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Équipe 6 : Arcaël, Cendres, Hylius et Loïc
Loïc
Jour 22 après la chute d'Aleph
C'était encore pire que ce que j'imaginais.
Le ciel était entièrement rempli de gris. Les bâtiments étaient pour beaucoup détruits ou salement abîmés. Et on n’avait pas croisé un seul être vivant depuis qu'on était sortis du bunker. Même les plantes semblaient être en train de crever. Ça m'a fait penser à un hiver volcanique. D'ailleurs, j'aurais pas été surpris qu'un des skips ait vraiment réussi à faire péter un volcan. Mais il y avait aussi cette odeur qui ne trompait pas. La puanteur des cendres. Avec les anomalies et la panique générale, des tas de foyers d'incendies avaient dû se déclarer un peu partout. Résultat, le monde entier devait brûler, et toutes ces cendres s'accumulaient dans l'air, formant un épais rideau gris.
On devait rejoindre l'Atlantique pour essayer de trouver Arcaël. Le problème était de trouver le bon chemin. Les SCP avaient dû se regrouper près des grands centres de population, donc mieux valait les éviter. Tant mieux. Si quelques villages me mettaient au bord de la dépression nerveuse, j'osais pas imaginer mon état si j'avais vu une ville. Un autre problème des villes était les complexes industriels et chimiques laissés à l'abandon. Même les bonnes vieilles centrales nucléaires de notre pays. Y en a au moins une qui a dû péter. Combien de radiations on a encaissées ? Quelle dose de saloperies on a respirée ? Bah, on vivra probablement pas assez longtemps pour voir les premiers stades d'un cancer… Des SCP radioactifs, c'est ça qui m'inquiétait un peu plus.
Hylius conduisait le 4x4 en silence. C'était pas évident avec toutes ces voitures abandonnées. Tous ces gens qui avaient essayé de s'enfuir par la mer, et qui s'étaient retrouvés coincés dans les embouteillages jusqu'au bout. Ça en aurait presque été risible. Au bout d'un moment, certains avaient certainement décidé de continuer à pied ou étaient tombés en panne, condamnant toutes les voitures qui étaient derrière eux. Mais au final, ils étaient presque tous morts quand les skips avaient débarqués. Des véhicules éventrés, quelques morceaux de cadavres à moitié décomposés sur le bord de la route… C'est tout ce qu'il en restait.
Ils n'étaient tout simplement pas prêts. Personne ne pouvait l'être.
Le Hawkei roulait à contre sens sur la voie rapide. Tout le monde allait dans la même direction, mais peu de gens avaient eu l'idée de rouler à contre sens avant de s'être engagés. Au moins, ça nous facilitait un peu la tâche : la voie était relativement libre, on a rarement dû faire demi-tour et ça nous offrait une belle mobilité au cas où on aurait dû filer en vitesse, surtout que le bruit du moteur devait porter sur plusieurs kilomètres.
La vue de ce paysage était quasiment insupportable. Je crois qu'on aurait pété les plombs si on n’avait pas eu de musique. Et le chat d'Hylius aussi. Les manuels de survie conseillent de tuer les animaux pour les bouffer, mais Hylius n’aurait jamais accepté. Et même moi, je ne me sentais pas de zigouiller cette petite boule de poils qui nous apportait à tous les deux un peu de réconfort. De toute façon, on avait assez de nourriture et d'essence pour quelques semaines. Les quelques armes à feu qu'on avait n'auraient certainement pas chatouillé la plupart des Euclide, mais ça nous rassurait, et on en demandait pas plus.
Encore un bâtiment détruit. Encore un arbre mort. Encore des traces de sang sur la route. Alors on monte le son, et on continue de fixer l'horizon. En espérant que bientôt, on y verrait la mer. Que bientôt, on aurait plus à supporter cette vision de désolation totale. On commence à avoir faim. On s'arrête, on déjeune un peu, machinalement, sans en avoir l'envie, et on repart. C'est moi qui conduis maintenant, et Hylius tient la carte et la radio. Malheureusement, je suis obligé de bien regarder autour de moi, de faire attention à chaque détail… et chaque ruine de ce passé est pour moi une autre blessure mortelle.
Enfin, nous y étions arrivés. La mer. Mais elle était toute grise, cette mer. Elle avait l'air presque aussi morte que le reste. Mais on s'en foutait. On avait plus qu'à trouver un bateau pour commencer à chercher Arcaël. Malheureusement, les gens avaient pris ou volé tous les bateaux qu'ils avaient pu trouver. Notre seul espoir était qu'une tempête en ait ramené un sur le bord sans trop l'endommager ou qu'ils aient été obligés de retourner sur le rivage à la recherche de nourriture. C'est quand même moche de devoir compter sur le malheur des autres pour espérer sauver sa propre peau… Mais j'ai peur que ça soit devenu normal.
Coup de bol, il y avait un zodiac sur le bord. Il avait l'air en assez bon état, mais le réservoir était vide et la clé avait disparu. Aucune trace de son précédent occupant, ça m'arrangeait. Hylius essayait encore d'avoir Arca à la radio, mais on avait rien reçu depuis son appel de secours. Fallait espérer qu'il soit toujours en vie, ça allait faire plus de trois semaines maintenant…
Avec la caisse à outils dans la voiture, je pus démarrer le moteur du bateau, changer une ou deux pièces, abîmées par l'air marin, et une ou deux rustines plus tard, le boudin était comme neuf. On l'avait notre bateau. Maintenant, fallait décider ce qu'on faisait de la voiture. Pas question qu'on se sépare, alors on laissa la voiture là (en y réfléchissant, personne ne pourrait l'ouvrir) et on partit sur le bateau avec de la nourriture et de l'essence.
L'eau était assez calme et on avançait vite. Il y avait quelques plages et quelques falaises sympas, quoique un peu ternes, mais c'était bien mieux que ce qu'on avait vu jusqu'à présent. Il y avait aussi quelques villages mais il nous suffisait de détourner les yeux quelques minutes pour oublier. On navigua pas trop loin des côtes pendant un moment, mais, la nuit tombant, on dut ralentir.
Quelque chose attira mon regard au loin. C’était un genre de lueur, ou plutôt un léger rougeoiement.
« Qu'est-ce que c'est ? » lançai-je.
Hylius leva les yeux, fronça les sourcils et manœuvra de façon à éloigner le bateau de la côte. Au bout d'un moment, nous nous étions assez approchés pour voir des flammes lécher l'horizon. Puis on arriva juste en face d'un spectacle aussi magnifique que terrifiant : La Terre entière semblait en feu. Chaque centimètre carré était occupé par cet incendie d'une violence incomparable. On distinguait à peine quelques bâtiments noircis au travers de flammes gigantesques et de la fumée. Il devait y avoir des gens ici… Mais aucune chance que quelqu'un survive à ce brasier.
Nous étions trois, deux scientifiques et un chat, à fixer cette lumière, comme des papillons de nuit attirés par une flamme, les yeux embués par la fumée et l'émotion, à écouter le crépitement du feu au dessus du murmure des vagues, et à sentir la fumée brûler légèrement nos poumons.
« C'est ça l'enfer ? » demandai-je.
Hylius me regarda d'un air sombre. Puis son regard retourna vers l'incendie.
« Non. Ça, c'était Bordeaux. »
Un silence.
« Merde…
– Tu l'as dit. »
Un autre silence, plus long. Cette fois, ma voix se fait presque plaintive.
« Alors c'est fini ? »
Hylius tourna à nouveau ses yeux vers moi, mais cette fois, on pouvait y voir quelque chose de différent.
« Pas encore. »
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