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Équipe 1 : Frog, Grym, Neremsa et Deous
Grym
Jour 109 après la chute d'Aleph
Bordel. Bordel. Bordel.
C’était pas tant l’injure qu’un simple descriptif des lieux qui me venait en tête.
J’avais toujours quelques flashes de cet endroit, quand nous en sommes sortis, il y a déjà plusieurs mois de cela. Mais même avec ça, j’ai du mal à savoir si nous sommes dans un couloir ou un trou. Ou pire.
L’odeur, bien que putride, est supportable. Ce qui m’inquiète, et me rassure à la fois.
Le simple fait que l’endroit ne sente pas le mort à proprement parler voulait dire qu’il n’y avait plus de cadavres dans la zone. Enfin, peut-être restait-il quelques bouts. Cela voulait dire que quelque chose s’en était chargé, surtout.
Sûrement la même chose qui avait défoncé l’entrée lorsque le stock de bidoche avait été épuisé.
Donc techniquement, à part quelques objets anormaux inoffensifs, nous ne risquions rien.
Les taches de sang étaient devenues d’un marron sombre qui était rendu plus sinistre encore par les lumières jaunes de nos frontales, les mêmes que celles que nous avions gardées depuis les catacombes à en croire Neremsa et Frog.
La progression fut lente, et silencieuse. Un trou béant dans un mur nous créa un gain de temps providentiel, et nous fûmes bientôt en face de la porte de mon ancien bureau-cellule, qui bien que repeinte avec les liquides corporels des personnes que je pouvais saluer auparavant le matin en prenant un café demeurait apparemment intacte.
Nous nous approchâmes doucement quand soudain un bruit retentit dans l’intérieur de la cellule.
Quelque chose était tombé.
Instinctivement Frog fit un pas en arrière et Neremsa resserra sa prise rapidement mais silencieusement sur la crosse de son arme, puis opina après que j’eus indiqué la porte.
Nous étions allés trop loin pour reculer de toutes façons.
Et ce fut au moment où je posais ma main sur la porte que j’entendis un râle provenant de l’intérieur.
- RAAAAAAAAH. Il l’a toujours planqué là. TOU-JOURS.
Et une voix féminine de répondre à la première.
- Tu sais, il ne l’avait peut-être pas ce jour-là…
La première voix pesta.
- CHAQUE JOUR. Chaque jour il lui tirait sa boite à cigares infinie. Et JUSTE CE JOUR-LÀ. Non. C’était pas le début de l’apocalypse pour rien.
Neremsa haussa le sourcil, alors que j’ouvrais la porte et que Frog demandait timidement :
- …Hideous ? Ark ?
L’ouverture de la porte en acier dévoila deux personnes dans des habits trop propres pour avoir connu l’apocalypse, en train de chercher visiblement ce que Neremsa cachait dans sa poche torsale droite.
Le premier intéressé fut si surpris qu’il en lâcha sa cigarette.
Une fois le moment chaleureux des retrouvailles passé, et quelques explications faites sur l’état de chacun (la partie de notre trahison envers la Fondation y comprise, ce qui n’eut pas l’air de choquer Hideous et Ark outre mesure), Neremsa commença à passer à un mini interrogatoire des deux survivants.
- Donc, plus rien d’anormal dans le secteur ?
- Non, tout est bien détruit comme il faut, mais il n’y a plus aucun SCP conscient ou hostile dans le coin, il faut croire. Ça fait deux mois qu’on essaie de répertorier tout ce qui reste ou ce qui peut être utile avec Ark. Mais y a pas grand-chose. On a déjà récupéré et mis à jour un plan du site. Bouge pas, je l’ai mis là. Juste sur… putain Grym, ton bureau est un vrai merdier, tu sais ? Ah, le voilà.
- Tu sais, pour moi, c’est la première fois que je rentre dans ce bureau. Dites, vous auriez pas déplacé une armoire, par hasard ?
Ark acquiesça timidement.
- Oui, celle-là.
Frog m’aida à pousser la lourde armoire de fer tandis que Ark, Hideous et Neremsa retournèrent à leur état des lieux.
Celle-ci dévoila enfin le pan de mur que nous étions venus chercher.
Il y avait un mot. Un mot gravé à même le mur. Un mot particulier. "Caitlyn". Il fallait appuyer à ce niveau là. Je le savais. L’ancien moi le savait. Il savait que le pan de mur qui se décalerait dévoilerait une cavité interne, contenant quelques étagères sur lesquelles étaient posées un Colt M1911, un bracelet gravé étrange, et le plus important, une vingtaine de carnets.
Mon passé. Enfin.
- C’est ça ? s’enquit Frog
- Ouep. Ces petits bouts de papiers détiennent la clé pour savoir comment pister ce putain de boche. Voyons ce qu’ils ont à nous proposer, désormais.
Je pris rapidement un carnet parmi d’autres.
Grym – 1987-1988
- Trop loin. Frog, regarde par-là, tu dois avoir ceux vers les années 40.
- On cherche quelle année ?
- La plus ancienne possible. Donc, vers 44, 45 grand max.
- Tu veux dire ça ?
Il me tendit un carnet.
Grym – 1944
Bingo.
- Tu veux peut être… rester seul pour le lire ? Je vais rester avec Nerem et les autres pendant ce temps, histoire de savoir où on en est.
- Oui, merci.
Je sortis du bureau, les laissant à leurs mises au point diverses.
Entre mes mains je sentais le cahier vibrer. J’étais là-dedans. Ça faisait bizarre, de se dire qu’une existence se résumait à des bouts de papiers.
Je fis quelques mètres. Je savais qu’il y avait une salle de pause à quelques mètres sans le savoir. Car celui dans le carnet le savait.
Je pris une chaise et une table (encore en état), en plus de ma frontale, et m’installai.
Il me fallut quelques instants avant de me décider à ouvrir le carnet.
Dès la première ligne, ce fut un choc.
L’ensemble était crypté, avec des symboles qui m’étaient inconnus, et mon bon ami l’ancien moi ne daignait apparemment pas m’honorer d’un flashback pour me donner gentiment la clé du code.
Il me fallut quelques instants pour encaisser le choc. Impossible. Les réponses étaient juste là. En face de moi. Si proches, et si loin.
Je ne me souviens plus de quand j’ai agrippé la chaise, ni de comment j’ai dévasté le mobilier restant dans la salle, mais toujours était-il que le bruit attira les autres qui déboulèrent, l’air effaré et arme au poing, le regard interrogateur quand ils me découvrirent seul.
- Ces. Putains. De. Carnets. Sont. Cryptés. lâchai-je entre deux souffles.
Je vis le regard de Neremsa et de Frog se perdre au loin.
- On l’a dans le cul. Je ne retrouverai jamais la mémoire. Le seul truc d’utile sur ces putains d’étagères c’était le flingue. Et le bracelet, qui sait, on pourra peut-être le revendre au plus offrant ? Hein ?
Et je fus pris d’un rire nerveux, Neremsa s’adossa au mur et se laissa glisser, dépité. Ark et Hideous ne surent comment réagir. Mais au mot bracelet, le regard de Frog s’alluma.
- Ce n’est pas qu’un bracelet…
Neremsa ne daigna même pas se tourner vers lui, tant le sol attirait son regard mort, il se contenta d’émettre un grognement.
- Génial, au lieu d’un immortel inutile et amnésique, on peut en avoir un millier. On avance, c’est bien.
Mais Frog continua.
- Ark. Hideous. Dites-moi que le secteur 7 est toujours accessible.
- Tu ne veux rien nous dire, donc.
- Je vous fais la surprise.
Nous étions en pleine progression, désormais, guidé par un Frog plus silencieux que d’habitude.
- Tu vas me dire que tu ne te souviens pas de ce truc ?
Il avait beau brandir le bracelet devant mon visage, rien ne venait.
- Toujours pas depuis les dernières trente secondes. Dernière fois où tu m’as posé cette question.
- Je ne vois pas en quoi utiliser 018-FR pour le cloner va nous aider, râla Neremsa.
C’est alors que le petit groupe arriva à destination.
Étonnamment, la lumière s’alluma. Vive les bunkers et autres installations de paranoïaque.
L’éclairage jaunâtre révéla deux tables de pierres gravées posées sur une structure rocheuse taillée et gravée des mêmes symboles également, ainsi que d’une large cloison rectangulaire faisant face à celles-ci.
- Madame, messieurs, pour ceux qui ne le connaissent pas, je vous présente SCP-108-FR.
Neremsa comprit.
- Je vous aime bien. Mais je ne suis pas sûr de vouloir rentrer dans l’esprit de Grym. Et je doute qu’aucun d’entre vous ne se porte volontaire.
Frog sourit.
- Pas la peine. Il va le faire lui-même.
Et il tendit le bracelet.
Si la chose semblait désormais toute simple dans le crâne du Belge, elle ne l’était pas pour Hideous. Loin de là.
- En quoi avoir deux Grym va nous servir ? Loin de moi l’idée d’être désagréable, mais plus de Grym est de loin sur la liste des choses à ne pas faire. Sans rancune, hein, vieux.
- Pas de problèmes. J’avoue être aussi paumé que toi, note.
Frog prit une grande inspiration pour affronter les êtres à l’intellect inférieur qui le regardaient en quête d’explications.
- Okay. La grosse structure en pierre, comme je l’ai déjà dit, c’est SCP-108-FR. Vous voyez les deux tables de pierre ? Mettez une personne sur chaque et la première explorera l’esprit de l’autre. Littéralement. L’esprit peut se modéliser de façon différente, en général, sous forme d’un labyrinthe, avec des tas de pièces, représentant chacune un aspect de la personnalité de la personne explorée, ou un souvenir. La grosse cloison que vous voyez là va diffuser les images telles qu’elles sont vues par l’explorateur, ainsi que les sons. Ça nous permettra de suivre l’explorateur.
En général l’exploration se termine lorsque l’explorateur en a assez vu. Le problème c’est que l’esprit de la première personne peut rejeter l’explorateur. Et que ce rejet, ou que le fait qu’il tombe sur une information, un souvenir trop important peut mener à une mort subite.
Maintenant nous avons une chance. Grym peut utiliser ce petit bracelet, qu’on appelle 018-FR. C’est un bracelet de clonage, ça permet de produire 1 à 998 clones de soi-même, et d’agir comme une seule conscience. Problème encore, plus le nombre de clones produits est important, plus le vieillissement cellulaire du sujet est accéléré. Sur lui, ça n’a aucun effet, grâce à ses capacités de régénération.
L’idée, c’est de cloner Grym, et de le faire rentrer dans son propre subconscient. Il vivra les choses par lui-même, ça lui donnera plus de chances de se souvenir de tout. Et surtout, il y aura moins de chances d’avoir un rejet de Grym de son propre esprit.
Hideous digéra l’information pendant quelques secondes.
Ark n’eut pas besoin d’autant de temps.
- Comment tu peux être sûr que ça marche ?
- Parce que des Classe-D l’ont déjà fait. Parce qu’il l’a déjà fait. L’avantage, c’est qu’on pourra communiquer avec lui.
Je connaissais la réponse. Mais je n’étais pas sûr de vouloir l’entendre. Ce n’était pas le cas de Nerem.
- Comment ?
- Si Grym est blessé à l’intérieur, c’est directement son esprit qui va prendre, et son corps n’en ressentira rien, sauf s’il décède pour de bon là-dedans. Ce qui reste une éventualité à considérer. Mais s’il subit des dégâts ici, son esprit, lui, va le ressentir. Suffira de tracer au couteau sur le bras ce qu’on a à lui dire, et il nous répondra directement, vu qu’on l’a en direct live sur la cloison.
La tension monta d’un cran. Frog avait essayé de noyer l’information autour de deux trois autres toutes aussi importantes, mais tout le monde l’avait tout de même retenue. Information qui pouvait se résumer en une phrase de cinq malheureux mots.
- Je peux mourir là-dedans.
Le psychologue hocha lentement la tête.
- C’est… possible. Oui.
- Mais comment ? Il est censé être immortel, non ? s’insurgea Hideous
- Son corps l’est. Pas son esprit. Il ne sera plus qu’une coquille vide, pour faire court. Un corps éternellement immobile, mais immuable.
Avais-je réellement le choix ? Entre une ballade de santé pour retrouver l’ancien moi, et laisser un enculé de nazi se taper des rails de coke sur le monde qu’il venait de conquérir grâce aux artefacts, y avait pas photo.
- Ok. Mais à une seule condition.
- J’ai peur.
- Si je claque, faites en sorte que personne ne me viole dans mon sommeil. Et qu'on ne me surnomme pas Blanche Neige, ou Aurora. Sinon je reviens des morts et je vous jure que je vous enfile par l’urètre, un par un.
L’audience se détendit un peu. Le Belge esquissa même un sourire :
- Deal.
- En fait j’suis vraiment bel homme. Tournons donc pour voir. Ah y a pas à tripoter, j’ai un fessier magnifique.
Comme quoi avoir un clone, même à quelques millimètres d’une mort probable avait ses avantages.
- Je suis tenté de me baiser moi-mê…
- GRYM.
- Oui, oui, pardon.
- Foutez-le sur cette putain de table, qu’il tombe dans le coma et qu’on en parle plus. Foutez-les. Tous les deux.
Le premier moi alla s’allonger. C’était étrange. Je sentais à la fois la pierre froide dans mon dos, et le sol sous mes pieds. Je me voyais moi. Et je voyais les néons au plafond au-dessus de moi.
J’allais m’allonger à mon tour, quand soudain Frog intervint.
- Attends.
- C’est un peu tard pour me demander en mariage, tu sais.
- Une fois là-dedans, tu n’auras pas la même conception du temps que nous. Et Dieu sait combien de temps va te prendre l’exploration. Fais vite.
- Autant que faire se peut.
Et je posai ma tête sur la pierre froide, une nouvelle fois.
Puis plus rien.
Bordel, encore du noir
- Oh, du noir, pas tant que ça.
Parmi les choses horribles que le monde comportait, il y avait bien évidemment la torture, le viol et les meurtres. Mais pas loin du sommet devait se trouver « entendre sa propre voix sans avoir parlé ». C’était réellement comme ça que les gens m’entendaient ?
Il me fallut quelques secondes pour comprendre que, même si je m’étais cloné, le clone devait être inconscient de l’intrusion, du moins tant qu’il ne me rejetait pas.
Ce qui amenait la question suivante.
- Qui me parle ?
Et le plus drôle dans l’histoire c’est que ce n’était pas moi qui l’avais posée.
Mes yeux décidèrent de s’ouvrir.
J’étais dans une drôle de salle. Noire, avec des éclairages semblables aux néons de la Fondation. La voix provenait d’un coin.
- Si j’étais toi je regarderais mon bras.
J’étais tellement dans le cirage que je n’avais pas remarqué la douleur pourtant ignoble qui me lacérait l’avant-bras.
- PAS BESOIN D’ALLER JUSQU’AU FOND AVEC LA LAME, MERCI. Et merci du rappel.
- De rien, déclara la voix.
« 3 semaines »
- Qu’est-ce que putain de quoi ?
« Dedans depuis 3 semaines »
Impossible.
Cela semblait faire quoi ? Trente secondes depuis que je m’étais allongé ?
Et dire qu’il fallait faire vite.
La voix reprit :
- Tu vas leur faire gagner du temps. S’ils cherchent réellement Heinkel, qu’ils aillent trouver Winston Mahbit. Il les aidera, même s’il doit croire, comme je l’ai cru, que le boche est mort et enterré depuis un moment. Neremsa sait où il se trouve, et je ne doute pas une seule seconde que ce vieux pirate ait survécu à l’apocalypse. C’est l’endroit dont je lui ai parlé lorsqu’on était à Peshawar. Il sait comment s’y rendre.
Douleur encore.
« Oui »
- Qu’est ce que je disais.
« Sors »
Mais la voix n’était pas de cet avis.
- Désolé, mon cher Belge, mais Grym doit faire son temps ici avant de repartir. Et j’ai bien peur que d’ici à ce qu’il ait fini, notre ami Hanz aura piétiné Moscou depuis belle lurette.
- Vous voulez me faire rester ici ? Mais pourquoi ?
- Qu’ils partent. Je t’expliquerai ensuite.
- Tu n’as aucun moyen de savoir s’ils sont toujours là.
- Mais j’ai un moyen de les faire partir. Alors à moins que l’audience ne veuille entendre tous leurs petits secrets proférés ici, ils feraient mieux de nous laisser. En tête à tête.
Le bras m’apporta un ultime message.
« Ok. Survis. Nerem. »
- T’en fais pas. Je devrais m’en tirer.
- Ils devraient être partis maintenant.
La voix s’était rapprochée. Elle sortait de l’obscurité du coin.
Un homme habillé avec une blouse qui avait dû être autrefois blanche s’approcha.
Je le reconnus sans peine. C’était l’homme qui était mort à Gizeh. C’était celui que j’étais venu chercher, pour le meilleur et pour le pire.
Le Docteur esquissa un sourire.
- Alors, François. Dis-moi. Ça te tente de vouloir savoir ce qui t’est arrivé ces 80 dernières années ?
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