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Équipe 5 : Gabouric, Gray, Holt et Topy
Holt
Jour 21 après la chute d'Aleph
- Tiens, Holt, avant qu'on oublie… Faudrait peut-être prévenir les autres que t'es toujours dans la course.
D'un geste timide, Topy attrape le talkie-walkie et le tend à Holt. Ce dernier l'attrape, songeur ; leur rencontre de tout à l'heure avec le squelette vivant l'a bien secoué, et il a bien cru que ça allait mal tourner.
En le portant à son oreille, le boîtier cache la moitié de son visage juvénile, et ce n'est qu'après quelques secondes qu'il se rend compte qu'il n'y a personne au bout du fil. Il tripote donc les boutons, jusqu'à tomber sur une fréquence qui aboutit à quelque chose, ou plutôt, qui aboutit sur la voix de quelqu'un.
Au premier grésillement perceptible, son visage s'illumine ; il lance une salutation, et entame la conversation avec ses différents correspondants avec une jovialité apaisante. Ses éclats de voix résonnent dans le véhicule, et emplissent l'air d'une ambiance presque familiale, comme lorsqu'un jeune enfant téléphone à sa maman pour lui souhaiter un joyeux noël. En souriant, il raconte une deuxième fois son épopée ; sa sortie du bunker du site Lamedh, ses premiers dérapages sur son tricycle anormal, ses séances de bricolage dans des maisons abandonnées pour baisser la selle, allonger les roulettes et ainsi améliorer sa stabilité, ses razzias dans les frigos et ses squattages de lits, ses longues périodes de solitude, emmitouflé au milieu des Vosges enneigées, à filer comme le vent sur les routes de campagne… Il se souvient avec humour qu'il ne savait pas trop où il allait, qu'il se contentait de se diriger vaguement vers la frontière allemande, en passant de longs moments à profiter des restes de chauffage des habitations. Pour une fin du monde, il paraît plutôt décontracté.
Toujours en demandant des nouvelles aux autres équipes, il regarde le paysage recouvert de neige à travers la mince vitre du 4x4. Sa mine devient alors un peu plus morne, et semble plus inquiet, plus soucieux.
Gray, occupé à esquiver les voitures vides sur les routes de campagne, se décide enfin à faire son petit commentaire sur la météo :
- Bizarre, comme temps, à cette période de l'année. Il doit y avoir un SCP qui a une dent contre Évelyne Dhéliat !
Topy, le côté du crâne en appui sur sa portière, réfléchit en roulant les yeux au ciel :
- Je ne me souviens pas d'une entité qui fait baisser la température, ça doit être un Keter dont on ne connaît rien à cause de nos niveaux d'accréditation.
Sur la banquette arrière, Holt dépose le talkie-walkie, et lance au passager avant :
- Faut dire que tu te souviens rarement de quelque chose.
Topy lâche un rictus au rétroviseur, et fixe à nouveau la ligne d'horizon, les doigts occupés à malmener la ceinture de sécurité. Un long silence remplit l'habitacle, parfois interrompu par une rapide remarque sur un élément de l'environnement, comme un arbre couché sur la route, ou un cadavre d'animal dans le passage.
- Gray.. ?
- Oui, Holt ?
Anxieux depuis quelques minutes, le petit chercheur tend un emballage de Malabar au conducteur. Sur le papier encore un peu collant est notée une adresse, au stylo noir. Avant qu'il n'ait le temps de poser une question, Holt bredouille :
- C'est sur notre chemin, tu pourrais y faire un petit crochet ? J'ai quelque chose à y faire.
- À… Heidelberg ? Qu'est-ce que tu veux foutre là-bas ? On n'a pas le temps pour faire du tourisme, hein !
Sorti de ses rêveries par le ton de Gray, Topy se retourne vers l'enfant avec un regard de suricate surpris. Pris d'un pic de sagesse soudain, il dit doucement, pour éviter une dispute :
- Holt, on veut bien y aller, si tu nous expliques la raison. Les secrets, c'est pas bon pour l'esprit d'équipe.
- J'ai… Ma famille est là-bas.
Pour Topy, la raison est valable, mais pour Gray, tout est encore à débattre. En sentant les regards sur lui, le conducteur se crispe sur son volant, et rétorque, en guise d'argument :
- On a presque pas d'essence, t'as lâché la pompe un peu vite, tout à l'heure.
- Y a une station service à côté de chez moi.
- Bon, bon.
Après environ une demie-heure de trajet, le 4x4 s'engage dans une petite rue pavillonnaire, en périphérie de la ville. Les larges pneus crissent sur la neige lisse, vierge de toute trace, signe qu'il n'y a pas eu de passage depuis un bout de temps. Gray roule lentement, comme pour respecter une limitation de vitesse inexistante, et s'arrête devant l'adresse donnée, sans que Holt ne dise le moindre mot. Topy scrute le paysage, à tel point qu'il se dévisse presque le cou ; les sons de la nature, assourdis par la poudreuse, le calment et l'inquiètent en même temps. Gray, en voulant soulager son dos douloureux après des heures de trajet, dit en s'étirant :
- Je reste ici. Au moindre problème, on se tire dare-dare. J'aime pas ce coin.
Toujours en silence, les deux autres chercheurs sautent à l'extérieur ; ils ont profité de quelques minutes de préparation pour s'habiller plus chaudement : avec tous leurs vêtements, Topy peine à bouger les bras, et Holt ressemble à un lutin obèse.
L'enfant se tient devant sa maison, jaugeant les dégâts. Le pavillon ressemble à tous les autres, exacte réplique de tous les abris de la rue, à tel point qu'elle semble sortir d'une énorme usine chinoise et qu'on vient de la déposer.
- Y a rien de défoncé, déjà.
Il soupire de soulagement ; si la bâtisse avait été ouverte en deux à son arrivée, cela lui aurait probablement soulevé le cœur. Il hésite une seconde, juste le temps qu'un flocon de neige se dépose sur son nez engourdi par le froid, et entre, la porte n'étant pas verrouillée. Topy, lui, décide de rester dehors. L'accompagner aurait été comme s'immiscer dans sa vie privée.
Après un bon quart d'heure à tourner en rond, à regarder l'enfant passer devant les fenêtres, à lancer des regards gênés à Gray resté au chaud, Holt sort. Seul.
Topy réagit aussitôt :
- Holt, je suis désolé, je..
En se rongeant l'ongle de pouce, il le coupe :
- Ils sont pas morts. Ou du moins, pas ici. Pas de traces de sang, pas de bordel par terre ou des meubles renversés… Il n'y a pas l'ordinateur portable de ma belle-fille, ni la peluche fétiche du petit, et il manque la moitié de la garde-robe de la grande… On dirait qu'ils sont partis calmement, tout en sachant qu'ils n'allaient pas revenir – d'où la porte d'entrée ouverte.
Ils se retournent ; derrière eux, Gray est descendu du véhicule, et dans sa fine couche de vêtements, il leur lance en grelottant :
- Dis, Holt, les barrières, c'est normal ?
- Je sais pas. À mon avis, non.
Sur toute la rue, voire peut-être sur tout le quartier, la totalité des clôtures en bois ont disparu, laissant parfois des squelettes de palissades ou de vagues trous dans la neige. Topy ose une supposition :
- Sans doute une bestiole qui aime dérober du bois.
- Et la facilité aussi, sans doute. Les poteaux électriques sont intacts. Ta créature a dû avoir la flemme de les déraciner. Et dans ta maison, Holt ?
- Rien vu d'anormal. Le parquet est intact, et le reste est toujours là.
Accompagné d'un petit cri de réalisation, Topy se frappe le front de la paume, et raconte en se réchauffant les côtes, lentement, à la vitesse de ses souvenirs qui lui reviennent :
- Je crois que… Je crois bien que, à Aleph, quelques jours avant… Avant tout ça, on a transféré un SCP vers l'Allemagne. Il venait des États-Unis, si je me plante pas, et il est passé par Aleph pour que les gars qui s'en occupent se réapprovisionnent en carburant et voient avec Garrett des formalités administratives. C'était un Keter en vadrouille qui avait été rattrapé, et qu'ils voulaient envoyer dans un site sûr en Europe.
Il porte la main sur sa bouche, rouge de honte :
- Mais impossible de me rappeler du SCP, ni du site où il a été envoyé.
Gray, embêté par ce risque supplémentaire, tourne les talons et lance :
- Raison de plus pour se tailler d'ici. Tu as fait ce que t'avais à faire, Holt ?
- Oui. Je ne peux plus qu'espérer qu'ils soient tous vivants, maintenant ; j'ai aucune idée d'où ils auraient pu se réfugier.
- Alors on s'arrache, faut encore qu'on fasse le plein.
- Je crois qu'on a un nouveau souci…
Topy, dépité, retire la pompe du réservoir, pendant que Gray, encore stressé, ouvre sa porte, arme au poing, prêt à combattre un deuxième squelette fantôme. Le chercheur annonce doucement, comme s'il ne réalisait pas l'ampleur de l'affaire :
- Il reste plus qu'un fond… Juste assez pour dépasser Francfort.
Holt rapporte depuis l'intérieur du 4x4, tout en se contorsionnant devant la vitre, comme pour constater par lui-même les gouttes d'essence qui peinent à sortir du pistolet :
- La voiture familiale était pas là, tout à l'heure, et y avait aucune voiture dans la rue non plus. Peut-être qu'ils se sont tous servis avant de partir ?
Gray fulmine ; plus le temps avance, plus cet Hawkei devient le centre de ses préoccupations, et accessoirement, le gage de leur survie :
- Les bâtards… J'espère qu'ils sont pas allés dans la même direction que nous, sinon on va enchaîner les fonds de cuvée.
En remettant la pompe en place, Topy insiste :
- Je répète, les gars : On a suffisamment pour aller jusqu'à Francfort, on trouvera bien une station service qui n'a pas été pillée d'ici là.
La solution, très hasardeuse, semble toutefois convenir à tout le monde, et après quelques grognements, le chemin reprend, et l'équipe sort enfin d'Heidelberg. À l'arrière, Holt sort une photo de sa poche ; enlevée de son cadre, il l'a dérobée à sa propre maison en souvenir. Un couple de sexagénaires, un couple de trentenaires, une adolescente et deux garçons plus jeunes, tous skis aux pieds, posant fièrement au pied d'une piste.
Il est persuadé qu'ils sont tous vivants, et qu'ils survivent quelque part, peut-être en compagnie d'autres survivants.
Reste à savoir où.
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