Amour et Mort

Le château de glace des Anciens est bien froid,
Et l’Exilé du Rêve, ennuyé, seul le hante,
Destiné pour toujours à la peine et l’effroi,
Observez ! Ici vit notre Fin bienveillante.

Kinako a le pied agile, elle virevolte loin des tumultes de la ville.
Nul sentier ne l’effraie, elle se balade au pied des monts enneigés.
Son esprit est dans les cieux, loin des Hommes ennuyeux
Elle s’évade dans les mystères du monde, dans son imagination féconde.
Cherchant une réponse muette le long des flancs et des arêtes
Et tous dans les forêts savent qui elle est,
Homme ou bête, nul n’ignore le nom de la fillette
Sauf l’Exilé du Rêve, piégé dans son existence isolée

Et vint la première faute des Fol Hommes,
Qui força les Toutes Puissantes à les punir
À jamais immortels et sans raison, en somme,
Destinés à ne plus jamais pouvoir s’unir.

Kinako vole entre les branches et les feuillages qui frôlent ses hanches,
Quinze printemps lancés d’un gracieux mouvement de balancier
Ses pieds nus sur le sol d’une forêt inconnue,
Déclenchent une brume qu’elle hume,
Une odeur étrange et envoutante, si bien qu’elle la tente
À avancer rapidement, quasiment inconsciemment,
Dans les bois qu’elle foule pour la première fois.
Et c’est en marchant qu’au loin elle entend un chant

L’Exilé, une Entité des Premiers Jours
Voyait les Hommes avec compassion et amour
Les voyait périr, dans leur immortalité
Meurtris par la folie de leur éternité

Kinako approche prudemment, analysant savamment
Cet environnement changé qui lui est étranger.
Les arbres sont splendides, et des fleurs candides
Poussent partout dans les airs, comme milles lumières.
Tout devient plus clair, la brume s’envole et dévoile ses mystères.
Kinako explore ce jardin magnifique, se pensant perdue dans un rêve idyllique
Mais elle ne sait pas ce qui bientôt l’observera, seulement à quelques pas.
Et inconsciente elle s’approche du Château, absorbée par une étrange roche.

Par pitié, l’Exilé apaisa les humains,
Leur permettant de ne plus voir de lendemain
Et, leur accordant une mort libératrice,
Il s’attira l’ire de forces destructrices

Kinako observe et avance, quand… »

- Maman, elle est trop longue ton histoire !

Kinako arrête son récit, observant sa fille, allongée sur le tapis devant sa chaise à bascule, avec tendresse.

- Pourtant, il te faut l’entendre en entier pour bien la comprendre, non ?

La fillette adopte une moue perplexe, et caresse un de ses bois où les bourgeons commenceront bientôt à fleurir.

- Oui, mais c’est trop long, maman ! On peut la finir demain ?

Kinako sourit.

- Je pense que c’est mieux, en effet. Allez. Va te coucher.

Et alors que la canaille monte dans sa chambre, Kinako va chercher son manteau.

Dehors la nuit est froide, et est tombée depuis longtemps. Tant mieux, l’obscurité camouflera son départ. Même si Kinako habite dans les tréfonds de la forêt, elle n’est jamais assez sûre.

Elle emprunte le sentier mille et mille fois arpenté. Et elle aperçoit la brume. Plus que quelques minutes avant d’arriver à destination.

Elle pénètre les Jardins. Pas d’observation ni de contemplation cette fois.

Kinako se dirige directement vers le Château.

Elle arrive très vite face au gigantesque édifice de diamant, et en pousse avec difficulté la porte.

Elle pénètre dans le gigantesque hall, illuminé par une lumière de provenance inconnue. Quand soudain elle aperçoit une forme noire au loin.

La créature mesure dans les deux mètres de haut, et serait humaine, sans la noirceur de son corps, l’absence de bouche et les immenses bois illuminés de milliards de petites lumières, qui sont autant de fleurs magnifiques, mourant et renaissant sans cesse.

-Kinako…

La créature s’approche de la jeune femme, qui ne frémit pas.

Les Toutes Puissantes condamnèrent l’Exilé
À apporter la Paix qu’il avait délivré
Mais Elles changèrent la Paix en Douleur
Emportant même ceux dont il n’était pas l’heure
L’Exilé devint un grand mal pour les mortels
Quand celui-ci les avait sauvé d’un sort cruel
Il fut condamné à jamais dans un Château
À récolter les âmes des savants, des sots
Pour l’Eternité. Ainsi, telle fut sa peine
Mais tout s’équilibre et vint un jour une reine
Pour le roi déchu dans sa morbide demeure.
Remerciement des hommes pour leur bienfaiteur
Elle s’occupa de l’Exilé, qui refusa au moment venu
De l’envoyer dans l’Après, ou tous sont promus,
Refusant de faire fermer sa fleur sur ses bois,
La gardant en vie, elle vécut près de son roi
Et de leur relation naquit l’espoir qu’un jour
Grâce à l’enfant de deux mondes à nouveau l’amour
Entre les Hommes et les Dieux puisse être encore,
Et c’est ainsi, que l’Amour naquit de la Mort.

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