25/08/1944

Équipe 1 : Frog, Grym, Neremsa et Deous

Grym

Jour 35 après la chute d'Aleph

Paris. Encore.

Je n'y étais pas allé depuis… Mon dieu…Août 44. Trop de mauvais souvenirs.
A l'époque on était rentrés, tout tenait encore debout, et on savait plus ou moins ce qui nous attendait.
Plus maintenant.
Y'avait des cadavres partout dans les rues. Des bâtiments séculaires étaient mis au sol. Mais même là, ça me rappelait certaines choses que je préférais oublier.
La résistance. Les amis. Le coup de filet. Les premiers interrogatoires, les premières exécutions. Le train. Le camp. Les expériences. Mengele.
J'entends un lointain "ça va ?" de Frog. Je redescends sur terre, et m'aperçois dans le rétro du Sphinx. Une expression de hargne fixée sur le visage. Mes mains crispées sur le P90.
Dans le miroir, une demi-seconde je vois une lumière rouge. L’œil bionique de Neremsa. Il a compris. Il connait mon dossier. Pas Frog, une chance.
Je le sens qu'on se jauge mutuellement et silencieusement depuis le début. Neremsa doit sûrement penser à son ancienne FIM, à comment me calmer au cas où, et Frog à une psychothérapie efficace pour nous calmer. Il sait bien qu'entre un ancien agent et l'immortel officiel de l'ex-Site Aleph, que physiquement il a pas trop ses chances.

"Oui, ça va."
Je pouvais sentir la moue dubitative de Nerem d'ici.
On passe à côté de là où j'ai buté mon premier nazi. Un éclair d'argent l'avait saisi à la gorge, par derrière. Pas loyal, mais efficace, et surtout, silencieux. Pratique, en terrain hostile.
Et c'est là que je fais la connexion.
La lame. Silencieux. Ma machette quand je traquais les schleus dans les jungles d'Amérique du Sud.

- "STOP, commandais-je à Neremsa, on a déjà merdé.
- Comment ça ? Il avait déjà lâché un grand coup de frein et posé sa main droite sur son P90, lui aussi, mate moi cette équipe de paranos.
- Quoi ? On… on est suivis ? On a déjà un SCP au cul ? s'enquit Frog, déjà beaucoup moins serein.
- Non. Mais on s'apprête à pénétrer un territoire plus silencieux que la tombe de ma grand-mère, sûrement rempli d'hostiles, et tout ce qu'on a pour se défendre c'est des automatiques et des explosifs qui manqueront pas d'attirer tout ce qui bouge sur nous dans un rayon de plusieurs kilomètres. En résumé, à moins que vous ne cherchiez à buter du SCP en masse, ce que je respecterais en d'autres circonstances, il nous faut des armes blanches.

Un sourire se dessina sur le visage de Neremsa, qui remit le véhicule en marche.
- Tu proposes quoi ?
- Sur le boulevard Mortier, c'est pas loin, y'avait l'armurerie Pascal, quand j'étais dans la résistance, et aux dernières nouvelles elle est encore debout, c'est chez eux que j'avais commandé Ma Bite. La masse d'arme hein, pas la partie du corps. Ils avaient quelques armes qu'ils nous filaient, et pas mal d'armes blanches. De quoi latter du skip. Nous faut des armes courtes, et capables de résister aux chocs. Genre katana. J'préfère personnellement les machettes, plus d'impact dans les coups, maniables dans les petits espaces. J'utilisais ça quand je traquais les nazis, c'était mon arme de prédilection. Et je crois que j'ai un moyen de rentrer dans le Louvre sans trop de problèmes. Mais il nous faudra des lumières qui tiennent le coup.

Je sentais le regard mi-horrifié mi-heureux de Frog à ma droite. Un endroit de rêve pour le métalleux sataniste qu'il était.

- Ne me dis pas… que tu veux passer par les…
- Les Catacombes. Exactement.
- Mais… dis-moi si je me trompe, mais elles ne passent PAS si près du Louvre que ça.

Nerem en rajouta une couche.

- Frog a raison, au mieux ça nous avancera de quelques centaines de mètres, mais on va sortir au milieu de Dieu-sait-où, peut-être même à côté d'un SCP. C'est non. En plus on aura aucun moyen de se repérer là dessous.
- Faux. On va arriver dans le Louvre, directement.
- Comment ça ?
- J'explique. Dans les derniers jours de la Libération de Paris, on a eu vent de la dernière crise menstruelle du Führer : tout réduire à néant dans Paris. En commençant par le Louvre.
- Et ?
- Et j'en devais une à un de ces types, les Monuments Men, ces gars ont sauvé des tonnes d’œuvres de la barbarie nazie à l'époque. Il voulait des renforts pour évacuer du Louvre des œuvres majeures au nez et à la barbe des nazis. Mais on pouvait pas tenter un cambriolage frontal, on avait pas les moyens, alors on est passés par dessous.
- Mais… Les Catacombes ?
- On s'en servait comme planque pour la Résistance des fois. Je les connais comme ma poche. En creusant une planque pour nos armes une fois, on est tombés sur d'autres parties des catacombes, plus profondes et qui allaient plus loin. Notamment sous le Louvre. Y'avait carrément un accès secret aux anciennes geôles du musée, ça devait être une sorte d'issue de secours pour le roi quand le Louvre était encore le palais de la famille royale.
Du coup on s'est servis de ça pour sortir quelques œuvres. Malheureusement on s'est vite fait cramer par les boches, et ça n'a été qu'une demi-victoire.
M'enfin, normalement le chemin devrait être toujours intact. Au pire on aura des grenades pour déblayer le passage.
- Des grenades dans un espace fermé qui résonne comme ça ? Et si y'a un skip dans le coin, tu fais quoi, Monsieur Silencieux ? répliqua Neremsa.
- Si tu préfères passer par un terrain à découvert, c'est comme tu le sens.

Je savais que j'avais fait mouche. Un agent ne craint rien de plus qu'un terrain à découvert. Et Frog semblait faire confiance aux types habitués aux actions sur le terrain :

- Moi perso ça me va, faudra juste faire gaffe à comment faire péter les éventuelles obstructions, histoire de pas se manger les catacombes entières sur la gueule."

Et Neremsa d'approuver. Plus de temps pour la parlotte. On venait d'arriver devant l'armurerie… et sur quelques voitures. FUCK YEAH. Tant pis pour le bruit, on était obligés, et puis ce silence était chiant et oppressant.
Après quelques vérifications du terrain aux alentours, Neremsa défoula joyeusement sur la porte du magasin la pression des évènements des derniers jours.

Nerem prit une machette, suivant mes conseils, mais Frog ne put résister à une réplique d'épée orque. Je dois admettre que même si le design était un peu fantasque, l'arme était de bonne facture.
On en profita pour vider le frigo de la réserve du magasin. Un pack de bières, deux bouteilles de coca. Putain, tout espoir n'était peut-être pas perdu après tout.
Je passais devant une masse d'arme, pendant que Nerem prenait quelques armes de poing, des couteaux de combats tactiques pour nous tous, et quelques munitions. Et surtout, des lampes torches. Assez pour éclairer tout Versailles façon Louis XIV.
Devant cette masse d’armes je songeais à la mienne, restée dans les ruines du Site Aleph. Et je me promis d'aller la récupérer un autre jour.

Avant de sortir, Neremsa me mit quelque chose dans les mains.
- "Cadeau."
Un Colt M1911. Mon arme de prédilection lors de la Seconde Guerre Mondiale. Je savais pas que ça aussi, c'était dans mon dossier.
- "Merci."
Fallait se serrer les coudes.

On retourna au Sphinx que Frog avait surnommé "Le Motherfucker", prit quelques rues, mais il devint vite clair qu'on ne pourrait plus aller très loin avec le Sphinx : les voitures étaient entassées les unes sur les autres, et même avec notre véhicule on était bloqués.
Nerem entreprit de garer "Le Motherfucker" (dans la direction de la fuite, évidemment), et on continua à pied. Il y avait environ encore 1,5km avant d'atteindre l'entrée des Catacombes. Une éternité, à avancer doucement, à se planquer dans les coins, à ramper sous les voitures, à regarder à droite, à gauche, en haut, en bas, devant, surtout derrière.

Et enfin, après une demi heure d'avancée pénible, je repérais l'entrée, obstruée par quelques poubelles et barrières, et totalement à découvert. Trop même semblait dire le visage de Neremsa. La nuit tombait.
On avança aussi vite que possible. Et c'est là qu'on le vit à notre droite.
Un gamin en pleurs. Qui courait vers nous.

- "NE BOUGE PLUS ! hurla Neremsa, peut-être trop fort.

Le gamin s’exécuta, plus pour la grosse voix de l'espèce de viking barbu qui lui faisait face que pour les trois engins cracheurs de feu qui s'étaient dirigés d'un coup vers lui.

- Aidez-moi, ils veulent… me faire comme… à maman, chouina-t-il
- Te faire quoi ?
- HEY VOUS !

Je ne bougeais pas mon viseur de la tête du gamin pendant que Neremsa et Frog se retournaient sur là d'où l'on venait, face à une dizaine d'hommes et de femmes.

- Putain, mais d'où ils sortent ? Y'avait personne derrière, lança Frog dans un murmure que seuls un balafré et un barbu en tenue de combat entendirent.
- RENDEZ-NOUS L'ENFANT ET TOUT SE PASSERA BIEN, VOUS ÊTES ENCERCLÉS !

Le murmure de Frog reprit de plus belle.

- Mais… Ils sont que dix !

C'était pas l'avis de Neremsa, ni le mien.

- Combien de ton côté Nerem ?
- 50, au bas mot. Et toi ?
- Une petite centaine, planqués derrière les voitures au coin du bâtiment à moitié écroulé à deux heures. Y'en a aussi dans les ruines du bâtiment en question mais je vois pas combien.
- QUE VOULEZ-VOUS AU GOSSE ? gueula Neremsa.
- JE SUIS SON PÈRE !
- POURQUOI EST-CE QU'IL VOUS FUIT ALORS ?
- FRANCHEMENT AVEC CE QU'IL S'EST PASSÉ, VOUS CROYEZ QUE N'IMPORTE QUEL GOSSE N'ESSAIERAIT PAS DE FUIR TOUT ET N'IMPORTE QUOI ?
- Nerem. Frog.
- Quoi ?
- Regardez leurs mains.

Les mains de ces types tremblaient toutes.

- Maladie de Kuru.

Nerem comprit pas tout de suite. Mais Frog oui.

- Cannibales…
- Ou pires.
- Pires ?
- Des instances de 742-1. Ça expliquerait pourquoi ils veulent le gosse, plus de cellules souches pour se nourrir. Et pourquoi ils ont attendu la nuit pour se montrer. Si c'est des 742-1 faites gaffe à leur haleine et à leur morsure. La première est chargée en amnésiques qui vous feront tourner la tête et la deuxième vous paralysera.
- Feu à volonté ? demanda Neremsa
- Pas une bonne idée. Si y'a ne serait-ce que quelques cas de 742 qui ont atteint Paris… commença Frog.
- Ça veut dire qu'il y'a au bas mot une centaine de milliers d'infectés dans les trois kilomètres à la ronde, qui se ramèneront au premier coup de feu. Et là on parle que d'un SCP. Va savoir si y'en a pas d'autres. C'est la merde, décrétais-je.
- On fait quoi ?
- On leur file pas le gosse. Ils nous fonceront dessus de toute façon. J'espère que vous êtes bons à la machette. Frog, à mon signal tu me vires les saloperies devant cette porte. Elle a l'air solide, on pourra s'enfermer sans qu'ils puissent la péter. Nous on va les retenir pendant ce temps avec Grym. Prends le gosse avec toi, je vais essayer de gagner du temps avant qu'il chargent.

Le plan de bataille était en place. Mais Neremsa connaît la loi de Gamelin, et moi aussi.
Aucun plan de bataille ne survit au contact de l'ennemi.

- Viens par là gamin, va avec Frog, c'est le monsieur là bas, et tu le suis quand il te le dira. D'accord ?
- Pourquoi vous avez plein de cicatrices ?
- C'est une longue histoire, allez va.
- QUE COMPTEZ-VOUS FAIRE UNE FOIS QU'ON VOUS AURA DONNÉ LE GOSSE ? cria Neremsa.
- EH BIEN NOUS ALL-

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que Neremsa gueula.

- GRYM, FROG, MAINTENANT !"

Effet de surprise, afin qu'ils puissent pas se positionner comme ils le veulent, même si c'était peut-être déjà trop tard. Mais chaque seconde de gagnée était vitale.
ENFIN.
Je remis mon P90 en bandoulière et dégainais ma machette. Neremsa fit de même, pendant que Frog débarrassait la porte de tout ce qui la bloquait, aidé du gamin qui avait vite compris que de l'aide n'était pas de trop.

Je passais devant Neremsa, les virus, les amnésiques, et les paralysies ne m'affectant quasiment pas, il valait mieux que je sois en première ligne, et le plus devant possible, histoire de gagner du temps sur la distance infectés-porte.
Il faut dire que la machette m'avait salement manqué. Ces saloperies avaient peut-être un putain d'arsenal biologique, mais elles ne savaient pas se battre. Et moi j'adore chanter.

"Et Hop ! J'te découpe la tête, façon Clef !
Et une jambe en moins pour O5-1 !
Et tu vides tes entrailles pour le regretté Aleph !
T'es un peu grasse ma pauvre, je te déleste d'un sein !"

En joignant le geste à la parole.
Nerem s'en tirait bien, mais on commençait à être submergés.
On en tuait deux d'un geste leste et létal, huit autres arrivaient. Je me demandais ce que branlait Frog, derrière nous.

-" FROG ! T'AS BESOIN D'UNE NOTICE OU BIEN ?
- J'Y SUIS PRESQUE, 10 SECONDES, Y A UN PUTAIN DE CADENAS !
- ON A PAS 10 PUTAINS DE SECONDES ! Gueula Nerem

Ça me rappelait les nazis. La jungle, ses enfoirés qui me tiraient dessus. En pure perte. Ça me rappelle le dernier labo. SCP-500. Et l'assistant de Mengele. Mengele
MENGELE

Le monde devint rouge. De leur sang. La rage sortait par chacun de mes membres. Rien n'était trop sanglant. Trop brutal. Un d'entre eux réussi à me mordre, pendant que j'entendais des cris au loin. Je lui enfonçais la machette du haut de son crâne jusqu'à l’œsophage en représailles, quand une main gantée de cuir m'attrapa par le col.

-"GRYM ! Z.E. OUVERTE ! ON DÉGAGE PUTAIN !"

Je repris mes esprits et courais vers la sortie. Ou plutôt l'entrée. Un des 742-1 réussit à rentrer avant qu'on puisse fermer la porte avec un loquet assez solide pour tenir une charge de rhinocéros. Le pauvre, je pense que lui-même comprit son erreur avant que Frog inaugure son dernier achat. On entendit les autres tambouriner à la porte qui ne céda pas d'un millimètre.

-" Putain Grym ! Tu pensais à quoi ? m'engueula Neremsa.

Il était couvert de sang, pas le sien apparemment (et heureusement), et j'étais pas mieux.

- Désolé… Tout ce bordel… Paris… la Résistance, la machette, les combats… ça me rappelle… enfin tu vois ce que je veux dire.

Il comprit. Et il m'emmena plus loin, hors de portée des oreilles de Frog et du gamin.

- T'as quand même failli nous faire tuer putain ! Je sais que c'est pas facile, mais ça l'est pour tous. Essaie de te contrôler, ou vois avec Frog pour arranger ça. Je veux plus voir ce genre de choses se reproduire, c'est clair ?
- Oui. Ne t'inquiète pas.
- T'as été mordu ?
- Bof que je sois mordu ou pas, même s'ils arrivent à m'infecter, c'est pas vraiment un problème tu sais.
- Bien.

On revint voir Frog et le gamin.

- Problème réglé, annonça Nerem. Pourquoi tu fais cette tête Frog ?

Il était blême. Et son regard se posa sur l'épaule du gamin.
Une trace de morsure. Datant de quelques heures peut-être. Allez savoir comment le gamin s'en était sorti malgré la paralysie. Mais visiblement ils avaient injecté le virus dans l'artère.
Ils voulaient le récupérer, non pas pour le bouffer, mais pour qu'il grossisse leur rangs.

- "Nerem. Frog. Venez là, bouge pas gamin, on va juste parler.

Une fois éloignés, je repris.

- On ne peut pas le garder. Il va atteindre un stade d'infection où il va essayer de bouffer tout ce qu'il trouve. Nous y compris. Il risque également de vouloir aider ceux qui l'ont infecté.
- Tu veux dire que…

Je sentais que Frog était choqué.

- Oui. Je vais m'en charger.
- Grym… commença Neremsa
- On a pas le choix.

Son silence était une approbation.
Je me rapprochais près du gamin.

- "Hey gamin, ça va mieux ? Comment tu t'appelles ?
- Noa.
- Tu veux faire quoi plus tard, Noa ? Docteur ? Moi je suis docteur, tu sais.
- Non, moi je veux faire astronaute ou pompi-

Il ne vit pas le flash entre ses deux yeux. J'ai fait vite. J'aurais préféré ne pas inaugurer ainsi le Colt M1911 que m'avait donné Neremsa.
Il est parti en pensant à ses rêves. Maigre consolation.
Jamais je n'ai autant détesté ce boulot. Mais on ne rejoint pas la Fondation pour faire des choses agréables. On rejoint la Fondation pour faire les choses nécessaires.

Nerem et Frog me regardaient d'un air grave. Ils comprenaient. Ils n'approuvaient pas, ni ne désapprouvaient pas. Je sais qu'au fond ils préféraient que ce soit moi qui m'en soit chargé.
Neremsa est trop droit pour ce genre de truc, et Frog… même s'il a tué de nombreux classes D lors d'expériences, c'était des meurtriers. Pas des gamins innocents.
Tandis que moi… Je suis déjà perdu de toute façon. C'était mieux ainsi.

Un regard suffit à nous comprendre. Tous les trois. Ce premier combat, ce premier sacrifice venait de nous unifier plus que jamais.
O-23 avait enfin compris ce qui l'attendait vraiment.

"On continue." Déclara sobrement Nerem.
On avança tous dans les ténèbres des catacombes et de nos consciences, laissant derrière nous l’innocence de ce monde se vider de son sang.

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