On m'a appelé ?

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Équipe 6 : Arcaël, Cendres, Hylius et Loïc

Cendres

Jour de la chute d'Aleph

Lac Baïkal, Sibérie

Il faisait froid en Russie. Très froid.
Cassandra détestait cela. Elle avait très heureusement le sang chaud, mais sa partie iguane ne raffolait pas des chutes extrêmes de température. Sa partie humaine non plus d'ailleurs.

Pourtant, elle aurait mille fois préféré se retrouver hors du réseau souterrain, à l'extérieur et sous la neige, plutôt qu'essuyer ainsi les assauts incessants de multiples regards hostiles.
La branche Russe n'avait pas l'habitude d'accueillir des "SCP" parmi leurs membres, semblait-il.

Cela lui donnait envie de fuir, loin de toute présence humaine.
Ça, ou tous les soumettre un par un.
Là où Aaron aurait ployé sous la tension, Cassandra préférait foncer sur l'obstacle. Elle n'était pas outrement téméraire - les iguanes ne sont pas des animaux très courageux - ; en revanche, elle était franchement sanguine - les humains en sont bien capables.

Mais le discours qui lui avait été fait lui revint en tête, et une fois de plus, la jeune femme serra les dents et prit sur elle.

"Vous représenterez la branche francophone lors de cette opération, Docteur."
"Soyez efficiente, ne causez pas d'ennui, respectez vos collègues russes."
"Soyez à la hauteur de notre réputation."
Et bla et bla et bla.

La pression qui lui avait été posée sur le dos était intense. Elle n'était pas ambassadrice, juste informaticienne, et herpétologue à ses heures perdues. Néanmoins, elle avait conscience que causer un esclandre dans une branche étrangère ne rendrait pas bon sur son CV. Entre les incidents avec Tombemine et ses propres colères quotidiennes, elle avait intérêt à se tenir à carreau en ce moment.
Plus, elle était terriblement malade depuis quelques semaines, et se doutait que le docteur, vindicatif et spécialiste en microbes en tout genre, avait quelque chose à voir là-dedans.
Enflure de première.

- "Nos supérieurs sont satisfaits de votre travail, Docteur Cendres."

Un vif sentiment de soulagement envahit l'humanoïde au son de cette voix familière, à peine marquée par un accent russe discret.
Artyom. Spécialiste en langues, qui faisait office de traducteur franco-russe dans le contexte.
Sans lui, Cassandra et Aaron étaient aussi perdus qu'une fourmi le serait dans une termitière.

- "Vos algorithmes permettent à nos robots de fonctionner à merveille. Grâce à vous, nous pouvons étudier SCP-610 de près, sans risquer un désagréable incident. Soyez-sûre que nous saurons remercier chaleureusement la branche francophone de nous avoir «prêté» un tel expert."

Si Cassandra n'était pas rompue aux arts diplomatiques, Artyom, lui, semblait beaucoup plus rôdé. Il avait sans doute reçu de son côté le même genre d'avertissement que l'on avait jugé bon d'adresser à sa collègue française. Tss.
Mine de rien, elle aimait bien le gars en lui-même.
Aaron, lui, l'adorait.

Ses joues sont tellement rouges, on dirait des cerises !

La doctoresse ignora les désirs de fruits qui agitaient sa contre-partie, et remercia Artyom d'un sec mouvement de tête.
Ils n'avaient donc aucun informaticien compétent de disponible pour cette tâche ?! Enfin… Encore quelques jours, pensa-t-elle, et ce calvaire est fini.


Lorsque l'alarme retentit, le docteur Cendres se réveilla en sursaut.
Aaron et Cassandra, par réflexe, voulurent tous deux reprendre le contrôle du corps, et cela résulta en une suite de contortions étranges, qui les firent dégringoler du lit.

Zut, pensèrent-ils d'une seule voix.
De toute façon, le sol est plus confortable que cet espèce de carré de bois, ajouta Aaron.

Il quitta les fonctions corporelles afin de laisser son homologue en charge de ces dernières. Cassandra se releva, les oreilles toujours vrillées par l'abominable sirène, et sans hésiter, se précipita dans le couloir.
L'informaticienne n'avait pas fait face à un grand nombre de brèches de confinement, mais elle se savait déjà capable de reconnaître divers types d'alarmes.
Celle-ci lui était inconnue.
Qu'est-ce que cela pouvait signifier…

XK.
Cela lui revint comme un boomerang dans la figure de son lanceur.

Le pire scénario imaginable. Celui qui ferait sonner, dans toutes les branches de la Fondation, la même alarme stridente. Celui qui instillerait dans le coeur de chaque être un tant soit peu éveillé aux activités de confinement, une peur terrible.
La Fin du monde.

Une main pressa sur son épaule ; elle aurait sans doute assené un rude coup à celui ayant osé la toucher, si elle n'avait pas été aussi tétanisée. De toute façon, ce n'était qu'Artyom :

- "Venez." fit-il, la peur et l'incrédulité faisant ressortir son accent. "Protocole. Bunker. Suivez-moi."

Il était difficile de savoir si c'était la peur qui le faisait babiller ainsi, ou bien s'il souhaitait simplement aller à l'essentiel.
Etait-il spécialement revenu la chercher au lieu de se mettre à l'abri ? Brave homme !

Tout autour d'eux, l'organisation minutieuse et réglée de la branche russe s'était métamorphosée en une cavalcade de visages effrayés. A la Fondation, tout le monde se préparait au pire, pas à l'impensable.
Aaron ne prit pas la peine de communiquer sa terreur à sa compagne : les deux étaient irrémédiablement liés, ils ne mettaient des mots sur leurs intentions que par pure commodité.

Cassandra n'avait aucune idée de comment s'orienter dans ce dédale, mais son traducteur, lui le savait. Elle lui colla donc aux basques, frustrée par sa lenteur.

Un soupir de soulagement s'échappa de ses lèvres écailleuses lorsqu'ils parvinrent devant la porte du bunker. La majorité des chercheurs semblaient déjà les avoir précédé. Des agents russes, le visage tendu mais avec grand professionalisme, accompagnaient les derniers retardataires. Ils étaient tous pourvus de lance-flamme, à ce qu'elle pouvait constater. Ce n'était pas étonnant, vu le type d'anomalie qu'ils contenaient ici.
Le Docteur Cendres tenta de ralentir son coeur affolé, en inspirant profondément.

Je suis en sécurité. Je suis en sécurité.

Elle n'avait qu'une seule envie, celle de grimper au sommet d'une armoire pour s'y terrer sans bouger, le temps que la tempête passe. Aaron approuva, mais vraiment, cela n'était pas la meilleure stratégie de survie.
Mieux valait se terrer ici, sous terre, et prier pour que, loin de cette terre gelée, ses collègues aient réussi à faire de même.

Un cri strident retentit soudainement, la faisant sursauter, suivi par une multitude d'autres.
Ils provenaient de l'intérieur du bunker.

Les agents russes levèrent leurs armes et les braquèrent vers l'ouverture, près à faire feu. Cassandra n'avait nullement envie de se retrouver prise entre un SCP et une fusillade ; elle attrapa donc Artyom par le col et le força à reculer.
Comme quoi, des réflexes reptiliens, ça aide.

Dans l'ombre du bunker, commençait à se dessiner une forme étrange, vacillante, mais définitivement animée. Une figure humaine tituba dans le couloir : un homme, inconnu au bataillon, dont la peau présentait plusieurs éruptions cutanées et cicatrices. Une vraie charpie. Pire que Grym dans ses meilleurs jours.

- "SCP-610…" murmura Artyom avec terreur.

Mince. Combien de temps prenait l'infection pour se répandre déjà ? 3h ? 4 h ? Il lui semblait que cela changeait en fonction de la tempéra….

Les gardes ouvrirent le feu, ayant reconnu eux aussi les premiers signes de l'infection. Une brusque bouffée de chaleur embrasa l'air, faisant treissaillir les sens poussés de l'humanoïde. La silhouette de l'infecté ouvrit grand la bouche en un hurlement difforme, avant d'être dévorée par les flammes.

Cours.

Tous ceux qui s'étaient trouvés dans le bunker étaient sans aucun doute condamnés. Cassandra fit donc volte-face, entraînant avec elle Artyom, et s'éloigna des coups de feu au pas de course. Une fois hors d'atteinte, elle lâcha le traducteur, et lui demanda d'un ton sec :

- "Y a-t-il une autre sortie ?"

Etourdi par le choc et les ballotements qu'il venait de subir, il la fit répéter plusieurs fois, avant d'enfin saisir le sens de sa phrase.

- "Sortie extérieure." fit-il en braquant la main vers le couloir principal. "Véhicule."
- "Parfait !"

Les deux experts se mirent à courir en direction de la-dite sortie, en priant pour ne pas croiser de nouveaux cas de contamination par SCP-610.
Ils n'en croisèrent pas.


C'est avec plaisir que Cassandra constata l'efficacité des agents de sécurité de la branche russe.

Les communications n'avaient pas été coupées, aussi la situation du bunker se trouvait-elle connue de tous. Quand Artyom et elle croisèrent une équipe à la recherche de survivants, dans les environs de la sortie principale, la jeune femme faillit bien finir criblée de balle à cause de son apparence particulière. Mais les gardes étaient des professionels ; une fois qu'ils comprirent qu'il ne s'agissait pas d'un SCP en cavale, ils mirent un point d'honneur à escorter les deux spécialistes jusqu'à l'extérieur.

Aaron se fit la réflexion qu'il aimait bien les russes.

Ce n'est qu'une fois qu'ils furent installé dans un véhicule, emmitoufflés dans plusieurs couche de vêtements chauds, que Cassandra lui laissa le contrôle.

Aaron pointa la langue d'un air curieux, testant les particules qui sillonaient l'air glacial. L'organe de chair regagna bien vite sa tanière : et dire qu'il avait osé de plaindre des longues soirées d'hiver en France.
Un son lui parvint, son nom, légèrement écorché par une langue étrangère. Surpris, l'homme se redressa et demanda timidement :

- "On m'a appelé…?"

Artyom se plaça à côté de lui, silencieux, blafard. Plusieurs autres rescapés se trouvaient dans le fourgon, ainsi que des membres de l'équipe de sécurité. Heureux de le revoir, le reptile poussa un petit gargouilli de joie, qui sonna faux au milieu du silence, avant de se coller à lui, cherchant la chaleur. Le traducteur, évidemment mal à l'aise, se décala : avec le temps, il avait pris l'habitude des frasques de l'humanoïde, surtout lorsque l'ancien iguane se retrouvait en charge des commandes.

- "Aaron ?" supposa-t-il d'un ton morne.

L'être hocha la tête, un sourire béat sur les lèvres. Cassandra sentit qu'il préparait un second assaut envers le pauvre russe.

Arrête-ça.

Docile, Aaron renonça, et s'aménagea un espace libre, malgré les cahots provoqués par le voyage. Cela ne fut pas difficile - tout le monde, sauf Artyom, avait soigneusement évité de se retrouver placé à côté de la doctoresse. Sans considération aucune pour les regards incrédules, elle s'étala sur le banc, replia sa queue le long de son corps. L'on aurait pu croire qu'elle s'était assoupie, tant le rythme de sa respiration était lent.
Mais ses yeux, l'un fendu comme un tronc par le tonnerre, étaient ouverts, et circulaient sur les visages, imprimant chaque expression dans un coin de sa mémoire.

«Ils souffrent. Tous.»
Ils viennent de perdre leur lieu de travail, peut-être aussi leurs amis. Le site du Lac Baïkal était relativement petit. Tout le monde devait connaître tout le monde.
«Et les nôtres ? Et notre communauté ?»

Cassandra ne pouvait pas répondre. Les deux esprits partageaient les mêmes doutes, pataugaient dans la même, douloureuse ignorance.

Aaron ferma les yeux, laissant les ballotements du véhicule le bercer.

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