La vie cachée de Monsieur G, partie 1 : Naissance d'un monstre

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Équipe 1 : Frog, Grym, Neremsa et Deous

Grym

Jour 130 après la chute d'Aleph

"Okay. Récapitulons. Je me suis cloné, et je suis en train d'explorer mon propre esprit à la rencontre de mes souvenirs pour restaurer la mémoire que j'ai perdue. Et là, je suis en train de parler à quoi ? Mon subconscient ? Tu es qui, exactement ?"

Le Grym de Gizeh, le Docteur Grym, esquissa un sourire carnassier, et se prépara à répondre au pauvre type qui s'était réveillé amnésique dans une chambre d'hôpital quelques semaines auparavant, bref, à me répondre.

"Une sorte de mélange. Une sauvegarde. Un souvenir formé par d'autres souvenirs. Je suis le Grym qui s'est fait griller le crâne en Égypte et qui t'observe faire n'importe quoi depuis des semaines en t'envoyant des signaux pour revenir petit à petit. Et je dois dire que ça a presque marché."

Je pris un moment histoire de digérer les informations.

"C'est bon. Je comprends. Et maintenant, on fait quoi ?"

"Tu te souviens des flashbacks que tu avais ?"

J'opinais. Le Docteur continua.

"Eh bien, cher François - ne m'en veux pas, mais je me refuse à ce que tu portes le nom de Grym - tu as constaté que cela te faisait redevenir toi-même, enfin, que cela te faisait redevenir moi, n'est ce pas ? Et bien, je vais te faire faire le tour du proprio de la boutique des souvenirs défoncés par ce cher Hanz en partenariat avec EDF. Première étape, on va sortir de cette salle."

En effet, il me tardait de m'en aller de la salle sinistre où j'avais repris conscience. Je me mis à suivre le Docteur, qui ouvrit une porte qui n'était pas là auparavant, et qui ouvrait sur un vaste champ enneigé. Au loin s'élevait un bâtiment, semblable à un fort.

Après quelques pas en dehors de la salle, qui avait désormais disparu, le Docteur marqua une pause.

"J'espère que tu es prêt. Si j'étais toi, je me mettrais à courir. "

Je lui lançai un regard interrogateur.

"Pourquoi ?"

Il désigna le ciel de son index. Il commençait à neiger. Des flocons de neige allaient s'écraser sur le sol.

"De la simple neige ?"

"Nous sommes dans mon esprit. Neremsa ne t'a pourtant pas épargné un petit descriptif de ma résistance à la torture, non ? Tu croyais vraiment venir ici sans y croiser aucun piège ?"

Je ne compris que lorsque le premier flocon s'écrasa sur mon avant bras droit.
Une brûlure intense irradia dans tout mon corps, et des images vinrent par la même.

De la jungle, des odeurs de brûlé. Des flammes.

Le Docteur eut juste le temps de souffler dans mon oreille, avant que je ne me mette à courir.

"Il ne neige pas dans le bâtiment. Cours là bas."

Je me mis à sprinter comme jamais, alors que d'autres flocons, par centaines, s'écrasaient sur moi, de toutes parts, avec à chaque fois, des images, des sons, des odeurs, venant d'endroits et d'époques que je ne connaissais pas.

La course vers le fort me sembla interminable. Je ne saurais pas dire combien de temps elle me prit. Et encore moins combien de temps cela représentait dans le monde réel. Peut être avais-je passé cents ans ou dix secondes là-dessous. Qui sait. Toujours était-il que le Docteur m'attendait une fois l'immense porte du fort franchie.

Je m'écroulai au sol, alors que le Docteur s'accroupissait auprès de moi.

"Ceci n'est pas une douleur physique. C'est juste une douleur que tu ressens dans ta tête. Intéressant comme concept, d'ailleurs, vu que tu es dans ta tête !"

Et il éclata de rire.

"Tout… tout ça. C'est… ?"

Le Docteur reprit un air sérieux et répondit.

"Une défense contre les intrus. Si certains viennent ici en quête de souvenirs, je leur donne des souvenirs. Une existence de douleurs, gratuitement. Tout ce que tu as senti, tu l'avais déjà ressenti. Tu l'as juste oublié. Debout maintenant, il y a beaucoup de choses que tu dois voir."

Et sur ces mots, il se remit en chemin vers une porte menant dans un des bâtiments du fort.
Et je le suivis dans les entrailles de l'édifice.


L'intérieur du fort était un labyrinthe géant. L'ensemble n'avait ni queue ni tête, et était parsemé de portes accompagnées chacune d'un écriteau.

"On commence par là. On va faire vite, j'ai cru comprendre que tu étais pressé. On va passer par l'essentiel, le reste reviendra de lui-même plus tard."

Et le Docteur ouvrit une porte qui portait l'écriteau "Normandie - 1944"

La porte menait vers une pure boucherie. Face à moi, en contrebas, s'étendait une plage et des milliers de corps. La mer était rouge. Nous étions entrés dans un bunker. La porte par laquelle nous étions rentrés avait elle déjà disparu. Drôle d'habitude de mon esprit de tout effacer en permanence, décidément.

Le Docteur se tenait assis sur un tabouret sur le côté du bunker et déclara :

"Attention, mesdames et messieurs, 3…2…1…"

Comme pour compléter son décompte, la porte du bunker s'ouvrit et laissa entrer plusieurs officiers allemands, armés de MP40. Ou du moins c'est ce que je croyais. Je reconnus avec surprise le Gros Paul, un ami résistant qui avait à l'époque dérobé les plans des V2 nucléaires si chers à Heinkel. Si chers qu'ils avaient poussé le nazi à s'infiltrer dans un groupe de résistants.

Mais il n'était pas seul.

Derrière lui marchait… moi. Ou du moins le François, ou Grym, de l'époque.

Je lançai un regard au Docteur. Exaspéré, il leva les yeux au ciel, et, d'un claquement de doigts, arrêta l'ensemble de la scène, qui fut comme figée dans le temps.

"Le premier truc que tu as fait une fois sorti de Ravensbrück, ça a été de retrouver le Gros Paul et de tout lui raconter. Suite à son succès dans le vol des plans des V2, les gros bonnets ont pu trouver à temps l'emplacement d'une usine produisant de "l'eau lourde", un élément indispensable à la création d'une bombe atomique, quelque part, dans un endroit nommé Télémark. En Scandinavie. Les quelques fous qui ont sauvé le monde l'ont fait en neutralisant cette usine, à un contre cent, dans la neige, et à ski. Et personne ne se souvient d'eux. Bref, suite à ça, Londres lui a filé une mission plus importante. L'extraction d'un objet anormal à quelques kilomètres à peine du Débarquement. Évidemment, il t'a intégré dans son équipe. Problème, l'objet était sur le point d'être bougé, et vous avez dû intervenir pendant le Débarquement, sans pour autant avoir les coordonnées, juste un point de rendez-vous avec des américains. J'espère que t'as intégré, chérie, je remets sur play."

Et d'un "clac" la scène redémarra.

Les allemands présents dans le bunker se retournèrent face aux nouveaux arrivants, et commencèrent à parler à toute vitesse. Le Gros Paul écouta quelques secondes, puis fit signe à Grym-de-l'époque et aux deux autres les accompagnant, et deux rafales plus tard, il n'y eut plus de boches dans le bunker.

Le Gros Paul sortit une carte et l'étala sur une table encombrée par des radios et des chargeurs, quand la porte du bunker s'ouvrit à nouveau, cette fois-ci sur des GI qui s'amusèrent à pointer les occupants encore vivants de l'abri.

L'un d'entre eux gueula tout en tenant en respect le Gros Paul avec son M14 :

"PHOENIX !"

Le résistant déclara calmement :

"Pic à glace. Vous êtes en retard."

Les armes s'abaissèrent. Celui qui avait gueulé posa son fusil à côté de la carte sur la table, ainsi qu'une pierre étrange, et souffla un moment avant de reprendre, dans un français quasi parfait :

"Vous nous excuserez, ce rock a beau nous rendre invisible, il ne nous rend pas résistant aux balles des MG42. Vous êtes Big Paul, right ?"

"Et vous devez être le capitaine McGarett ?"

"Exactly"

Le capitaine ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans, et était déjà couvert de sang. Il alluma une cigarette et demanda :

"On se met au travail, now ?"

Et la scène se figea à nouveau.

Le Docteur se leva.

"On en a fini avec cet épisode-là. Tu as sauvé la vie de McGarett en récupérant l'objet en question, une sorte de boule de cristal qui donne la vision sur les camps ennemis, les alliés ont ensuite fait une percée en Normandie, et le Gros Paul est mort d'un tir d'artillerie. Vous êtes arrivés à Paris avant la 2ème DB du Général Leclerc, vu que les gros bonnets à Londres voulaient que vous transfériez l'objet à un type à Paris. Et c'est là que continue notre histoire."

Il désigna une trappe qui portait l'écriteau "Paris - 1944" dans laquelle il se trouvait déjà.

La trappe menait à une cave éclairée tant bien que mal une table ronde où étaient assis trois personnes : McGarett, habillé en civil, un homme d'une cinquantaine d'années, et de nouveau Grym-de-1944.

Le Docteur s'empressa de donner des explications, alors que McGarett déposait un globe de cristal sur la table.

"Le type, entre toi et McGarett, c'est Sir Henry Brackford, le tout premier premier secrétaire général de la CMO. Un groupe d'intérêt aussi important que l'Insurrection, qui a toujours préconisé la destruction des objets anormaux, et qui fricote de très près avec la sphère politique. Bref, un futur gros bonnet qui s'ignore."

McGarett prit alors la parole, au moment où le Docteur finissait sa phase.

"Voici l'objet, sir."

Brackford prit l'objet entre ses mains, son regard allant du globe à McGarett, et de McGarett à Grym-de-1944.

"Le globe de Messing… Enfin nous le récupérons. Où sont les autres membres de votre équipe ?"

"Morts, sir."

Brackford fronça les sourcils.

"J'ai moi-même failli y rester, sir, s'il n'y avait pas eu Mister G."

Et McGarett désigna Grym-de-1944, puis reprit sa déclaration.

"Sans lui, je ne serais plus en vie. Et jamais le globe n'aurait été ramené à bon port. Je crois d'ailleurs qu'il a une request à vous soumettre."

Brackford observa longuement Grym-de-1944.

"Je vous écoute."

"Je sais que vous vous êtes intéressés à un chercheur allemand. Un certain Krugg. Gros Paul m'en a parlé. Je suis également à sa recherche, et d'après mes renseignements, il s'est réfugié à Paris il y a quelques mois, vers janvier 44. Malheureusement, je n'ai toujours pas pu mettre la main dessus. Est-ce que vous savez quelque chose de plus que moi à ce sujet ?"

Sir Henry Brackford se redressa sur son siège.

"J'ai des informations à son sujet. Fraîches, qui plus est. Mais avant de vous les donner, je veux que vous répondiez à une question."

"Allez-y."

"McGarett vous appelle Mister G.. Et vous demandez des renseignements qui ressemblent beaucoup à ceux qui ont été demandés à des soldats allemands un peu partout ces dernières semaines dans Paris. Ceux qui ont survécu, à ces "questions". Ils n'avaient qu'un nom en bouche. Dois-je comprendre que vous êtes ce fameux "Grym" ? "

"Vous avez juste, monsieur."

Le quinquagénaire leva un sourcil. Puis se saisit d'une plume présente sur la table, et inscrivit une adresse sur un bout de papier qu'il tendit à Grym-de-44.

"Il résidait à cette adresse, chez un collabo, mais il s'est fait petit dernièrement. Pas fou, il a senti le vent tourner. Je serais vous, je me hâterais, il est en train de préparer sa fuite, et a déjà couvert ses arrières en Allemagne. Un de mes agents doit passer là-bas demain, mais le connaissant, pas sûr qu'il laisse la source en vie. Bonne chance, Mister G."

La scène se figea suite à un nouveau claquement de doigts du Docteur.

"On avance de quelques heures. Allez."

Il poussa violemment une armoire adossée à un mur, qui révéla une nouvelle porte, qui elle, donnait sur le labyrinthe initial.

Je m'interrogeai :

"Nous sommes de retour dans le fort du champ enneigé ?"

Le Docteur s'esclaffa :

"Comme si nous l'avions quitté !"

Sur ces mots, il défonça d'un coup de pied une porte également nommée "Paris 1944".

Et il enchaîna :

"Donc, Paris, quelques heures plus tard, à l'adresse que t'a donné Brackford. Évidemment, pas de Krugg. Par contre, y a le collabo qui l'a hébergé. Une belle petite ordure tirée de son lit par un grand méchant balafré. Je t'épargne la partie où tu t'amuses à vérifier si certaines de ses articulations sont compatibles avec divers objets métalliques, et la partie où il te file le code de son coffre planqué sous un tableau, avec dedans, un paquet de renseignements utiles. Le plus intéressant, ça arrive maintenant."

Nous entrâmes dans une pièce sombre. Il devait être tard. Une horloge indiquait 1h13 du matin.

Grym-de-44 était dans le fond de la pièce, à trafiquer un coffre encastré dans un mur, quand tout d'un coup, la porte d'entrée s'ouvrit à la volée, dévoilant une jeune femme dans la vingtaine et un adolescent qui ne devait pas avoir plus de 15 ans.

Grym-de-44 se retourna. Entre lui et les nouveaux arrivants se trouvait la chaise où était ligoté le maître de maison, chaise qui générait une flaque de sang importante au beau milieu de la scène.

La jeune femme leva une arme de poing en direction de Grym-de-44.

"Qu'est ce que c'est que ce bordel ?"

Le jeune immortel esquissa un sourire.

"Désolé, j'ai eu la main lourde. J'imagine que vous êtes là de la part de Sir Brackford ?"

La jeune femme eut l'air surpris, mais n'abaissa pas son arme. Grym-de-44 continua.

"Ne faites pas cette tête. Je vais vous épargner du temps. Krugg n'est plus là. Évaporé. Mais notre cher ami m'a donné quelques renseignements… attendez voir."

Le balafré se retourna et termina sa besogne avec le coffre, qui s'ouvrit. Grym-de-44 y plongea la main et en sortit une pochette remplie de papiers.

"…et voilà. Le sauf-conduit de notre ami ci-présent. Les renseignements relatifs aux 10 membres du comité de recherche scientifique qui ont autorisé les expériences du camp de Ravensbrück. J'imagine que ça vous intéresse autant que moi, ai-je raison ? Veuillez notez que nous n'en sommes plus qu'à neuf personnes, notre cher ami Hanz Heinkel nous ayant quitté dans les ruines dudit camp, enterré par votre serviteur."

A ces mots, la pétoire s'abaissa, et le jeune garçon bondit.

"Vous étiez à Ravensbrück ?"

"Affirmatif, et pas pour mon bien."

La jeune femme sembla troublée.

"Vous y étiez prisonnier ? Dans le camp auxiliaire ?"

"Si par auxiliaire vous entendez la foire aux monstres et autres expérimentations amicales de Monseigneur Krugg, c'est oui."

Le jeune homme trépignait.

"Y avait-il un anglais ? Un grand brun, nommé John ?"

La femme ajouta.

"Il avait la quarantaine."

Grym-de-44 eu soudain l'air plus sérieux.

"Avait-il une cicatrice près de l'oeil ?"

La jeune femme semblait trembler à présent.

"…une blessure dans les tranchées en 17."

L'immortel baissa la tête.

"Je suis désolé. Il n'y a pas eu d'autres survivants. C'était un parent ?"

Le jeune homme s'effondra. La jeune femme resta plus digne.

"Notre père."

Elle s'avança vers l'homme ligoté à la chaise.

"Tu es sûr d'avoir tout tiré de lui ?"

L'immortel opina.

"Tout. Même certains de ses tendons."

"Bien."

Et elle vida son chargeur sur l'homme, en partant des jambes jusqu'à la tête.

Elle laissa tomber le chargeur vide et le remplaça par un autre, sorti de sous son manteau.

"Tu viens avec nous. Les SS ne vont pas tarder. Winston, debout, on dégage."

Grym-de-44 se dépêchait de mettre les documents du coffre dans l'intérieur de sa veste quand la femme se retourna.

"Au fait, je ne t'ai pas demandé ton nom."

"Je m'appelle Grym. Juste Grym."

"Enchantée… Grym. Je m'appelle Caitlyn Mahbit, et voici mon frère Winston, services secrets britanniques. Maintenant, bouge, ou tu vas finir à nouveau dans un camp."

Clac

J'avais à peine remarqué la présence du Docteur.

"Charmante, n'est ce pas ? Dire que c'est en discutant le bout de gras littéralement que j'ai, enfin, que tu as connu ta femme. Ça vaut toutes ces conneries de Tinder, crois-moi. Ah oui c'est vrai, tu ne connais pas ça non plus. Tu ne connais pas ta chance. Bref. Toujours est-il que la demoiselle là et son frérot ont fait partie des premiers agents de terrain de la CMO. Et fallait voir la donzelle, mon pote. Éduquée à la dure par un militaire gradé, elle a parlé 4 langues à ses vingts ans. Sérieusement, tu as entendu un accent quand elle l'a ouverte ? Même pas. Enfin bref. Fallait pas lui voler dans les plumes si tu voulais pas finir dans les pommes, crois-moi. Une femme de goût et de caractère. Enfin bref, on passe. Andale !"

Et une nouvelle porte apparut soudainement.

"Paris 1944"

Je me tournai vers le Docteur.

"Dis, si on avance à ce rythme, je suis pas rendu."

Mais celui ci était déjà dans mon dos, passant la porte.

"Ne sois pas impatient. Tu regretteras vite les temps de guerre à l'ancienne, profite."

J'avais donc eu une femme. Étrange, et normal à la fois, pensai-je, alors que je passais à mon tour la porte qui menait vers un Paris en fête, et plus précisément dans un café de Montmartre, où étaient attablés Brackford, Winston, Caitlyn, McGarett… et évidemment, Grym-de-44.

"…ne nous détendons pas, ce n'est même pas une accalmie. Des tonnes d'objets anormaux potentiellement dangereux sont désormais sortis du contrôle de l'Axe. Les Russes ne vont pas tarder à rencontrer les américains à Berlin. Et là est le risque. Nous ne pouvons pas laisser un climat de tension s'installer dans le monde du paranormal. Il y a bien certains groupes qui assurent un certain contrôle, mais ils ne dépendent d'aucune autorité. C'est pour cela que les Alliés se sont réunis et ont convenu de la nécessité d'un groupe qui gérerait l'ensemble de ces artéfacts. Et c'est là que j'ai besoin de vous."

Brackford déroulait son exposé devant les compères, alors que dehors se fêtait la libération de la capitale.

"McGarett, il vous faut rentrer aux États-Unis. Nous comptons créer une structure internationale dès maintenant et j'ai besoin de gens de confiance comme vous là-bas. Winston, mon garçon. Je ne peux pas t'envoyer sur le front, et cette fois-ci, ne crois pas pouvoir suivre ta soeur à mon insu de nouveau. Je vais avoir besoin d'un assistant pour mener la bataille sur nos terres, en Angleterre."

Winston tenta dans un premier lieu d'ouvrir la bouche en signe de protestation, puis se ravisa, compte tenu de la proposition en or qui s'offrait à lui.

"Caitlyn, Mister G., j'ai besoin de vous à Berlin, dès que la capitale sera tombée, la plupart des groupuscules liés à l'anormal (qui se sont donné le nom de groupes d'intérêt, notez), vont se réunir là-bas. J'ai besoin que vous les joigniez à notre cause, autant que possible. Nous avons la plus grosse structure, nous pourrons dicter les lois, il nous manque juste l'unité, désormais."

Caitlyn regarda Winston, puis "Mister G." et déclara.

"Hors de question."

Brackford leva un sourcil, comme à son habitude.

"Je n'irai pas à votre petite réunion. Ma cible, c'est Krugg. Et il en va de même pour Winston et Grym. C'est ma priorité."

Brackford pouffa.

"Et que pensez-vous qu'un gros bonnet de l'anormal comme Krugg va faire, en voyant une opportunité de se racheter aux yeux du beau monde comme celle-ci ? Il sera sûrement à Berlin, lui ou au moins un des noms qui reste sur votre liste des 10 membres du comité de recherche scientifique de Ravensbrück. Même si vous n'aurez pas Krugg là-bas à tout les coups, vous aurez un de ses acolytes, et donc des informations. Quant à Winston, il mènera avec moi les recherches d'une façon plus internationales, en utilisant les informations que recevra l'agence. Je vous offre un parfait placement en récompense de vos efforts pendant la guerre, ne le rejetez pas bêtement."

Caitlyn sourit. Le vieil homme avait tout prévu.

"Bien. Ça me va."

Brackford continua, comme si elle avait parlé pour Grym-de-44 et Winston.

"McGarett, vous avez un avion dans deux heures. Vous feriez mieux de préparez vos bagages, nous resterons en contact."

"Bien sir."

L'américain se leva. Il baisa la main de Caitlyn, serra celle de Brackford, puis celle de Winston, puis donna une franche accolade à Grym-de-44.

"Je te dois toujours une vie que je ne pourrais jamais te rendre, my friend. Si jamais tu as besoin de anything, viens me trouver, peu importe l'heure."

L'immortel sourit.

"I promise, my friend."

L'américain fut presque surpris d'entendre sa langue natale. Le balafré haussa les épaules.

"Caitlyn is teaching me some trucs."

Et l'audience de rire à tout va, excepté Caitlyn, qui semblait courroucée de voir une telle erreur formulée par son élève.
Une fois remis, McGarett apostropha le balafré.

"Et, please, appelle-moi Sam, mon ami. McGarett, c'est… too… formel ?"

Clac

Et le Docteur reprit ses droits.

"Et voilà comment a débuté l'un des plus grands groupes d'intérêt au monde. Autour d'un café, à parler d'erreurs en anglais. Je suis sûr que tu as envie de voir Berlin, mais malheureusement, on doit speeder un peu, alors voici un petit résumé : beaucoup de groupes se sont pointés, Fondation, Main du Serpent (inutile de dire que ça s'est très mal fini quand la CMO a annoncé que sa ligne de conduite était de détruire une grande partie des objets anormaux - tout ceux qu'ils ne pouvaient pas contrôler à 100% en fait), et même l'Insurrection du Chaos, et un tas de groupuscules de moindre importance. L'ensemble s'est fini dans une entente cordiale les premiers jours, et dès que les camps se sont formés, c'est parti en cacahuète. Et au milieu de tout ce bordel, un des noms de la fameuse liste s'est pointé. Il vous a filé les adresses de 6 autres gus. Ce soir-là, tu l'as embrassée pour la première fois. Et plus si affinité. Si seulement tu l'avais réellement connue. C'était une femme magnifique. Pas tant par son apparence, non, ça tu l'as déjà vue. C'était une reine, pas une de ces princesses chouineuses en besoin perpétuel d'aide qu'Hollywood essaie d'instaurer comme modèle pour les gamines, oh que non. C'était un poing américain dans un gant de velours. C'est elle qui t'a tout appris sur l'espionnage d'ailleurs. Enfin tout sauf comment séduire une cible féminine. Enfin, elle a essayé mais quand tu as finalement réussi, elle a agressé ta cible au pied de biche, alors que c'était elle qui l'avait désignée. Une femme de caractère je te dis, j'en ai pas croisé de pareille après elle. Mais je m'égare. Bref."

Le Docteur était dans tout les sens. Littéralement. Il apparaissait partout, alors qu'il déployait son monologue sur Caitlyn, lui qui était d'habitude peu bavard, et semblait ne plus savoir où aller.

"Bon remarque je peux peut-être m'accorder… un petit détour. Viens par là François. Il faut que tu comprennes."

Et il avança vers un coin du labyrinthe en ruines. La porte en fer que le Docteur venait d'ouvrir était visiblement solide, mais était couverte de brèches et de bosses.

"Londres - 1951"

Nous venions d'entrer dans une salle magnifique, décorée d'une main de maître. Il y avait des tapisseries, des porcelaines, des meubles travaillés, un lustre, une table et quatre chaises, dont deux étaient occupées. L'une par Caitlyn. L'autre par moi-de-l-époque. Les deux se tenaient les mains et se regardaient dans les yeux.

Clac

Le Docteur était face à la scène, désormais, et venait de figer l'action.

"Regarde, François. Depuis la dernière fois que tu l'as vue, sept ans ont passé. Sept ans où vous avez traqué les 6 noms de la liste, ne laissant que deux survivants, Krugg, et Hirst, un autre scientifique qui avait géré Ravensbrück avant Heinkel. Et pourtant. Elle est toujours aussi belle. Tu l'aurais vue le jour de notre mariage…"

Il semblait émotif. Il en parlait surtout encore au présent. Mais même si je devais avouer que Caitlyn ne manquait pas de charme, mes amis m'attendaient, et je ne pouvais pas me permettre de perdre du temps sur des amourettes qui n'étaient plus les miennes, sauf si celles-ci étaient vitales.

"Je suis pressé."

Le Docteur sembla redescendre sur terre.

"Ah oui, c'est vrai. Mais avant je dois te dire autre chose à propos d'elle…"

"Docteur, s'il vous plaît."

"Comme il te plaira. Mais ne te plains pas de ne pas suivre après."

Clac

"Tu sais, G, tu ne m'as jamais dit ton vrai nom."

Caitlyn planta son regard encore plus profondément dans celui de Grym, comme à la recherche d'une réponse.

"Qu'est ce qu'un nom ? Je ne suis plus cette personne de toute façon. Et puis, mon nouveau nom est très bien. Ça a bien fait rire Sam en plus quand je lui ai raconté le truc."

Le balafré s'esclaffa. Pas sa femme.

"Je ne parle pas de ça, Mister Garrett. Et tu le sais. C'est juste une question de franchise. Tu ne parles jamais de… tout ce qu'il y a eu avant notre rencontre. J'ai parfois l'impression que tu ne me fais pas confiance."

L'immortel se renfrogna.

"Ce n'est pas ça. Il n'y a juste rien de bon à tirer de ces années-là. Il y a déjà assez de choses compliquées comme ça, autant ne pas en rajouter, non ?"

La jeune femme enchaîna.

"Mais il faut pourtant que l'on parle de certaines chose, G ! Et tu ne pourras pas les éviter éternellement. Je vais vieillir, G. Toi non. Ce sujet-là, il nous faut aussi l'aborder, mais pas que pour nous, mais aussi pour…"

Elle fut coupée dans son élan par une voix venant d'une autre pièce.

"Oh les amoureux vous en prenez du temps pour faire chauffer du lait !"

Caitlyn et Grym-de-51 ouvrirent des yeux gros comme des ballons. Ils étaient tellement pris par leur discussion qu'ils avaient oublié le lait qui débordait de la casserole, dans la pièce d'à côté.

"Merde !"

Caitlyn se précipita pour limiter les dégâts.

"Va dire à Winston que le lait va devoir attendre un peu ! Il est trop chaud pour le moment, je le crains."

Grym-de-51 s'esclaffa devant le ridicule de la situation et s'élança vers la pièce d'où venait la voix. Pièce qui se révéla être une chambre.

"Désolé, tonton Winston, mais j'ai bien peur qu'à défaut de pouvoir aider à gagner des guerres, nous ne soyons pas capables de faire chauffer du lait !"

Winston, la vingtaine bien entamée, était assis sur un lit, un bambin dans les bras.

"Tu n'es pas sorti de l'auberge, mon pauvre Bruce. Il semble que tu sois déjà entouré de véritables cas sociaux en la présence de tes parents."

Clap

J'avais un fils.
La nouvelle venait de me tomber dessus comme une brique.

"Ce n'est pas ton fils."

Le Docteur était sorti de l'ombre d'un coin de la pièce où se trouvait Winston et l'enfant.

"Quoi ?"

"Il a été adopté. Tu es stérile. Les expériences de Krugg t'ont rendu incapable d'enfanter, mais Caitlyn voulait réellement un gosse… alors… vous avez adopté le gamin. Parents morts dans un incendie. Sale histoire. Tu ne l'as même pas élevé de toute façon."

Tout s'effondrait.

J'avais eu une femme. Un fils. Un beau-frère. J'avais participé à la création d'un des plus grands rivaux de mon employeur actuel. Et tout cela en 7 ans de vie cachée. Il me restait encore 70 ans à explorer, mais j'avais déjà l'impression d'être submergé.

"Ne t'en fais pas."

Je me tournai vers le Docteur. Mais il n'était nulle part.

Puis je sentis sa main sur mon épaule.

"Il n'en reste plus énormément à raconter. Tu as vu le plus important."

Quelque chose dans sa voix. Dans son regard.

Quelque chose m'inquiétait. Soit il était énormément troublé, soit il mentait.

C'est en ouvrant la porte suivante que je compris.

C'est en marchant à nouveau dans le champ enneigé que je compris.

Le pourquoi de la folie de Grym. Ce qui l'avait à tel point traumatisé que même son esprit en avait pris la forme, et l'avait conservé, et ce, même après des décennies. Ce qui l'avait rendu fou, ce qui m'avait rendu fou, se dressait devant moi.

C'était même marqué sur la porte.

"Goulag, quelque part en Sibérie orientale - 1952 - 1960"

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