne devrait-on pas récupérer quelques objets pouvant nous faciliter la tâche ? Il doit y en avoir, dans ce site, non ?" demanda Zakkarit, à voix basse.
"C'est une bonne idée. Les objets de ce hangar ne sont pas dangereux, de mémoire. Si une porte est ouverte, on pourra aller voir si on trouve quoi que ce soit d'utile."
"Tiens, tu peux reparler, Ez' ?" s'étonna Goupil.
"On dirait bien, en effet. Hé, cette porte est ouverte. On peut tenter de voir ce qu'on y trouve."

Notre petit groupe pénétra dans la salle de stockage. Un empilement de caisses assez conséquent se trouvait devant nous. La grande majorité était fermée. Cependant, quelques caisses en vérification étaient ouvertes par terre.
Goupil s'agenouilla et s'attela à la vérification de leur contenu. Nous fîmes de même.

"Je viens de trouver un ensemble de LEDs … je vais voir leur description."
"Même chose, des bilboquets, je vais vérifier."
"Tiens, apparemment, ce bouclier en liège est ignifugé. Je vais tenter de l'accrocher à l'arrière de mon sac …"
"Hé, ces LEDs s'éclairent si on les met en contact avec des cheveux humains. Je vais les garder, ça pourra nous servir."
"Les gars, un taser qui gèle les fluides vitaux de sa cible au lieu de l'électrocuter, on garde ?"
"Non, ça pourrait être dangereux, je pense. T'as pas des armes un peu moins …"
"J'ai des fusées de détresse, ici."
"Va pour le taser."

Après s'être rééquipés avec toutes sortes d'objets utilitaires, incluant en majorité toutes sortes de lampes et objets défensifs, nous sommes ressortis de la salle, et avons continué à progresser dans le couloir, en direction d'une petite pièce, qui menait à notre objectif.
Toujours accompagnés par la lumière froide des détecteurs de fumée et leurs quatre clignotements, nous nous enfonçâmes dans les entrailles du site.
Un nouveau couloir nous attendait derrière cette pièce. À mi-chemin de celui-ci se trouvait un nouvel ascenseur, menant directement aux laboratoires. Une fois arrivés à la hauteur de ce dernier, nous avons décidé d'emprunter la cage d'escalier, dans l'appréhension d'une nouvelle chute. Après une rapide descente, nous parvînmes dans la première zone éclairée du site, dont la lumière nous força à plisser les yeux. Nous venions d'atteindre le premier sous-sol, le laboratoire numéro un.
Et il abritait des survivants.

"Les gars. Y a des humains, ici." dit Zakkarit.

Ça pouvait paraître évident, une chose tout à fait normale. Mais pour nous, écartés de toute forme de civilisation depuis plus d'une semaine, retrouver d'autres de nos semblables nous semblait si improbable…
Et alors que nous progressions, l'odeur métallique du site fut peu à peu remplacée par une odeur quelque peu familière. Une odeur que l'on rencontrait peu sur le site, plus propre aux villes…

"Erf, les gars, ça pue la clope, ici." fit Goupil, visiblement gêné.
"Ah, oui, c'était donc ça." remarqua Zakkarit.
"Bordel, elle est vivante."
"Ez' ?"

Sans attendre mes compagnons, je me suis précipité vers la salle de pause, d'où provenait l'odeur. Si elle était en service, ça signifiait forcément que …

"Ez' ? Qu'est-ce que tu fous ? Ils sont ici ?" demanda Goupil, étonné.
"Grouillez, vous deux !"

J'ai tapé le code de l'époque sur la porte. Elle s'est immédiatement ouverte.

"Hayden ?"

Neko et Neva. Ces couillons étaient encore en vie.

"Oh bordel, vous êtes vivants …"

Les émotions commençaient à me submerger. Faisant fi des deux autres rescapés présents dans la salle, je me suis précipité en direction de mes deux amis.
Au même moment, Goupil et Zakkarit arrivaient dans la salle.

"Tu t'es rappelé du code ?" demanda Neko, surpris.
"V-vous l'aviez pas changé …"
"Oui, en même temps, si vous aviez attendu que Neva finisse sa clope …" répondit Neko, toujours souriant.

Ils avaient l'air aussi soulagés que je l'étais. Surpris, certes, mais revoir un ami après ces événements devait les bouleverser autant que moi. Goupil et Zakkarit m'ont vite ramené à la réalité, lorsqu’ils exposèrent les raisons de notre venue sur le site.

"Donc, vous n'êtes que quatre à avoir survécu ?" demanda Goupil, la voix cassée.

Neva acquiesça en silence.

"Dès que l'alarme s'est déclenchée, nous nous sommes précipités dans le bunker de la salle de pause, au moment où Marc, enfin, le chercheur Glenn, ramenait D-4341 en salle de test. Nous les avons vu faire irruption dans la salle de pause au moment où nous hésitions à fermer le bunker." commença à raconter Neko.
"Ils nous ont rejoint assez rapidement. C'étaient heureusement les deux dernières personnes du secteur."
Neko fit une pause, semblant hésiter, avant de raconter la suite :
"Peu après la fermeture, une vague de chaleur importante sembla traverser tout le site. Nous ne savons pas du tout combien de temps nous sommes restés enfermés ici. A vrai dire … Nous … Nous avions totalement perdu la notion du temps." continua-t-il.

Neko paru soudain plus sombre.

"Lorsque nous avons jugé que sortir du bunker était sûr, je suis parti avec D-4341 pour tenter de retrouver des survivants dans le poste de garde ou le labo deux." dit le dénommé chercheur Glenn, s'avançant vers nous.
"Avec un classe-D ?" demanda Zakkarit.
"Il est issu du protocole 12. Il est une victime, tout comme nous."

Le classe-D, resté à l'écart pendant la discussion, leva la tête dans notre direction, et esquissa un bref sourire. Le pauvre avait dû se faire administrer des amnésiques jusqu'à son envoi sur Kybian. Et, connaissant le genre de classe-D qu'on employait sur ce site, je ne pouvais douter de la bonne foi du chercheur Glenn.

"Une question me trotte dans la tête, tout de même… Pourquoi n'avez vous pas tenté de sortir du site ?"

Goupil avait marqué un point. Cependant, l'attitude sombre que prirent soudain les rescapés ne pouvait pas signifier de bonnes nouvelles.

"Vous êtes extrêmement chanceux d'être parvenus ici sans le croiser." dit Neko.
"Vous parlez d'une entité dangereuse ?" demanda Zakkarit.
"On ne sait pas. Je…"
"C'est bon, je vais leur dire. Si tu n'y arrives pas, c'est pas la peine."

Neva venait de jeter sa cigarette. Elle se retourna vers nous, et continua sa phrase :

"On avait un autre survivant, avec nous. L'agent Finn."

Une longue pause. Glenn s'éloigna et retourna auprès du classe-D, tandis que Neko baissa les yeux vers le sol.

"Elle devait aider Glenn et 4341 à retrouver d'autres survivant. C'était la dernière agent sur le site, et probablement… Celle qui a perdu le plus ici."

Goupil et Zakkarit prirent un air grave. Une telle histoire n'augurait rien de bon. Le sentiment d'être piégé sur le site commençait à m'envahir. Une sensation d'étouffement.
Intense.

"Après avoir renvoyé ses compagnons à la salle de pause pour nous chercher, elle a dit vouloir vérifier les bunkers du laboratoire un, situé face à cette salle. Après plus d'une demi-heure, elle n'était pas encore revenue. À un moment on a pensé qu'elle avait quitté le site, qu'elle avait fui… C'était impensable, mais une telle absence ne pouvait être expliquée que par sa fuite… ou pire." continua-t-elle, d'une voix monocorde.
"Plus tard, nous avons reçu un message sur nos pods. Il s'agissait d'une seule ligne. Répétée en boucle. … "ne pas entrer lab. 1". J'ai un moment voulu vérifier son état, mais les autres m'en ont empêché. Et… ils ont eu raison."

Ils l'ont retrouvée morte. Une créature rôde sur le site. Quoi que ce soit. Quelque chose est un danger, ici.

"Un soir, alors que nous tentions de nous reposer, dans le bunker, nous avons entendu un craquement s'élever du couloir. Tout le monde demeura silencieux, dans la crainte d'attirer quoi que ce soit qui pourrait causer notre fin. Ce fut seulement le matin que nous nous sommes risqués à aller vérifier l'origine du bruit. La porte du laboratoire un était ouverte, le verrou cassé. Sur le sol gisait un seul homme, un garde, la bouche ensanglantée, et le torse entièrement ouvert. Il n'y avait aucune trace de Finn. Dès lors, nous sommes restés dans la salle de pause, nous cloîtrant dans le bunker au moindre bruit suspect. Et cependant, quitter le site nous est impossible."

Je venais de comprendre pourquoi le site paraissait si vide.
Nous étions piégés.

"Pourquoi est-il impossible de partir ? La porte principale est encore ouverte …" demanda Zakkarit.
"Le générateur principal a cessé son activité. Seuls nos générateurs de secours sont encore effectifs, et les quelques réserves d'hydrogène dont nous disposons vont bientôt s'épuiser. Et la chose qui reste sur ce site ne va pas nous laisser sortir. Vu l'état du site, il sera facile pour ce qui rôde ici de nous attaquer en groupe, si nous sortons tous."
"Mais… nous avons nécessairement besoin de la lumière ?" demanda Goupil.
"Nous ne savons pas du tout ce qui nous attend. Nous préférons honnêtement rétablir le courant et pouvoir observer ce qui nous attend que d'avancer à tâtons en risquant une embuscade à chaque tournant."
"Je vois…" souffla Goupil.
"En réalité, nous sommes juste bloqués ici. Tant que nous ne parvenons pas à rétablir l'exploitation géothermique, le site restera figé." conclut Neko.

Un silence s'installa.
Un long silence.
Le reflet d'une tension, mêlée à la résignation de sept morts en sursis.

"Dites… On peut tenter de réactiver le générateur, plutôt que d'attendre tranquillement de crever."

Tout le monde s'est tourné en direction de Zakkarit, qui, à ce moment, semblait habité d'une nouvelle lueur. À ses pieds, une demi-douzaine de sachets de sucre jonchaient le sol. Ne nous laissant pas le temps de réagir, il enchaîna immédiatement :

"Donc, en gros, vous vous êtes fait chier à rester vivants pour au final abandonner toute sorte d'espoir et attendre de mourir dans cette salle ? Nan, franchement, c'est triste ! Si vous avez peur de sortir parce qu'il fait noir, c'est le moment de bouger nos fesses et de faire ce pour quoi on est venus ici, à savoir récupérer des survivants ! Maintenant, on se dépêche de rejoindre ce générateur avant que les quelques batteries de secours nous lâchent ! Allez !"

Il se dirigea vers la porte, agrippant Goupil par le col par la même occasion. Le classe-D, après avoir jeté un dernier regard en direction du groupe de survivant, les suivit.

"Ez', qu'est-ce que tu fous ? Je te rappelle que t'étais avec nous, au départ !"

Zakkarit venait de m'attraper ma capuche, et commençait à me secouer dans tous les sens.

"Allez, bouge-toi, on y va !"
"Hé, attends, et les autres ?" lui ai-je demandé.
"Laisse-les ici si ils veulent, nous, on y va !" cria-t-il.

J'ai vu Neko dire un mot à Neva avant de se diriger vers nous. Cette dernière a attrapé un petit sac avant de nous rejoindre. Glenn, pendant ce temps-là, était déjà en train de déverrouiller la porte.
Quelques minutes après, et nous étions en train de nous diriger vers l'escalier.


- Neva, oublie pas la pause de quinze heures, on va avoir un nouveau sur le site.
- Un nouveau ? Ils savent qu'on existe ?
- 'faut croire. Bref, un type qui a été muté depuis Aleph, associé à notre labo. Neko ne te l'a pas dit ?
- Il est un peu… distant, en ce moment. Plutôt préoccupé par sa promotion.
- Je vois. Bref, je vais finir de ranger le bureau, et j'y vais…

- Hé, six mois…
- De quoi ?
- Ça va faire six mois.
- Oh ? Ha, tu commences à te faire vieux.
- Arrête, je vois absolument pas de quoi tu parles.
- Ouais. Bon, on retourne au labo ?
- Deux secondes. Au fait, elle n'était pas censée venir ?
- Si, mais bon. La classique ; partie aider les autres en haut.
- Je vois. Bon…
- Samedi.
- Oui ?
- Je lui demande samedi.


Cela faisait cinq minutes que nous circulions dans des couloirs sombres, à l’affût du moindre danger. Ayant éteint les lampes par mesure de sécurité, nous nous guidions à la faible lumière des détecteurs, encore alimentés par leur batteries de secours.
Le silence était total.
Seuls les bruits de nos pas résonnaient sur le dallage. Ces lieux autrefois habités par nos contemporains, aujourd'hui disparus de ce monde. Une place témoin de leur disparition.

Zakkarit ouvrait actuellement la marche, suivant le couloir, à tâtons. Goupil le suivait de près, et derrière moi se trouvaient nos survivants. Marcher en file indienne semblait conforter tout le monde, rassuré d'être en contact, visuel ou
physique, avec le groupe.
Et cette situation était pour le moins désagréable.

Sept clignotements froids nous accueillirent à l'approche du second ascenseur. Derrière celui-ci se trouvait le second couloir, plus étroit, dédié à la maintenance. Celui-ci était, à l'époque, peu emprunté, du fait de l'autonomie importante du bloc géothermique. Alors que nous pénétrions dans celui-ci, la senteur métallique du sol s'imposa rapidement à nous. Cette zone était bien plus sombre que le reste du bâtiment, les générateurs secondaires étant prévus pour une réactivation rapide du système principal, ceux-ci ne fournissaient plus assez d'énergie pour alimenter ne serait-ce que l'éclairage. Néanmoins, en face de nous se trouvait l'entrée du bloc géothermique. La chaleur commençait à s'accentuer, si bien que nos souffles commencèrent à se faire entendre plus intensément.

A l'approche de la porte, de légers cliquetis se firent entendre. Je n'étais pas le seul à les avoir remarqués. Le groupe se stoppa rapidement, tout le monde retenant sa respiration, dans l'attente d'un quelconque signe indiquant qu'il était sûr de continuer.

Les cliquetis s'accentuaient.

Une odeur métallique plus puissante vint à notre rencontre.

Alors que la forme émergeait.

Une ombre se jeta sur le visage du Dr. Glenn, étouffant son cri immédiatement. Tétanisé par la surprise, D-4341 fut violemment tiré en arrière par Neva, tandis que Glenn reculait, emmenant son assaillant avec lui.

Un bruit fin se distingua parmi les autres. Le sang sur le sol. La créature émettait du sang. Elle retenait Glenn. Ce n'est qu'une fois éclairé par une faible lumière bleutée que nous pûmes apercevoir ce qui se passait.
C'était un être humain. La cage thoracique ouverte, répandant à chaque action un fluide écarlate sur le sol. Ses bras retenaient fermement la tête de sa proie, contre laquelle elle apposait sa bouche, et tentait, telle une succube, de pénétrer sa victime.
Chaque secousse laissait couler du sang d'entre les bouches conjointes de ce couple morbide, que nous observions.
Après quelques instants, le visage de Glenn se distordit, laissant sa bouche s'ouvrir suffisamment pour arracher le visage de son assaillant, qui tomba sur le sol, la mâchoire défaite et le front broyé.

"Courez, bordel, allez jusqu’à cette porte !" hurla Neko, tentant de nous sortir de notre stupéfaction.

Neva, plus prompte à réagir, poussa le classe D vers l'avant du groupe, avant de pousser Goupil, le plus proche de la créature, vers Zakkarit et moi, déjà éloignés.

C'est alors que, dans une détente formidable, Glenn se rua sur D-4341, déjà à mi-chemin entre la porte et Neva.
Il plongea dès lors sa tête dans la poitrine du classe-D, de laquelle il arracha son cœur, qu'il fendit immédiatement, après un ultime battement. Une gerbe de sang se répandit sur le sol, tandis que Zakkarit, près de la porte, tentait de nous faire rentrer un à un avant que nous nous fassions rattraper par ce monstre.
Celui-ci releva la tête pour nous voir fermer la porte, souriant, les dents ternies par le sang.
Ce n'est qu'une fois la porte refermée que nous virent notre erreur.
Notre groupe n'était pas au complet.

Son cri se fit entendre par-delà la porte.

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