Le problème cubain

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Équipe 7 : Gémini, Karaghan, Natemy et Tesla

Gémini

Jour de la chute d'Aleph

"Comment ça, pas de réservation ?"

SCP-087-FR avait encore fait des siennes. Bon, il s'était toujours un peu foutu de nous, mais à des proportions comme celles-là, on n'avait pas vu ça depuis les années soixante. Pour rattraper ses conneries, le Directoire pour le Confinement de la Menace Cubaine avait dû convoquer sur place les plus grands experts en désinformation de la Fondation.

Dont moi, bien sûr.

Mais pas seulement. Il y avait aussi, entre autres, Edgar Dégars, la pointure de la propagande française, et Vladimir Miseleï, le ruskov, qui avait longtemps assuré le secret des opérations paranormales menées par l'URSS. De vieux collègues, des amis, même. Pas la première fois qu'on travaillait ensemble. On avait fait du bon travail.

"Cherchez bien. Au nom de Silvio Marconi, normalement."

SCP-087-FR nécessitait de nouvelles techniques de confinement. Après de longues délibérations, il fut décidé que son blocus demeurerait, mais de manière plus subtile. Décourager le tourisme ? Quelques attentats simulés feraient l'affaire. Le commerce ? Un vrai faux effondrement du marché devrait calmer les ardeurs.
En attendant, pour planquer ses récents débordements, il nous fallait un rapprochement historique entre les États-Unis et sa petite sœur communiste. Assouplissement de l'embargo. Rétablissement des ambassades.

Le dernier jour, allongés sur les transats de notre hôtel luxueux-mais-pas-trop, puisque payés aux frais de la Fonda, nous trinquions nos cocktails exotiques et hors de prix en nous félicitant mutuellement. Et pendant ce temps-là, partout sur le globe, les journalistes fourmillaient tandis qu'Obama et Castro se serraient la main pour la première fois sous le regard du monde entier.

Le vieux trio Gémini-Miseleï-Dégars avait encore sauvé les apparences. A nous trois, nous changions le visage de la géopolitique mondiale. Et tout le monde était content.

"Marconi, Marconi… Non, non, je suis désolée, mais vous n'y figurez pas…"

Puis était venu le temps des adieux. Fini, le séjour tous frais payés. Retour au Site-Aleph, avec sa cantine infecte et ses incidents tous les trois jours. A peine arrivé à l'aéroport, les ennuis revenaient déjà.

- Écoutez mademoiselle, il doit y avoir une erreur quelque part. Je suis ici en voyage d'affaire, l'entreprise a réservé le billet pour moi, normalement.

- Ah, et quel est le nom de votre entreprise ? rétorqua l'hôtesse, l'air pincé. Je peux peut-être vous retrouver à partir de ça.

- Smith & Collins Pharmaceutics."

L'hôtesse pianota quelques secondes sur son moniteur, puis la nouvelle tomba :

- Effectivement, j'ai bien un billet en classe affaire réservé par cette entreprise. Seulement il est au nom d'Enzo Pireda…

Merde. Les imbéciles avaient donné ma fausse identité d'il y a deux mois. Comment justifier le fait d'avoir oublié mon propre nom ? Inutile, tous mes papiers d'identité étaient au nom de Silvio Marconi. Merde, merde, merde… Plus qu'à passer un coup de fil et poireauter un temps indéterminé -en espérant que l'hôtesse n'ait pas été plus intriguée que ça et n'appelle pas les vigiles.

- Ah, oui… C'est un… collègue… Tant pis, je vais appeler mon patron. Merci pour tout ! balançais-je en faisant demi-tour pour immédiatement rentrer dans le client suivant.

- F't'attention, p'tain, marmonna l'homme, de toute évidence plongé dans ses travaux manuels.

Un junkie, probablement. Débraillé, livide, cerné, il semblait entièrement focalisé dans la sculpture d'une petite sphère en bois qu'il élaguait à petits coups de canif. En tant normal, je me serais dit "chacun son hobby" et serais reparti sans demander mon reste, mais ce con venait d'entailler mon veston hors-de-prix avec sa ridicule petite lame.

- Faites gaffe, bon sang ! Vous savez combien ça coûte, ça ? D'où on a le droit de se balader avec une arme dans un aéroport ?

- Ouais, ouais… murmura le junkie en taillant minutieusement son bout de bois, la langue au coin des lèvres, entièrement concentré sur son oeuvre.

- Dites, vous m'écoutez quand je vous parle ?

Un simple coup de coude. Le type était fatigué, il ne tenait pas assez fermement le bois. La sphère tomba sur le sol et roula quelques mètres plus loin.

- MA SPHÈRE ! hurla l'homme, d'un seul coup fou de rage, en me saisissant par les épaules. ELLE ÉTAIT PRESQUE PARFAITE ! MA SPHÈRE !

Puis, sans demander son reste, il se précipita à la poursuite de sa boule de bois qui zigzaguait déjà à travers tout l'aéroport, propulsée par les pieds des voyageurs. Quel taré ce type. Pas pire que ce qu'on voyait tous les jours à la Fondation, remarquez. Enfin, si. A vrai dire, ça me faisait presque penser à…

Un cas de SCP-1137.

Non. Quoi ? 1137 ? Ici ? A Cuba ?
Non, c'était ridicule. Non. Pour qu'une telle propagation se produise, il faudrait déjà qu-
Il y eut une explosion. Puis une autre. Des cris.
Merde.


JehaiscemondedemerdecetteFondationdemerdecesSCPdemerdejeleshaisjeleshaisjelehais ! hurlais-je mentalement en dévalant les pistes de décollage, désertes.

Tout était flou, tout se passait très vite, trop vite, comme si le temps et mon esprit s'éloignaient de plus en plus. Le manque d'oxygène peut être ? Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris ce qu'il se passait.

Un américain infecté par SCP-008 avait débarqué ce matin à l'aéroport. Quoi qu'il se passait sur le continent voisin, ça devait pas être beau à voir. Evidemment, à partir de là, tout s'est emballé. Contamination des touristes. Carnage dans les toilettes pour femme. Les autorités ont débarqué, directement suivies par une FIM locale. Les tirs dans les canalisations de gaz n'ont pas arrangés les choses.

"Foutez-moi cet aéroport en quarantaine !" qu'ils ont dit. Tous ces civils, enfermés comme autant de bœufs condamnés à l'abattoir… La panique s'est répandue plus vite que SCP-008. "On ne passe pas !" m'a balancé un de nos agents tandis qu'ils bloquaient les sorties. Je lui ai montré ma carte de chercheur, lui ai expliqué que quasiment personne n'était contaminé pour le moment, et surtout pas moi. C'est peut être mon talent pour convaincre les gens, ou bien ce type s'est-il dit que de toute façon, tout le monde allait mourir ici… En tout cas, je suis sorti. Je suis le seul à être sorti.

Un hangar est ouvert. Dedans, un vieux mécanicien qui n'a aucune idée de ce qu'il se passe autour de lui est en train de remettre à neuf un vieux coucou, le genre "antiquité à hélice, souvenir de la Guerre Froide". Mais c'est un deux places, c'est bien plus que ce que je demandais.

Je lui fais de grands signes, haletant et titubant vers lui.

"Qué ?"

Le mécano descend de son engin. Je reprends mon souffle pour lui sortir mon meilleur baratin, assorti de mon meilleur accent. Que dire ? Il faut qu'on se tire d'ici tout de suite. Prétendre que je suis inspecteur, collectionneur, qu'il faut absolument faire un essai de vol pour voir si la carlingue va bien. Que les normes de sécurité ont changé, que ce genre d'avion vaut une fortune à présent. A peine ai-je ouvert la bouche que la façade de l'aéroport derrière moi explose.

Nos regards affolés se croisent. On se comprend. Plus de bobards, pas besoin de bobards, nous sommes tous deux mus par les mêmes mécanismes de survie. Il fait rapidement le nécessaire pour que le véhicule décolle, puis saute à l'avant, moi sur la place arrière.

Le sol cubain s'éloigne de l'appareil, bientôt remplacé par les eaux turquoises de l'Atlantique. J'explique au pilote que ce ne sera pas mieux aux USA, que peut être qu'en Europe la situation est maîtrisée, que je connais des gens qui peuvent nous aider là-bas. Il opine, me répondant que le plein de carburant est fait, mais qu'il va bien nous falloir treize heures de trajet environ. Ça sera toujours treize heures de survie.


Une heure de trajet. La discussion est l'ennemie de la panique. J'apprends que mon sauveur cubain s'appelle Dalmiro, que sa femme est morte il y a quatre ans et que son fils unique est parti vivre à l'étranger. Je lui explique brièvement qui je suis, ce qu'est la Fondation et que sont les SCP. Après tout, c'est la fin du monde. Au pire, des amnésiques l'attendront à notre arrivée.
Il me dit qu'il ne croit pas à toutes ces foutaises.
Je lui dis que c'est parce que je fais bien mon boulot.
Il rit.


Quatre heures. Nous survolons un archipel qui, j'en suis sûr, n'a rien à faire là. Je frissonne rien qu'à l'idée que SCP-169 ait pu connaitre un regain d'activité avec la fin des temps, comme le prédisaient les textes sacrés. Non. Non, je ne suis pas un expert en géographie, c'est sans doute la paranoïa qui me joue des tours.


Neuf heures. La carcasse d'un Airbus passe en vrombissant devant nous, s'abattant dans un panache de fumée pour aller s'enfoncer dans l'océan. J'entraperçus une queue reptilienne fouetter un nuage avant de disparaître. SCP-2301 devait sacrément s'amuser avec le trafic aérien. Je plaignais ceux qui avaient ou allaient le rencontrer. Mais il ne nous avait pas vu, et Dalmiro ne l'avait pas vu non plus. Je lui assure qu'ils avaient dû avoir un simple problème technique.


Douze heures et trente minutes.
Je dors.
Dalmiro crie.
J'ouvre un œil.
Un troupeau de bœufs nous rentre dedans à grande vitesse.


Treize heures.
Le noir.

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