Après la neige, le sable

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Équipe 1 : Frog, Grym, Neremsa et Deous

Neremsa

Jour 37 après la chute d'Aleph

Putain…
J'étais passé à travers un immeuble avec le sphinx. Pas certain que le Mowag Piranha III qu'on avait pendant mon service aurait pu faire ça… Okay, on parlait pas d'un H.L.M. mais d'une maison de deux étages que j'avais pré-démolie à coup de canon 40mm. Mais quand même, passé la chute et l’atterrissage brutal sur l'autoroute, il me fallut quelques secondes pour réaliser que j'étais encore vivant. Après avoir demandé aux deux autres s'ils allaient bien, j'ai explosé de rire. C'était nerveux. Au début, Frog et Grym ont surement cru que j'avais pété une durite, mais ils ont été gagnés eux aussi par l'hilarité. On avait réussi, on était en train de sortir de Paris sans perte et on avait l’artefact ! Enfin, un morceau.
Bon, avec mes conneries on avait faussé l'essieu du sphinx. Si je lâchais le volant il virait tout seul à gauche et je devais compenser pour rouler droit. Mais au moins, on roulait.

Un gros dix kilomètres plus loin, on s'est arrêtés pour faire le plein. Enfin, Grym et Frog ont fait le plein pendant que je rampais en dessous du sphinx pour faire une étendue des dégâts. Grym m'entendit jurer et passa la tête sous l'engin.

- Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Y a plus le plug anal que t'avais planqué là ?

Il s'écarta juste à temps pour ne pas se prendre ma lampe dans la gueule. Je m'extirpais de sous le sphinx en grommelant et je frottais le cambouis de mes mains sur mon pantalon en leur expliquant la situation :

- C'est que je craignais, l'essieu est faussé. Dans le meilleur des cas ça tiendra jusqu'à Moscou. Dans le pire, il nous lâchera d'ici quelques kilomètres.

- Tu ne sais pas le consolider un peu ? Demanda Frog.

- J'ai pas le matos pour. Et quand bien même, je suis pas mécano… Y a rien à faire à part prier pour que ça tienne et se préparer psychologiquement à le laisser derrière avec le matos qu'on pourra pas transporter.

- R.I.P. Le Motherfucker dans cinquante pour cent des cas, quoi, conclut Grym l'air dépité.

Je haussais les épaules. Dans notre situation le mieux que nous avions à faire était de tirer le blindé le plus loin possible. On a défoncé la porte de la station service et on s'est servis en crasses sucrées. En fouillant un peu, j'ai même trouvé un coupe-cigare bas de gamme. Frog nous a dégoté quelques CD de musique pour passer le temps sur la route. Faut dire qu'on allait en avoir pour un petit moment avant d'atteindre Moscou… Il nous a fallu trois semaines à prendre les petites routes et à se ravitailler dès qu'on pouvait. On était qu'en Ukraine, je me demandais par quel miracle est-ce que le sphinx roulait encore et c'est là que des ennuis passagers nous sont tombés dessus. Vingt crétins de l'Insurrection du Chaos dans un blindé léger qui nous ont barré le passage dans une forêt. Ils ont ouvert le feu les premiers avec leurs kalachnikovs. Autant dire qu'ils ont rayé la peinture du sphinx. Comme j'étais pas d'humeur à discuter (plus tard, Grym fit la remarque acerbe que je n'était pas d'humeur du tout) j'ai déverrouillé ma ceinture, j'ai poussé Grym pour m'installer aux contrôles de la tourelle et je leur ai expédié un missile antichar dans le buffet.
Boum. Fini les vingts gogoles. Et il nous restait encore un de ces missiles si leurs copains voulaient les venger.

- On aurait pu en interroger un… maugréa Grym en reprenant sa place après que je me suis réinstallé au pilotage.

- Pas le temps pour ça !

Frog ne dit rien, il regardait fixement la carcasse en feu du blindé adverse. J'aurais pas su dire si c'était le fait de voir vingt mecs mourir en une fraction de seconde ou la secousse de l'explosion qui l'avait secoué. C'était pas moi le psy, bienvenue sur la réalité du terrain Froggy.
On a gardé le silence en contournant la carcasse et on a reprit la route. Notre route a croisé celle des premiers zombies plus tard. Des 008. L'incident de l'insurrection du chaos a été vite oublié à cause d'eux. Techniquement parlant, on était pas en danger à l'intérieur du sphinx, mais la tension à monté en flèche…

Quelques jours plus tard (je dois avouer que j'ai perdu le compte), on s'est arrêtés près de la Volga. L'odeur. Ça faisait des semaines qu'aucun d'entre nous n'était lavé et on puait le yack. C'est limite si les deux autres ne me remerciaient pas quand j'allumais un cigare histoire de couvrir la puanteur de bovidé qu'on dégageait.

- Qu'est-ce que tu fous ? demanda Frog en me voyant couper le moteur et défaire ma ceinture.

- J'en peux plus, je vais risquer l'hypothermie pour me laver.

- Je t'accompagne, renchérit Grym.

Frog ne dit rien, mais il défit précipitamment sa ceinture de sécurité. On est sorti et on s'est rapproché de la Volga en se les pelant sévère. J'avais les lèvres bleues rien qu'à imaginer la température de l'eau. Pendant que Frog et moi on hésitait, Grym s'est foutu en slip et s'est entré dans l'eau à mi-mollet, non sans jurer copieusement. On l'a imité et, d'un coup, les jurons se sont fait plus colorés. Finalement, continuer à sentir le veau c'était bien, mais maintenant qu'on était dans la flotte, on allait pas ressortir sans être un minimum propres…

Arrivés à la première ville, on a pillé un magasin de vêtements pour pas mourir de froid. Faire le plein était un calvaire. Même le chauffage du sphinx peinait à maintenir une température vivable dans l'habitacle et je craignais de plus en plus qu'il ne démarre plus. La bonne nouvelle c'est que le froid ralentissait considérablement les 008. Et on s'approchait de notre destination.

Deux jours plus tard, on entrait dans Moscou. Et là, on aurait pu dire que les portes des enfers avaient dégorgé tout les damnés à cet endroit juste pour nous faire chier. Des zombies partout. Pas moyen de faire autrement que de foncer et se tailler un chemin dans le vif. Les choses ont pris une tournure bizarre aux abords du centre-ville. D'un coup, au détour d'une rue, le paysage a changé. Plus une bagnole, plus un zombie. J'ai ralenti la cadence et dit à Grym d'activer les armes de la tourelle. Cela ne nous disait rien qui vaille, mais on s'est plantés. Ce n'était pas une menace mais bien la résistance humaine, dirigée par la Fondation qui était à l'oeuvre ici. Le soulagement total. On a croisé des gardes en jeep, sapés comme des esquimaux. Ils ont failli nous plomber (ou plutôt l'inverse) mais ils arboraient le logo de la Fondation tout comme nous. On y était putain.

Direction le Kremlin, rencontre avec un supérieur hiérarchique du DSI, visite des lieux, douche chaude longue à l'excès et vrai lit. On a remit l'artefact à O5-1, un mec banal. Pas du tout l'image qu'on se faisait de la légende. Puis on a vaqué à nos occupations.

J'ai eu un franc succès populaire en distribuant des cigares aux soldats et aux mécanos dans la zone réservée aux réparations. De quoi alléger un peu les têtes en cette période. Je laissais le sphinx aux bons soins d'une équipe de spécialistes en leurs précisant de laisser la peinture faite par Frog. Je récupérais mon fusil de précision dans son boitier sécurisé et je me préparais à aller au stand de tir improvisé quand Frog, Grym et Nämu me sont tombés dessus. La séance de tir pouvait attendre, j'allais plus avoir l'occasion de me cuiter avant un moment.

On est allés se poser dans un recoin de la salle à manger du Kremlin, devenue cantine. On avait à peine entamé la seconde volée de bouteilles qu'un mec avec un accent russe prononcé s'est mis à gueuler.

- MAIS C'EST PAS CE BON VIEUX « RABAT-JOIE » QUE JE VOIS LÀ ?!

Je relevai la tête, étonné que quelqu'un connaisse et utilise le surnom que j'avais dans la Delta-3.
L'homme qui venait de parler me dépassait d'une dizaine de centimètres, en hauteur comme en largeur. Il était chauve, sa face burinée et il affichait une mine fatiguée malgré ses yeux verts pétillant. Il me fallut quelques secondes pour le reconnaître, à l'époque il n'était pas chauve.

- « Frag' » ?

Pour toute réponse, il me donna une accolade propre à me fissurer un os. Je fis les présentations aux trois autres :

- J'vous présente Georgi Vicherna dit « Frag' », un membre de la F.I.M. Delta-3. Georgi, je te présente le docteur Frog, l'agent Grym et l'agent Nämu.

Il désigna mon visage et me demanda ce qu'il m'était arrivé. Malheureusement, même en situation de fin du monde, je ne pouvais pas lui expliquer dans les détails pourquoi la moitié de mon visage était métallique.

On a passé le reste de la soirée à joyeusement picoler et rigoler lorsque Georgi expliquait aux autres l'origine de mon surnom ou les anecdotes de la Delta-3. On a eu aussi un silence gêné quand Nämu à demandé pourquoi je n'étais plus dans la F.I.M.. D'habitude je n'en parlais jamais, mais la situation était différente. Ça faisait cinq ans que l'incident avait eu lieu et je n'en avais parlé à personne.
C'était une mission de capture d'une anomalie qu'on avait baptisé « oiseau de fer ». Une saloperie qui avait détruit trois hélicoptères UH-60 Blackhawk, tuant neuf personnes sur les quinze présentes, dont la femme de Georgi, Atyarya. Viviane est morte dans la salle de soins intensifs douze heures plus tard. On était cinq survivants, Georgi et moi, les deux tireurs de l'hélicoptère 1 ; Matsu, le mécanicien de bord et Asid, le pilote de l'hélicoptère 2. La cinquième survivante, Nesenna, était la mécanicienne de l'hélicoptère 3. On l'avait vue s'extirper de l'épave avant qu'on se crashe à notre tour, puis elle a disparu. L'équipe de sauvetage ne l'a pas retrouvée. C'est après ça que j'ai décidé de quitter la F.I.M. pour me reconvertir en officier de sécurité.

Le lendemain fut difficile, la gueule de bois s'avérant être plus solide qu'on le pensait. Notre fatigue générale avait dû jouer, si bien qu'on ne fut réellement apte à travailler qu'en début de soirée.
Les hautes instances avaient des projets pour nous. On nous appela Frog, Grym et moi dans une salle de conférence réhabilitée en salle de briefing. Un mec en tenue militaire nous y attendait. Ça m'arrangeait bien, je n'avais pas envie de traiter avec un mec en costard n'ayant aucune idée des réalités du terrain.

- Lequel d'entre vous est l'agent Neremsa ?

- C'est moi.

- On m'a dit que vous étiez un ancien opérateur de F.I.M. capable de piloter un hélicoptère, c'est exact ?

Décidément, mon passé refaisait surface à tout bout de champ…

- Affirmatif. J'ai servi dans la Delta-3.

- Nous aurions besoin de vos capacités pour une mission risquée…

- C'est un euphémisme, vu la situation dehors, intervint Grym.

Le militaire regarda Grym comme il aurait regardé un déchet de laboratoire, puis il reprit :

- Un des morceaux de l’artefact se situe loin d'ici. Nous avons un NH90 "Caïman" qui sera paré au décollage pour demain 9.00. Il y en a pour une dizaine d'heures de vol.

J'effectuai un rapide calcul mental. 10 heures de vol avec un NH90…

- Ça fait dans les 2900 kilomètres…

- 2899,71 pour être précis.

Je fronçais les sourcils.

- Quelle est la destination ?

Pour toute réponse, il me tendit un ordre de mission accompagné d'une carte. Frog siffla, Grym ne dit rien tandis que moi je laissais échapper un :

- Vous vous foutez de moi ?


8 heures 59 minutes. Je suis installé à la gauche du cockpit du NH90, Georgi est à droite. Il a insisté pour nous rejoindre sur cette mission. Grym, Frog et Nämu sont à l'arrière avec dix hommes issus de F.I.M., des forces de polices ou de l'armée. On est quinze au total et ça me rappelle péniblement l'incident que j'ai raconté hier. Mais bon, s'il y a bien une chose qu'on apprend en travaillant à la Fondation, c'est que la superstition c'est des conneries.

Je mets le contact. Les pales commencent à tourner et bientôt le NH90 s'élève dans les airs. On prend rapidement de la vitesse et on atteint les 260km/h. Dans cinq heures, on se posera à Sebastopol pour faire le plein, puis on repart pour atteindre notre destination…

Les pyramides de Gizeh.

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