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Équipe 1 : Frog, Grym, Neremsa et Deous
Frog
Jour 70 après la chute d'Aleph
Allez soldat.
Hop, hop, hop !
C’est l’heure de passer à l’action.
Neremsa a repris en main le commandement de la mission. C’est le plus haut gradé ici, je crois. J’ai rien capté ce qui s’est passé après l’espèce d’impact qu’on s’est mangé en vol, mais les Agents pensent qu’on s’est fait tirer dessus à coups de roquettes. L’hélico aurait été coupé en deux d’un seul coup. On a eu la chance de tomber sur le toit d’un immeuble en périphérie du Caire (enfin, ceux qu’étaient dans le cockpit). Grym et les soldats se sont écrasés en contrebas. Je m’en fais pas pour lui, il a survécu à pire.
Je vous ai raconté la fois où il s’est fait littéralement rouler dessus par une colonne de blindés lors du confinement de SCP-015-FR ? Une autre fois peut-être. Les gars qui étaient avec lui ont dû prendre cher par contre. Tir antiaérien plus explosion du réservoir plus asphalte dans la gueule, ça doit picoter.
Ah ? Ils disent qu’il faut bouger, que le crash va attirer toute la population locale sur nous. Je les suis, on descend tant bien que mal du vieil HLM défiguré par les restes du cockpit du NH90. Un escalier est bloqué par un tas de débris, tant pis, on passe par un large trou dans le sol. Ils ne disent rien mais font de grands gestes pour me signifier de bouger mon cul. Ouais, ça va, je n’ai pas d’entraînement militaire, moi ! On sort enfin de l’immeuble et on court sans se retourner. On défonce la porte d’un bloc de bureaux en préfabriqué et on se met à terre. Le russe m’ordonne de réparer le gars dont je n’arrive décidément pas à retenir le nom. L’occasion de mettre à profit les stages de secourisme obligatoires, tiens. Le gars fait pas gaffe à sa blessure ni au bandage express que je lui fais. Il a les pupilles dilatées et les oreilles grandes ouvertes. Il guette les expressions de Neremsa et du russe, ne pouvant lui-même surveiller les alentours. Il n’a pas peur mais il est sur les nerfs. Je me demande…
Ah, ta gueule cerveau, c’est pas le moment ! Je secoue violemment la tête pour me remettre les idées en place. Le russe me jette un regard furtif, il a dû prendre ça pour un signe de stress.
Neremsa est grimpé à l’étage, mais redescend vite fait. Grym nous a appelés sur la fréquence générale et confirme ce que j’avais deviné sur la situation du reste de l’équipe. Grym, vivant, comme d’habitude, les autres, tous morts. Neremsa m’engueule pour une sombre histoire de noms de code. Explique avant, je peux pas le savoir.
C’est décidé, on s’est fixé un point de rendez-vous. Neremsa et le russe nous demandent à Nom Bizarre et à moi de rester sur place, ils vont essayer de récupérer de l’armement.
On attend, on a rien d‘autre à faire. Nom Bizarre me propose une clope, je refuse.
Comme toujours quand j’attends, je tripote ma croix de Saint-Pierre. Pas que je sois superstitieux, j’aime juste occuper mes doigts.
Les deux brutes ne tardent pas à revenir, les bras chargés de flingues. Le russe me refile une Kalachnikov des familles et on partage les munitions. Ça va, je devrais pas trop galérer pour m’en servir. Hasta la vista, baby, ça va chier.
On fait rapidement le point, les gars en face sont de l’Insurrection. Des joyeux drilles. Grym confirme par radio. On décide de rusher vers le chantier de fouilles pour le rejoindre.
Elle est pas sympa cette tempête de sable. On a du mal à se repérer, donc on se tient régulièrement au courant par radio. Hum, je pense que je saisis l’intérêt stratégique de la chose. Surtout lorsqu’au détour d’une dune on arrive en vue du site de fouilles, devenu bastion fortifié de l’Insurrection. On se met à couvert. Neremsa tente de contacter Grym. Pas de réponse, juste un peu de friture. Il a l’air contrarié. Je demande « On fait quoi ? ». Je raffermis ma prise sur mon arme. Je ne m’inquiète pas pour Grym, il en a vu d’autres.
Je vous ai racontés la fois où il s’est fait malencontreusement asperger par SCP-012-FR lors d’un test ? Non ? Une autre fois peut-être.
Neremsa semble pris dans une intense réflexion. Sans doute évalue-t-il les possibilités stratégiques.
Soudain, Neremsa se relève et dit :
"- Frag' tu pars sur la droite avec Frog. Essayez de trouver le SCP avant ces enfoirés. Nämu avec moi. On tente de récupérer Grym."
Hum, en aurait-il conclu que Grym s’était fait capturer ? Faut pas s’inquiéter, il est solide, j’ai eu l’occasion de le tester.
Neremsa consulte sa montre et nous donne un plan de retraite. Utile.
Il échange des banalités avec son collègue russe avant d’envoyer un message codé par radio à l’attention de Grym. Du Johnny Cash, ma préférée. Quel bon goût.
Il prend un air déterminé, puis disparaît dans la tempête, Nom Bizarre à sa suite.
Le russe tient son arme à hauteur de visage, il lorgne à travers la lunette. Il avance d’un pas chaloupé, presque accroupi. Il réagit vivement à chaque information sensorielle sortant de l’ordinaire. On aurait dit un crabe. Un gros crabe. Ou un gorille. Un crabe-gorille.
Moi, je marche dans ses pas, plutôt décontracté. Je laisse mon fusil pendre en bandoulière. De ma main gauche, je tripote ma croix. Il a l’air réellement contrarié de devoir faire équipe avec moi. Il me jette régulièrement des regards mi-mécontents, mi-consternés. Feu le Directeur Garett appelait ça "un sens du danger aléatoire". Moi j’appelle ça "une échelle de priorités inhabituelle".
On fait un large détour pour contourner le campement de l’ennemi. Très large. Et très chiant. Au bout de trois heures de marche dans le sable, on a commencé à entendre des coups de feu. Le russe a instantanément mis un genou à terre et commencé à viser dans la direction des sons. Je lui ai laissé le temps de réaliser que ça pleuvait du côté de Neremsa et de Nom Bizarre, et qu’on y pouvait rien. Puis on s’est remis en route.
On était plus très loin, puisque pas plus de cinq minutes plus tard on arrivait devant la Grande Pyramide, notre objectif.
Et là, surprise :
Pas. Un. Seul. Garde.
Personne.
Le russe a l’air aussi étonné que moi. On s’attendait, allez, à au moins un peu de résistance.
On a rapidement conclu qu’ils avaient été attirés par les coups de feu venant du campement, plus loin. On avançait tout de même le plus discrètement possible, à l’affut du moindre signe indiquant la présence d’un garde restant, mais toujours rien.
C’est alors que nous l’aperçûmes. L’entrée de la pyramide. Un trou carré, béant, ouvrant sur un couloir s’enfonçant loin dans l’obscurité.
On alluma nos lampes et on s’enfonça dans la nuit.
La galerie allait plus ou moins tout droit, descendant et remontant un peu par endroits. Ceux qui l’avaient creusée savaient visiblement où aller.
Les murs étaient poisseux, et plus on avançait, plus ils semblaient absorber la lumière de nos torches. Extrêmement glauque, tout ça. Le russe avançait de sa démarche de crabe-gorille, et moi d’un pas détendu.
Les lieux de mort ne m’inquiètent pas plus que ça, d’ordinaire. Cimetières, catacombes, tertres, je suis plutôt à l’aise en ces endroits de repos éternel. Je suis comme porté par le silence, et stimulé par les murmures des âmes en vadrouille. J’aime écouter leurs histoires.
Mais ici…
C’était différent. L’obscurité se faisait de plus en plus épaisse. On avait perdu toute notion du temps. Exceptionnellement, le silence m’écrasait, ici. On allait tout droit, mais on s’était perdus. Le passage s’étrécissait. La terre était humide. D’eau ? De sang ? Il faisait de plus en plus noir.
Il faisait de plus en plus noir
Il… faisait de plus en plus noir
Noir ?
Une grenouille, une lampe torche et un touriste allemand sont sur un bateau. La grenouille tombe à l'eau. Que reste-t-il ? Rien, du noir, et beaucoup de sang sur les mains.
Noir ?
Non, la lumière revient.
Je reprends conscience bien plus tard, allongé dans le fond de la remorque d’un camion roulant à toute vitesse dans une plaine déserte. J’entends des tirs. Je fais mentalement l’inventaire de mes organes vitaux et de mes fonctions cérébrales. Tout à l’air en état de marche.
J’entends des tirs. Quelqu’un crie :
"On se casse !"
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