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Équipe 6 : Arcaël, Cendres, Hylius et Loïc
Loïc
Jour de la chute d'Aleph
Je venais d’achever un projet sur Yod lorsque la fin du monde m'est tombée dessus. Notre équipe voyageait par paquets dans des véhicules séparés et je m'étais retrouvé seul avec l'Agent Brett. Au début, il s'était montré plutôt réservé, mais après quelques heures et un repas en sa compagnie, il parlait plus volontiers de lui et de ses deux petites filles, dont une faisait ses premiers jours à l'école. C'était un type bien. Vraiment.
On venait tout juste de passer le second portique de sécurité quand la sirène se déclencha. Brett se tourna vers moi, les yeux écarquillés. Tout le monde à la Fondation apprenait dès son arrivée ce que cette alarme impliquait et la procédure à suivre, mais en réalité, personne ne savait comment réagir. Si vous aviez demandé à un chercheur à quoi ressemblerait un XK, il vous aurait certainement parlé d'une brèche de confinement gigantesque se propageant de site en site malgré le rinçage nucléaire, ou de l'évasion d'un SCP incroyablement destructeur (pour ma part j'étais persuadé que tôt ou tard un des mecs de Montauk finirait par craquer), mais même le plus pessimiste n'avait jamais vraiment imaginé que les anomalies seraient toutes libérées en même temps sur toute la planète.
Il y eut des cris, un grand fracas, des gens qui commençaient à courir dans tous les sens. Brett fit bondir le véhicule en avant, une main sur le volant, l’autre me tendant son téléphone. J'hésitai une seconde, puis le saisis. De l’autre côté, une voix paniquée demandait ce qui se passait. C'est vrai, sa femme est hors-site, pensai-je. Je m’efforçais de maintenir l'appareil près de la bouche de mon collègue, tandis qu'il donnait des instructions tout en conduisant. Il termina avec un "Je t'aime" puis me fit signe de raccrocher. Durant ces deux minutes, nous avions parcouru une bonne partie de la distance qui nous séparait du bunker, mais n'étions toujours pas tirés d'affaire.
Une violente explosion retentit plus loin, puis une deuxième. Un mur s'écroula sur la route, nous forçant à faire demi-tour en vitesse. Et les gens continuaient de courir en hurlant tandis que je dressais mentalement un inventaire des anomalies les plus susceptibles de sortir avant que nous ayons atteint le bunker. Beaucoup trop.
Alors que je regardais le chaos dehors, Brett jura, freinant brusquement, mais c'était trop tard : au détour d’une intersection, une bestiole grande comme un bus défonça la gauche de la voiture et l'envoya valdinguer dans les airs. Le véhicule fit un ou deux tonneaux avant de venir s'écraser sur un mur. Le pare-brise vola en éclats et ma tête cogna violemment contre la portière. Je m'évanouis.
Je repris connaissance la tête en bas, encore attaché à mon siège. Je fis un effort considérable pour tourner la tête vers Brett, mais à la place de son siège, il n'y avait plus qu'un énorme trou sanglant.
Mon épaule droite m’élançait terriblement, ma tête semblait sur le point d’exploser et j’avais de nombreuses coupures un peu partout. Un goût de sang m'emplissait la bouche… mon sang… Je songeai un instant aux charges enterrées puis me résolus : impossible d’atteindre le bunker dans cet état. À travers le voile noir qui troublait peu à peu ma vision, je continuais à entendre les cris de paniques, d'agonie et les explosions.
Je me réveillai bien plus tard, au milieu d'un silence de mort. Un coup d’œil autour de moi. Plus aucun signe de vie. Je ne savais pas combien de temps j'étais resté inconscient, mais apparemment la bombe n'avait pas explosé, et les anomalies étaient parties.
Rester aussi longtemps la tête en bas n'avait pas arrangé mon mal de tête et mon épaule était toujours aussi douloureuse. J'entrepris de décrocher ma ceinture, ce qui me fit chuter de quelques centimètres, m'arrachant un cri bien peu viril, puis m'extirpai de l'épave en rampant sur les bouts de verre brisé.
Contre toute attente j'avais survécu, là, dans cette bagnole. Dans un sale état, certes, mais j'étais tout de même en vie. Bien peu pouvaient en dire autant.
Il fallait maintenant que je trouve un abri et si possible de quoi me rafistoler à l'infirmerie, en espérant qu'aucune saloperie ne m'attendrait à l’intérieur. Je longeais lentement les murs en vérifiant à chaque intersection si la voie était libre. Le sol sous mes pieds n'était que débris. Je passai même au dessus d'un bâtiment administratif, jadis une splendide construction de quatre étages. Qui sait combien de malheureux étaient coincés sous mes pieds ? Je chassai rapidement ces pensées et continuai ma route.
Au bout d'une dizaine de minutes, j'arrivai à l'infirmerie sans avoir rien croisé. J'entrai. Et là, du sang. Partout. Sur les murs, le sol, le plafond… Partout. Et des morceaux. Des bras, des jambes… parfois des têtes, avec des visages horrifiés et tordus par la douleur. Il y avait des gens que j'aurais aimé ne pas reconnaître. L'odeur était insupportable et je ne pus me retenir de sortir pour cracher mes tripes.
Après quelques minutes à prendre l'air, je rentrai à nouveau, me pinçant le nez avec ma chemise et tentant d'ignorer le charnier. Je me jetai sur la première armoire à pharmacie et sortis tout ce qui pourrait m'être utile : anti-douleur, bandages, désinfectants… et me précipitai dehors aussi vite que possible. La nuit commençait à tomber, et je n'avais toujours pas d'abri.
Je me figeai soudainement. Devant moi, à une trentaine de mètres, se tenait une des anomalies sur lesquelles je bossais. Un prédateur comme j'en avais étudié des dizaines. Sauf qu'ici aucune vitre ne me séparait de lui. Carnivore d'environ un mètre quarante au garrot avec un petit look de dinosaure. Très territorial et avec une méthode de chasse proche de celles des grands félins, à savoir s'approcher assez de sa proie pour lui sauter à la gorge. Manque de bol pour lui, je l'avais vu, donc il allait devoir passer au plan B : me courser avant de me sauter à la gorge. Et d'après les enregistrements, il courait vite ce salaud.
Heureusement, il y avait une entrée sur ma gauche qui menait à la chambre de confinement d'un artefact, avec porte blindée, plusieurs sorties dont une menait même à proximité du bunker. Bien sûr il y avait quelques trucs pas sympas à proximité, mais c'était ça ou la perspective d'une mort immédiate et peu agréable.
Je me précipitai donc à l'intérieur sans me retourner, manquant de peu de m'éclater contre un mur, et fonçai sans hésiter à travers les couloirs vers la salle de confinement de l'objet. Après avoir passé un ou deux embranchements, j'entendis deux cris bestiaux derrière moi (apparemment, mon poursuivant avait des ennuis) mais je ne pris pas le temps de regarder. J'arrivai enfin dans la salle et verrouillai immédiatement la lourde porte derrière moi.
J'étais vivant. Le seul hic, c'était qu'il n'y avait plus de lumière ici, et je déteste être dans l'obscurité. Je retrouvais peu à peu mon souffle, tâtant les murs de la pièce. Mon exploration s'arrêta brusquement quand ma tête rencontra un coin en acier. Alors que je reculais en hurlant tout un tas d’amabilités de langage, je trébuchai sur quelque chose de tiède et mou.
Après quelques minutes en boule contre le mur, et constatant que ma tête était toujours sur mes épaules, je me rapprochai de cette chose infâme. Mon pied tapa quelque chose de petit. Je le ramassai. C'était un cylindre en plastique. En le palpant un peu plus, je trouvai un bouton. Et la lumière fut, m'aveuglant un court moment. Ma seule pensée fut alors que les lampes torches étaient sans conteste une des plus fabuleuses inventions de l'humanité.
J'éclairais un peu mon abri. C’était bien l'endroit que je souhaitais mais il y avait quelques soucis mineurs. En premier lieu, le corps d'un agent reposait au centre de la pièce, à quelques mètres de ses deux jambes (j'avais dû trouver sa lampe). Ensuite, pour une raison que je ne voulais pas connaître, le coffre blindé qui contenait l'artefact s'était retrouvé encastré dans un mur en béton, loin des quelques vis et barres de métal tordues signalant son emplacement initial. Il était tellement défoncé que je pouvais voir l'objet qu'il contenait, un genre de vieux glaive abîmé. Et surtout, tout le côté sud de la salle (côté opposé à celui d'où j'étais arrivé) s'était complètement effondré.
Je m'approchai de l'agent (enfin de la partie supérieure de son corps) pour le fouiller. Parmi les trouvailles les plus importantes, il avait une radio et un semi-automatique. Le chargeur du pistolet était vide mais la radio avait l'air fonctionnelle. Je la pris aussitôt et basculai sur la fréquence d'urgence pour essayer de joindre des survivants. Après quelques secondes, la radio crachota et j'entendis la voix d'Arcaël. Il revenait d'un séminaire aux Etats-Unis et s'était écrasé au milieu de l'océan. Il dérivait à présent à bord d'un canot de sauvetage. Je tentai de lui répondre mais il répéta son speech. Un message préenregistré. Il fallait s'y attendre.
Je passai donc la radio sur la fréquence de mon équipe et lançai un appel. Rien. Je posai la radio sur le sol et continuai ma fouille. Il avait une gourde au trois quarts pleine et une barre chocolatée, barre chocolatée qui disparut rapidement, et je dus me retenir pour ne pas vider la gourde.
Mon mal de tête commença à revenir. Je cherchai un instant la trousse de soin avec ma lampe dans l’espoir de trouver un cachet d’aspirine, puis me rappelai que je l'avais laissé tomber dehors lors de la poursuite. J'allai m'adosser au mur, lumière éteinte, en maudissant ma bêtise.
La migraine passée, je réessayai d'accrocher quelqu'un sur la radio mais rien. En y réfléchissant, il aurait été étonnant que j’aie eu une réponse. Il devait être entre trois et six heures du matin, quelqu’un répondrait certainement, mais plus tard. En attendant, je ne pouvais que m’inquiéter pour mon équipe. Ils étaient sur la route, eux, loin de tout abri. C’était un véritable massacre qui devait se passer à quelques dizaines de kilomètres d’ici, partout même. Des millions de personnes pour qui la vie s’arrêtait dans une gerbe de sang, sous le regard impitoyable de créatures qu’ils n’auraient même pas imaginées dans leurs pires cauchemars.
Mes collègues avaient peut-être tous partagé le même sort. Si tel était le cas…
…
Ils étaient les seules personnes qui comptaient pour moi. Le pistolet vide dansait entre mes deux mains. Quand plus rien ne me retiendra… je trouverai un moyen d’en finir. Une vieille résolution qui n’avait heureusement jamais trouvé l’occasion d’être réalisée. Mais dans ces circonstances… Ce n’était même pas fuir, c’était… admettre qu’il n’y avait plus aucune chance. Aucun espoir. Aucune honte à avoir non plus.
La radio crachota soudainement, me faisant sursauter.
Ici l’Agent Ligoreau, est-ce que quelqu’un me reçoit ?
Je sautai sur mes pieds et me précipitai pour répondre.
Agent Ligoreau, ici le Spécialiste Giacardi, je cherchai mes mots un moment, je suis dehors.
- Vous voulez dire dehors, avec les anomalies ?
- Oui. J’ai réussi à m’abriter dans la salle de stockage d’un artefact, mais je ne suis pas sûr de tenir longtemps.
- Attendez deux minutes, je vous passe l’agent Neremsa.
Peu de temps après, la voix du responsable de sécurité se fit entendre.
Loïc, c’est Neremsa, détaille ta situation.
- En un seul morceau, barricadé dans la salle de confinement de 147-FR, pas loin de l’entrée du bunker B.
- Reçu. Est-ce que tu peux décrire la situation en surface ?
- Dommages considérables aux bâtiments. La plupart des anomalies sont parties, mais il en reste quelques unes qui traînent. Des cadavres… trop pour les compter.
- Tu n’as croisé personne d’autre ?
- Non. Juste un message radio d’Arcaël, comme quoi il est sur un radeau pneumatique au milieu de l’Atlantique. Je demande timidement, Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
Le Belge réfléchit un moment, puis me demanda :
Tu penses pouvoir atteindre l’antichambre du bunker ?
- Oui.
- Si tu réussis à t’enfermer dedans, je t’ouvrirai. Rappelle-moi là-bas. Il fait une légère pause. Bonne chance. Terminé.
Enfin un moyen de m’en tirer. J’ouvrai lentement la porte pour vérifier que la voie était libre. J’entendis aussitôt des bruits de pas précipités, et refermai rapidement la porte. Bon réflexe puisque une demi-seconde plus tard, des coups lourds résonnaient contre l’acier. Impossible de sortir par ici. Manque de chance, à cause de l’effondrement, il n’y avait pas d’autre issue. Cette fois j’étais coincé.
C’était con. Très con. Et je détestais les choses connes. Alors je ruminais. Un coup de génie comme il m’en vient rarement illumina soudain mon esprit. Les conduits d’aération. Ils étaient tout juste assez grands pour qu’un technicien tienne dedans. Et il y avait une grille d’aération sur un mur juste là à environ deux mètres vingt du sol. Il suffisait d’enlever les vis. Mais sans tournevis, cette partie du plan était pour le moins compromise. Mon regard se posa sur le coffre de SCP-147-FR. Avec un peu de chance, il était possible de se servir de la lame pour faire sauter la grille.
J’extirpai l’objet de son coffre et me mit à l’œuvre, tenant la lampe torche dans ma bouche. L’extrémité de la lame glissa dans l’interstice entre la grille et le meuble, mais impossible de faire levier. Je déplaçai la lame vers le coin de la grille et, me servant de la crosse du pistolet comme d’un marteau, essayai de faire sauter la vis. Après deux ou trois coups, la vis céda. Soulagé, je répétai l’opération sur la suivante, puis, après avoir enfoncé la lame plus loin, réessayai de faire levier. Cette fois, la grille se détacha. J’avais ma deuxième porte de sortie.
Avec un peu d’élan, je me hissai dans le conduit au prix d’un éclair de douleur dans l’épaule. Deux secondes pour souffler, puis je commençai à ramper dans le conduit. C’était très étroit, même pour moi, et ne ménageait pas vraiment mon épaule.
Après plusieurs intersections, et ce qui sembla pour moi être une éternité, j’arrivai à une nouvelle grille donnant sur un couloir heureusement inoccupé. Je fis rapidement sauter les vis de l’intérieur et la grille tomba au sol avec un bruit certainement audible dans tout le bâtiment. Un nouvel exploit de contorsion me permit de sortir les pieds en premier et de glisser contre le mur, au lieu de m’éclater tête la première sur le béton.
Il y eut un bruit de course de l’autre côté du couloir et sans même le réaliser, je m’étais mis à courir moi aussi. L’antichambre du bunker n’était pas loin et en une dizaine de secondes, j’y étais. La porte se referma derrière moi. Je saisis la radio et lançai :
Neremsa, c’est bon.
Quelques secondes passèrent, la porte du bunker commença à grincer.
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