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Équipe 5 : Gabouric, Gray, Holt et Topy
Holt
Jour de la chute d'Aleph
- …Bien, je vais devoir y aller, à demain, petit gars !
D'un geste, le chercheur coupe le micro.
Son ton était tendre et affectueux, mais le bouton a été éteint avec fermeté, comme s'il venait d'effectuer un travail pénible. Derrière le miroir sans tain, un enfant est assis sur un lit, dans une chambre dont la seule décoration sont une toilette et quelques jouets traînant ici et là. Un léger sourire subsiste sur ses lèvres gercées, les paroles du chercheur l'ont réconforté dans son éternelle solitude de créature prisonnière. Mais derrière la légère vitre qui les sépare, l'adulte a un visage fermé et regarde d'un air strict le cadran qui indique la température de la cellule où l'enfant joue.
Moins vingt degrés.
Tout va bien.
En tripotant un ours en peluche, le môme fait danser ses longues mèches blanches d'albinos, et son souffle tranquille expulse des petits nuages de vapeur. Son comportement enfantin et insouciant dans un environnement fermé, gris et dur a quelque chose d'apaisant. Jamais il ne pourrait se douter qu'il n'est plus qu'une bête en cage parmi des milliers, et la maigre gaieté qu'il affiche malgré tout lui donne l'air d'une pâquerette dans un champ de cendres. Bien que la température soit horriblement basse, il ne grelotte pas, et semble presque avoir chaud. Si il était normal, il serait en doudoune, gants et bonnet, emmitouflé sous une épaisse couche de tissu et de laine.
Mais il n'est pas normal, ce qui explique son pantalon de toile et ses avant-bras découverts qui semblent ne pas avoir connu la chair de poule depuis des années.
De l'autre côté du miroir sans tain, le chercheur se retourne. Derrière lui se trouve un autre enfant albinos, mais la différence est comparable à un fossé.
Avec un sérieux presque troublant pour un enfant de son âge, il tient fermement un crayon mal taillé et un petit carnet de note qui se confond avec la blancheur de sa blouse qui lui arrive aux chevilles. Sa pose est professionnelle, mais il regarde dans le vague. La droiture de l'adulte et la rêverie de l'enfant se mélangent dans cet être particulier, qui n'est pourtant pas du côté des SCPs.
- Voilà, c'est un petit aperçu du travail qui t'attend, Holt.
Avec un léger temps de retard, l'interpellé lève les yeux et redevient attentif. Devant lui, le Dr.Mehen vient de quitter le masque de tendresse qu'il a l'habitude de porter pour parler à la créature. Le ton employé pour s'adresser à son collègue est tellement différent de celui qu'il a utilisé pour parler au SCP qu'on pourrait croire que ce n'est pas la même personne.
- Excepté 053, on a pas d'autres SCPs au site Lamedh…
Avec un bref mouvement de tête, il désigne derrière lui, droit vers le gamin emprisonné, qui vient d'échanger sa peluche contre des figurines.
- Mais crois-moi, celui-là va amplement suffire à t'occuper.
Du haut de sa cinquantaine d'année, Mehen a la gestuelle du maître qui parle à l'élève, et même s'il fait tout pour être professionnel, on devine facilement qu'il est troublé. Un gamin albinos qui intègre une force d'intervention mobile dont le devoir est de surveiller un autre gamin albinos… Il y a de quoi être perturbé, et de vouloir instinctivement le faire rejoindre son jumeau. Il a pourtant été prévenu de son cas. On lui a donné toute une pelleté de documents officiels décrivant ses travaux accomplis, les instances qu'il a étudié, son parcours au sein de la Fondation… Il y avait dans toute cette paperasse la vie professionnelle d'un homme de 50 ans minimum.
Et un seul incident, un seul petit papier indiquant un seul accident, a fait que l'homme qui se tient devant lui n'a même pas l'air d'avoir connu l'acné.
- Est-ce que tu as des questions ?
Bien qu'il l'écoute toujours, Holt a le regard fixé sur le gamin emprisonné et a une émotion indescriptible placardée sur le visage, qui semble mêler le dégoût et la compassion.
- Une seule.
À ses mots, Holt lève le doigt au niveau de son visage, comme s'il voulait questionner un professeur.
- Dis-moi, Mehen… C'était il y a combien de temps, la dernière fois que ce p'tit gars a vu un visage humain ?
Le SCP n'a en effet aucun contact visuel avec l'extérieur. Sa nourriture lui arrive via un sas sécurisé, et il n'a aucun moyen de voir un de ses congénères, ne serait-ce que l'arrière d'un crâne chauve d'un garde qui le surveillerait.
Craignant qu'Holt n'éprouve une sympathie pour une créature aussi sensible qui pourrait compromettre l'efficacité de la force d'intervention mobile, il réplique avec fermeté :
- Le "p'tit gars", il a descendu un hélicoptère de combat "Stallion".
- Ce n'est pas ce que je voulais dire, et je suis au courant pour ça.
- Qu'est-ce que tu voulais dire, alors ?
- …
- Fait gaffe avec ce genre de comportement, tu pourrais avoir des problèmes. Notre devoir, c'est de lui faire croire qu'il est en sécurité et d'établir une sorte de "confort psychologique", pas d'être ses papounets chéris ou ses mamans poules.
- Mais ce n'est pas vraiment lui, qui a détruit l'hélicoptère, si ?
- … Lorsqu'on s'occupe de SCPs humanoïdes, on finit par ne plus se poser ce genre de questi-
L'alarme retentit, celle que personne n'aurait jamais cru entendre, celle qui n'est même pas utilisée pour les exercices. Holt ne réagit pas tout de suite, figé comme un animal qui entend un coup de tonnerre, pendant que Mehen se jette sur le micro.
Sa voix qui se veut rassurante et calme, bien qu'elle soit profondément marquée par une précipitation extrême, se diffuse dans la cellule de l'enfant frigorifié :
- Hey, mon petit, t'inquiètes pas, d'accord ? C'est juste une alarme de rien du tout, on va s'en occup-
En quelques secondes, beaucoup de choses se passent.
Le miroir sans tain se couvre instantanément de buée, et l'enfant disparait derrière celle-ci.
Mehen trébuche en arrière, saisi par la surprise, et lâche un juron.
Il se retourne et crache à Holt :
- Okay, pas de panique, il peut rien faire, cette vitre est blindée et…
En addition au grondement insupportable de l'alarme, un horrible bruit de métal froissé traverse les tympans des deux chercheurs, qui se précipitent immédiatement en direction de la zone sécurisée la plus proche.
Ils savent que le bruit aigu d'une porte blindée forcée n'est pas une bonne nouvelle. Confusément, sans vraiment se remarquer l'un et l'autre, ils s'élancent dans les couloirs et suivent mécaniquement les grandes flèches vertes et les diodes rouges qui s'embrasent.
Soudain, Holt s'arrête net, et se fait légèrement bousculer par Mehen qui ne cherche pas à comprendre la raison de ce geste et préfère sauver sa peau.
Pourtant, son collègue a une bonne raison de s'arrêter. Il vient de sentir un souffle froid sur son visage, venant du bout du couloir.
Guidé par son cerveau reptilien, Holt cherche en tâtonnant la poignée d'une énorme porte en fer, trop choqué et paniqué pour coordonner correctement ses mouvements. Dans un énorme effort de corps de pré-adolescent, il parvient à faire tourner l'imposante porte sur ses gonds, et pénètre à l'intérieur. En faisant le tour de la salle des yeux, il comprend où il s'abrite : Une simple réserve d'armes, qui n'a pas été fermée, sûrement car la personne qui l'a ouverte est parti sans y penser, trop occupé à survivre. Avec un petit glapissement, le chercheur fait volte-face, éteint la lumière pour se dissimuler dans l'obscurité, et tourne la gigantesque valve de sécurité, celle qui empêchera tout intrus de venir le sortir de sa cachette. Mieux vaut affronter sa peur du noir que les monstres du placard. Au final, tous ces événements se sont déroulés en une vingtaine de secondes, et toute cette énergie dépensée aussi rapidement a un gros impact sur Holt, qui s'accroupit de fatigue.
Au moment où ses genoux touchent le sol, il entend le Dr. Mehen hurler.
Jour 3 après la chute d'Aleph
3 jours sont passés.
Il y a 3 jours, les Vosges n'étaient qu'une petite chaîne de montagne, assez pauvre en neige, surtout à cette période de l'année. Et maintenant, le paysage est tellement enneigé qu'on pourrait se croire en Alaska.
Entre deux collines blanches comme deux pages de cahier, l'entrée d'un bunker dépasse timidement de la poudreuse. L'ambiance est pesante et silencieuse, le bruit des oiseaux et du vent est absorbé par la neige, et si des flocons ne traversaient pas le ciel, la scène serait aussi tranquille qu'un tableau.
Puis, un petit garçon sort de ce bunker, les cheveux aussi blancs que l'environnement qui l'entoure. Le Dr.Holt s'est enfin décidé à sortir.
N'ayant croisé aucun survivant, excepté des cadavres frigorifiés, il compte se rendre vers le lieu civilisé le plus proche. Et il s'est préparé. Son lecteur MP3 personnel est fourré dans une poche de son manteau, ainsi qu'un carnet, et sur son dos s'étend un énorme sac, presque entièrement rempli de vivres. Sur le côté de sa lourde besace, un pistolet mitrailleur pendouille, vaguement attaché par des lanières, et quelques munitions se trouvent dans une autre poche. Cette arme est la plus efficace et la moins lourde que ce frêle adolescent pouvait trouver, et qu'il pouvait se permettre de prendre sans trop s'encombrer.
Il est couvert de vêtements spéciaux contre le froid, composés de tissus conçus spécialement pour les lieux où la température est à la limite du supportable. Mais parmi tout cet attirail, un seul attire l'attention : Le petit tricycle jaune vif qu'il traine mollement du bout du bras.
Les véhicules ne sont pas adaptés pour sa jeune apparence, et il n'a aucune envie de s'aventurer dehors à pied. Au fond, il a de la chance que ses supérieurs lui aient permis d'apporter quelques objets anormaux avec lui, et particulièrement celui-là.
Ce n'est vraiment pas un tricycle comme les autres.
Malgré ça, une sorte de gêne se dessine sur son visage. L'idée d'essayer de survivre en chevauchant un jouet pour enfants blesse sensiblement son égo. Mais il préfère penser à ce petit complexe, car il a trop peur de se poser d'autres questions, qui risquent beaucoup plus de le préoccuper et de le stresser.
En s'avançant sur une route couverte de givre, le pied hésitant à passer par-dessus la selle de son minuscule véhicule, l'enfant chercheur frissonne à cause du froid et de la peur, la peur d'avoir un jour à se poser la question :
- Dis-moi, Holt… C'était il y a combien de temps, la dernière fois que tu as vu un visage humain ?
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