Les quatre Cavaliers

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Équipe 4 : D-2108, Johannes, Mortarion et Sonitrok

Mortarion

Jour 11 après la chute d'Aleph

Ils hurlent. Ils hurlent encore. Et pourtant ils savent que je ne dirai rien. Je ne les vois plus, mes yeux sont trop tuméfiés, mais je sens une botte s'écraser sur mon visage. Un claquement, et une sensation de chaleur. La douleur et le sang emplissent ma bouche. J'aimerais m'y noyer, mais mon corps ne m'y autorise pas. Je tousse, il me semble qu'une dent brisée y voit son billet de sortie. Je ne la sens même plus tomber, longtemps qu'ils m'ont brisé la mâchoire. Ils hurlent sur un artefact, ils hurlent sur la Fondation, ils hurlent sur moi. Je n'en peux plus. Tous mes doigts sont brisés, je ne sens plus mes jambes. Je veux rentrer chez moi, je veux serrer ma femme dans mes bras, et aller me coucher contre elle pour me réveiller loin de ce monde. Fondation ou pas, personne ne peut dem…

Un coup de feu. La panique. J'entends des cris confus, des ordres, des tirs de tous les cotés. Soit ces connards sont encerclés, soit ils essayent de répliquer sans savoir d'où ils se font baiser. Ils ont dû tous se faire avoir. Plus aucun bruit. Tous morts. Fumiers. Je sens un liquide chaud couler sur mon front. Il pleut ? Non. Je me sens léger… Je n'ai plus mal. Alors la balle était pour moi ? Merci. Mille fois merci. Je peux partir désormais. J'arrive, ma chérie.

« J'ai eu le directeur. On dégage. MAINTENANT ! »

Mortarion rabattit le cache de la lunette du sniper et se releva prestement pour courir vers le véhicule. Le campement de l'Insurrection du Chaos était certes totalement pris de court, mais il n'allait pas tarder à retrouver un semblant d'ordre et à s'organiser pour les traquer.

« Et comme qui dirait, l'effet de surprise c'est comme l'alcool, faut pas en abuser !
- Les mots blessent, vous savez, Kommissaer.
- Fermez-la et conduisez, Sonitrok. »

Le moteur rugit et les pneus crissèrent alors que le 4x4 s'élançait vers la route. Un dérapage plus ou moins contrôlé les emmena sur une autoroute où gisaient quelques carcasses de voitures, témoins rouillés et retournés de l'inutilité face à une fin du monde d'essayer d'atteindre la ville d’à coté. À peu près aussi productif que de hurler des évidences, à genoux sur la banquette arrière.

« ILS NOUS SUIVENT ! »

Dans le regard de D-2108 se lisait la terreur autant que se reflétaient une demi-douzaine de jeeps militaires bondissant sur la route dévastée. Les véhicules blindés d'un vert sombre s'arrachaient à l'horizon pour fondre sur les fuyards dans un hurlement déchirant, agonie d'une mécanique poussée dans ses retranchements. Un bruit désagréable, mais qu'on finit par regretter lorsqu'il est remplacé par des sifflements courts, aigus, cinglants… et caractéristiques.

« Balles traçantes hein ? On oublie trop souvent que ces connards étaient juste une FIM de la Fondation, au départ. Foutus déserteurs. »

Un ricanement résonnant dans son masque, Mortarion faisait claquer devant son œil inquisiteur le barillet de son arme de poing favorite. Traque-Doute, comme il l'appelait, était justement conçue pour ceux qui trahissaient la Fondation, sciemment ou non. Le plan continuait, et l'étape « riposte » arrivait.

« Kommissaer, prêt à tirer ! »

Le signal ne fut pas long à suivre. D-2108 se leva à travers le toit ouvrant, et d'un geste leste, posa le lance-roquettes sur son épaule. Un cri de guerre glorieux fut couvert par le fracas du tir alors que le missile thermobarique s'arrachait à l'arme pour partir en zigzaguant violemment vers les poursuivants. Peu de gens ont déjà pu apprécier la beauté d'une telle démonstration de puissance. Une explosion semblable à une implosion, un souffle comme une inspiration. Surpression, puis dépression. Mais ce jour-ci, aucun des insurgés ne profita de ce sublime spectacle, apogée de la conquête de l'humain sur un engin de mort toujours plus performant, car il se déroula à une cinquantaine de mètres environ derrière leur dernier véhicule.

«- Alors comme ça vous avez fait du tir pendant des années hein ?
- C'est pas pareil qu'avec un arc !
- ….
- Vous laissez jamais les gens finir leurs phrases, aussi… »

Une gifle claqua, une arme changea de main, un homme se leva. Mais de cette organisation huilée et minutieuse, le conducteur d'un rutilant blindé repeint aux couleurs de l'Insurrection ne perçut qu'une seule chose. C'était le cri du cœur d'un ancien soldat, porté par un mégaphone intégré à son masque, face à un monde à qui il ne céderait rien. Le hurlement victorieux d'un combattant face à ces « FISDENKULAY », pour lesquels ce surnom fut le dernier qu'il entendirent avant que la déflagration ne les emporte.

« Sonitrok ? C'est qui eux ? »

Le doigt tendu vers un nuage de poussière au loin dirigeait bien le regard du conducteur sur ce qu'il craignait d'avoir vu. Ils s'étaient fait avoir comme des bleus. Contournés, piégés entre deux feux, ils n'auraient que peu de chances de s'en sortir si ils ne parvenaient pas tout de suite à….
L'allemand s’affaissa sur son volant, tentant de se confirmer ce qu'il avait vu. Mais le constat était aussi évident que profondément négatif. Conciliant, il accepta d'en faire part à tout l'habitacle en des mots simples :

« Mais c'est quoi encore cette merde ? MAIN DU SERPENT DROIT DEVANT ! »

Les suspensions gémirent tandis que Mortarion se laissait tomber sur le siège. Et même pour un esprit plus synthétique et moins porté sur la science, les déductions étaient toutes aussi instinctives. Cependant, il n'eut pas le temps car à la onzième insulte, il paraissait assez clair que cette nouvelle rencontre se fichait éperdument des Mousquetaires de l'Apocalypse, de l'Insurrection du Chaos ou des résultats du dernier match inter-site. D-2108 avait assez vu de peur dans les cellules de la Fondation pour la reconnaître.

« Qu'est ce qu'ils peuvent bien fuir ? »

En retournant son regard vers le pare-brise, il s'aperçut qu'aucune réponse ne viendrait. Le véhicule était à l’arrêt, et rien dans le silence ambiant ne laissait à penser qu'une fusillade avait eu lieu. Sonitrok et Mortarion semblaient se battre silencieusement pour savoir lequel des deux parviendrait à devenir assez blanc pour disparaître. Le seul mouvement fut esquissé par le Kommissaer vers son talkie-walkie, qui emmena lentement entre les filtres de son masque, pour articuler calmement.

« À toutes les unités. Ici le Kommissaer Dragan Mortarion, du Département de Sécurité Interne de la Fondation. Quoi qu'il arrive, ne vous rendez pas sur notre position. Évitez dans un rayon de plusieurs kilomètres la ville d'Agen et toutes ses autoroutes. Considérez-la comme perdue, ou inexistante. Je répète. Quelle qu'en soit la raison, n'approchez pas d'Agen. Ici le Kommissaer Dragan Mortarion. On a retrouvé SCP-682. »

La main redescendit lentement vers le chargeur, et déposa la communicateur. La terreur se décline de bien des manières, mais il en existe une qui surpasse de loin les autres. Elle paralyse, elle ne laisse aucun doute. C'est une boule, dans l'estomac, une nausée froide, la goutte de sueur dans votre nuque. Ce sentiment de vide, de vertige. Pas d'adrénaline. Un froid soudain, l'impression que le silence vous hurle de mourir avant qu'il ne soit trop tard. La peur la plus sourde, la plus primitive, la plus profondément ancrée dans un instinct qu'on ne se connaissait même pas.

Seul le rugissement les fit bondir hors de ce calme chaotique. Une sensation de flou, l'impression d'être dans un cauchemar, ou dans une histoire pour nouvelle recrue. De la confusion, des hurlements qu'on entend sans comprendre. Des tirs, un demi-tour, de la panique. On se tourne, on voit des humains qui tentent de fuir. On ne sait pas ce qu'ils ont de différent de nous. Mais on regarde leur regard paniqué alors que leur pneu arrière droit éclate. De l'incompréhension dans leur regard. On pourrait croire qu'on y verrait de la haine, de la haine pour le mauvais sort, de la haine pour l'homme masqué qui venait de tirer, de la haine pour celui qui les avait sacrifiés. On voit dans leur yeux qu'ils n'arrivent même pas à ressentir le moindre ressentiment. Ils ont trop peur de la mort. Ils ont trop peur de ce qui hurle en galopant vers eux. Bien pire que la mort. On détourne les yeux, mais on sait ce qui leur arrive. Des hurlements. Certains meurent silencieux, contemplant leur bassin sectionné. D'autres crient et pleurent une vie qu'ils ne retrouveront jamais, un parent auquel ils pensaient ne plus penser. Mais tous meurent comme des humains. De fragiles, pathétiques, impuissants humains. Des tonneaux. La jeep qui s'écrase dans le fossé. Je sens des mains me tirer vers l'extérieur. On me gifle, encore et encore. Je vois la peur la plus profonde dans celui que je croyais insensible. Je dois vivre. Je dois courir. Je ne pense plus à rien. Je cours. Pas besoin d'une direction. Je sens un liquide chaud contre ma jambe.

« SONITROK ! SUIVEZ-LE, PUTAIN ! ABANDONNEZ LA VOITURE !
-JE PEUX PAS ! COUREZ ! »

Mortarion avait beau crier, le docteur contournait la voiture en courant, ouvrant le coffre à voler pour en arracher le faux plancher. Il en tira une petite silhouette qui se jeta dans ses bras en hurlant de peur.

« QU'EST CE QU'IL FOUT LÀ ? VOUS AVIEZ DIT…
-TA GUEULE ! »

Les yeux arrondis du Kommissaer ne suffisaient pas à exprimer sa surprise. Mais pourtant, le blousard n'avait jamais eu autant raison. Et il était déjà une vingtaine de mètres devant lui, courant en serrant contre lui son unique fils.
Et les quatre membres de l'équipe numéro 4 étaient ainsi lancés à travers champs. Une silhouette orange floue, courant les bras au dessus de la tête, un vieil allemand qui ne courait plus vraiment pour sa propre vie, et un retardataire au masque sifflant sous l'effort.

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