Tous saints

1er octobre 2017

Le Directeur de Site Edgar Holman était assis dans son bureau au Site-64, de la paperasse de l'épaisseur d'un petit dossier étalée devant lui. La Chercheuse Cooper était assis dans une chaise en face de lui ; elle arborait un visage confiant en l'observant lire l'article. Les objets anormaux apparaissaient tout le temps à Trois Portlands et finissaient généralement au sein de l'aile de stockage de basse sécurité du site à prendre la poussière jusqu'à la fin des temps. Ce qui était rare, c'était lorsque quelque chose provenant de l'époque lors de laquelle les Laboratoires Prometheus utilisaient Trois Portlands comme un paradis fiscal faisait surface. Dans ce cas particulier, l'artefact en question était de la poudre d'un bleu électrique qui, lorsqu'inhalée, permettait à son utilisateur de parler avec les morts. Holman posa le dossier d'Objet Expérimental et fronça les sourcils.

"Où dites-vous que Tau-51 a récupéré ça, déjà ?" demanda-t-il.

"La vieille ville, monsieur," répondit Cooper. "Quelques jeunes anartistes l'utilisaient dans le cadre d'une représentation expérimentale, lors de laquelle tous les acteurs étaient morts."

Holman hocha la tête.

"Donc ça marche ? Ce n'était pas juste une bande de drogués ?"

"Eh bien, techniquement, si," gloussa Cooper. "L'IRM a montré que cela éveille les mêmes régions du cerveau que le LSD, et cela déclenche de nombreuses hallucinations auditives et visuelles. Mais les tests avec des Classes-D ont confirmé que les sujets peuvent parler avec les morts, ou quelque chose qui dispose de la mémoire des morts."

Holman eut un léger sourire en remarquant l'excitation dans les yeux de Cooper. La plupart des objets apportés au Site-64 depuis la scène anartiste de Portlands ne méritait guère plus qu'un numéro d'objet anormal. Il était rare qu'ils aient à soumettre un objet pour une désignation SCP.

"Si cette version préliminaire obtient votre approbation, nous sommes prêts à la soumettre dès que nous aurons votre signature," dit-elle avec un sourire.

Holman acquiesça et tendit la main en direction de son stylo, mais s'arrêta. Le sourire de Cooper s'évanouit.

"Je vais mettre ça en attente juste pendant quelques temps…" commença-t-il. "Dès que les Analyses entendront parler de ça, ils vont commencer à se tourner vers les devs de paratech pour fabriquer notre propre version. La capacité de parler avec les morts a de nombreux usages. Maintenant que nous avons notre labo MATA pleinement opérationnel, voyons si nous pouvons réussir à le synthétiser en premier et vraiment faire connaître le Site-64."


31 octobre 1998

Edgar et Rita était assis sur la terrasse supérieure en bois de leur maison, qui surplombait la rue recouverte de feuilles en contrebas. Un vent froid soufflait, et le soleil disparaissait derrière les collines du lointain Portland. Rita était enveloppée dans une grande couette. Edgar lui tendit une tasse de cidre épicé avant de s'asseoir à côté d'elle et de lui sourire. En bas de la rue, ils pouvaient discerner la silhouette de leur plus jeune enfant allant chercher des bonbons avec un groupe d'amis. Elle avait un costume de hot-dog complet avec de la moutarde. Leur plus âgé était au rez-de-chaussée et distribuait des bonbons à leurs invités.

"Joyeux anniversaire," dit Edgar en écartant de sa main une mèche des longs cheveux noirs de sa femme derrière son oreille et lui faisant un bisou sur la joue.

"Joyeux Halloween," répondit-elle avec un sourire chaleureux. "J'espère que tu n'as pas dû demander trop de faveurs pour prendre un jour de congé."

"Pas du tout," répondit instantanément Edgar avec un gloussement. "Ils m'ont supplié de partir."

Tous deux s'étreignirent les mains et dirigèrent leur attention en direction du cirque de personnages déguisés vagabondant dans la rue en contrebas.


2 octobre 2017

Le Chercheur Conwell cligna plusieurs fois des yeux en digérant les mots du Directeur Holman.

"Un-un mois ?" bégaya-t-il. "Vous voulez que ça soit fait en un mois ?"

"Vous pouvez le faire ?" demanda Holman.

Conwell regarda les papiers et fit nerveusement courir sa main dans ses cheveux en bataille. Il finit par hausser des épaules.

"Eh bien, peut-être ?" répondit-il. "Vous ne nous donnez pas grand-chose à partir de quoi commencer. Nous n'avons pas la documentation originale des LP, et si cette poudre a subi une quelconque forme de traitement anormal auquel je n'ai pas accès, nous sommes foutus. Mon équipe est bonne, mais nous ne sommes pas des alchimistes."

Holman eut un sourire sournois.

"Vous ne me dites pas non…"

Conwell fronça des sourcils.

"Je vais devoir mettre au moins trois autres projets de synthèse de côté pour ça, vous le savez, n'est-ce pas ?" demanda-t-il. "Je vais rediriger les chercheurs en colère chez vous."

"Faites ce que vous avez à faire." dit Holman en haussant des épaules.

"Alors très bien…" soupira Conwell.

"Formidable. Gardez-moi dans la boucle," dit Holman avec un rictus penaud. Il fit ensuite un signe de la main en sortant du bureau.

Conwell s'enfonça plus profondément dans sa chaise en regardant les papiers et les échantillons sur le bureau devant lui, puis mit un peu de musique.

Losing My Religion, de REM, se lança.


31 octobre 2014

Edgar et Rita était assis dans le salon de leur maison et regardaient la pluie qui trempait les chercheurs de bonbons. Rita était enveloppée dans sa grande couette, ses yeux légèrement enfoncés dans son crâne alors qu'elle regardait en silence les enfants se précipiter de porche sec en porche sec. Edgar lui offrit une tasse de cidre épicé, mais elle la repoussa d'un geste de la main. Il s'assit en silence à côté d'elle et la rejoignit dans son observation du passage des chercheurs de bonbons.

"Joyeux anniversaire," dit doucement Edgar. Il fit un bisou sur la joue de sa femme. Cette fois, il n'y avait plus de cheveux à écarter derrière son oreille.

"Joyeux Halloween," finit-elle par répondre avec un faible sourire. "J'espère… j'espère que tu n'as pas dû demander trop de faveurs pour prendre un jour de congé… hein ?"

Edgar resta silencieux pendant quelques instants.

"Pas du tout," finit par murmurer Edgar. "Ils m'ont supplié de partir."

Edgar tâtonna à la recherche de la main de sa femme et fit lentement glisser la sienne entre ses doigts, jusqu'à ce qu'elles soient toutes deux étroitement enlacées. Sa peau était moite dans son étreinte. Elle se tourna pour le regarder avec un sourire désolé puis posa sa tête sur son épaule.


8 octobre 2017

Bonjour, vous appelez Karen et Ted Holman. Nous ne sommes pas disponibles maintenant, donc laissez-nous un nom et un numéro et nous vous rappellerons dès que possible.

"Salut Ted, c'est papa.

Je me demandais si toi et Karen aviez prévu quelque chose pour Halloween. Je sais que les jumeaux sont arrivés à un âge suffisant pour aller chercher des bonbons… et j'espérais pouvoir me joindre à vous, si ça ne vous dérange pas. Tu sais, quelque chose pour me faire sortir de la maison…

Bref, j'espère avoir bientôt de tes nouvelles. Embrasse Karen de ma part."


31 octobre 2016

Edgar était assis dans le salon, seul. Il était au Site-64 lorsque l'employé du centre de soins palliatifs l'avait appelé plus tôt ce mois-ci. En raison d'une brèche de sécurité, cela lui avait pris quatre heures de plus avant qu'il ne puisse rentrer à la maison.

Edgar regardait silencieusement les chercheurs de bonbons passer devant sa maison, s'arrêtant uniquement lorsqu'une tasse de cidre épicé entra dans son champ de vision. Il se tourna pour faire face à son aîné.

"Maman te tuerait si elle te voyait arrêter cette tradition," dit Ted en tendant à son père la tasse fumante. Edgar la prit sans conviction.

"Merci…" murmura Edgar. "Et merci d'être ici…"

Ted posa une main sur l'épaule de son père.

"Bien sûr."

"Des nouvelles de ta sœur ?"

Ted secoua la tête.

"Je ne pense pas qu'elle viendra. Elle est… encore assez en colère. Donne-lui du temps. Elle se ravisera."

Edgar acquiesça.

"Joyeux anniversaire…" finit-il par murmurer.

"Joyeux Halloween," répondit Ted.


12 octobre 2017

Vous êtes sur la messagerie vocale de : Edgar Holman. Veuillez laisser un message après la tonalité.

"Salut papa, c'est Ted.

Je suis désolé de répondre si tard. Le travail est très intense, même si je suis sûr que tu t'y connais mieux sur le sujet que moi…

Je suis désolé de t'annoncer que Karen et moi allons à une soirée Halloween chez l'un de nos amis cette nuit-là. Des amis de Karen ont accepté de garder Arthur et Laura.

Écoute, rappelle-moi quand tu auras ce message. On va se caler un déjeuner. Pour se voir. Je sais que cette période de l'année est un peu compliquée…

À bientôt."


15 novembre 2016

"Je crois que je ne comprends juste pas pourquoi c'est nécessaire," soupira Holman ; le psychologue assis en face de lui hocha la tête et nota quelque chose dans son cahier.

"La perte d'une épouse affecte souvent les gens profondément, Edgar," répondit le Dr Aeslinger. "Nos supérieurs veulent simplement que je m'assure que vous allez bien."

"Quoi… pensent-ils que je vais pactiser avec un démon pour ressusciter Rita ?"

"C'est ce que vous allez faire ?" répondit le Dr Aeslinger avec un rire compatissant. Holman fronça des sourcils.

"Rita s'est battue pour une bonne raison pendant des années. Les employés des soins palliatifs ont tout fait pour que sa fin soit confortable, et elle est décédée avec ses amis et sa famille autour d'elle. Peu de personnes peuvent en dire autant. Je vais bien, ok ? Je ne vais pas péter un câble. Je ne vais pas libérer les skips. Je vais bien. Je veux juste me remettre au travail."

Le Dr Aeslinger écrivit plusieurs notes.

"Ed, je suis dans l'obligation de réaliser une évaluation complète, donc nous allons en avoir pour un moment. Ça ne te dérange pas de répondre à quelques questions, pour moi ?"


14 octobre 2017

Salut. C'est Linda. Vous m'avez manqué, donc allez-y, faites ce que vous avez à faire après le bip.

"Salut Linda, c'est papa.

Je me demandais si tu étais libre cet Halloween. Je sais que c'est un peu à la dernière minute, mais je me suis dit que peut-être ce serait l'occasion de se revoir… peut-être voir ces films d'horreur que tu adores. Je n'ai toujours pas vu Cabin in the Woods.

Bref, dis-moi si tu es libre. Je n'ai pas changé de numéro.

Je t'aime."


18 octobre 2017

Le Chercheur Conwell et la Chercheuse Cooper regardait la salle d'examen à travers un miroir sans tain. À l'intérieur de la pièce se trouvait un brancard à roulettes sur lequel était posé un cadavre. Dans quelques instants, l'un des quelques Classes-D du Site-64 serait envoyé à l'intérieur.

"Advienne que pourra…" soupira Conwell avant d'attraper une petite fiole sur un support à proximité. À l'intérieur se trouvait une poudre bleu électrique.

"Tu penses que ça va marcher ?" demanda Cooper en regardant la fiole avec curiosité.

Conwell haussa des épaules avec exagération.

"Je n'en ai littéralement aucune idée," répondit-il. "Chimiquement, ce que nous avons préparé est identique au truc des LP, mais nous ne saurons pas s'ils y ont rajouté un abracadabra avant de commencer les tests. Si c'est le cas, sans la documentation originale des LP, nous sommes foutus."

"Ah…" dit Cooper en fronçant des sourcils. "Croisons les doigts alors."

"Croisons les doigts."

Conwell tendit la fiole à l'un des assistants de Cooper et la regarda par la fenêtre d'observation être donnée au Classe-D qui attendait.

"D-1260," dit Cooper dans le microphone après que le Classe-D eut inhalé la poudre. "Dans quelques instants, vous pourriez expérimenter des hallucinations visuelles et auditives…"


22 octobre 2017

Le Directeur Holman parcourait oisivement des rapports sur son ordinateur lorsque sa secrétaire annonça l'Agent Sasha Merlo. Avec un grand soupir, l'expression fatiguée du directeur se transforma en une indifférence professionnelle. Il se remit en place sur son siège, ajusta sa posture et attendit que la porte s'ouvre. Sans surprise, quelques instants plus tard, l'agent glissa dans la pièce.

"Merlo," lui dit Holman en connaissant déjà la réponse à la question qu'il était sur le point de poser. "Que me vaut ce plaisir ?"

"Tu as quelque chose de prévu pour Halloween, Ed ?" demanda Merlo en riant.

Holman, confus, leva un sourcil.

"Quoi ?"

"Moi-même et plusieurs autres membres du personnel du site allons au Pub du Secret Crest le 31. Une sorte de fête d'Halloween non-officielle. Tu es plus que le bienvenu. Nous nous sommes dits que tu souhaiterais un peu de compagnie."

Holman baissa les yeux en direction de son bureau puis rangea quelques papiers en silence avant de répondre.

"Merci pour ton offre, Sasha, vraiment, mais j'ai déjà quelque chose de prévu. Je vais bien, je t'assure." Holman fit son meilleur sourire rassurant. Merlo répondit avec un hochement de tête amusé.

"Comme tu voudras, dis-le moi si tu changes d'avis."

L'Agent Merlo fit un semblant de geste de la main et commença à partir.

"Mais merci de veiller sur moi. C'est… c'est apprécié," dit Holman lorsqu'elle arriva à la porte.

"Je vous en prie, monsieur. Prenez soin de vous."

Holman l'observa partir puis regarda son téléphone personnel.

"Enfin, j'espère que j'ai quelque chose de prévu…"


28 octobre 2017

Holman siffla en regardant les nombreuses fioles remplies de poudre bleu électrique soigneusement rangées sur le bureau de Conwell. Le jeune spécialiste MATA affichait un sourire satisfait sous ses yeux fatigués du manque de sommeil.

"Donc votre équipe s'en est tirée, hein ?"

"Bien sûr," soupira Conwell. "Ça nous a pris plusieurs nuits blanches, mais nous y sommes. Si la compta se demande pourquoi nos dépenses de café sont si élevées ce mois-ci, voilà la raison."

Conwell rit brièvement à sa propre blague.

"Donnez-nous un jour pour reprendre notre souffle, un autre pour taper les instructions de synthèse, et vous devriez être bon pour envoyer ça avec sa désignation."

Holman hocha la tête.

"Vous en demandez beaucoup, mais je pense que je peux vous accorder ça. Ne prenez juste pas trop longtemps, Cooper est en train de ronger son frein."

Conwell leva les mains pour mimer une terreur épuisée. Holman remarqua la bague en titane à la main gauche du chercheur.

"Je ne savais pas que vous étiez marié," dit Holman en pointant du doigt l'alliance argentée. "Depuis combien de temps ?"

"Un an en novembre," répondit Conwell. "Mais j'ai l'impression que c'était hier. Le temps passe vite quand on est enfermé ici."

Holman répondit avec un rire gauche. "En effet… Vous avez prévu quelque chose pour Halloween ?"

"Je crains que non," dit Conwell en haussant les épaules. "Je ne savais pas si nous aurions fini d'ici là, donc je lui ai dit que je serais sans doute occupé. Kate s'est déjà proposée pour travailler ce soir-là. Je vais probablement aller à ce truc auquel Merlo m'a invité. Et vous ?"

"Ah, eh bien, amusez-vous bien." répondit Holman après quelques instants de silence. Il fit ensuite un hochement de tête et commença à se diriger en direction de la porte du laboratoire.

"J'ai hâte de lire le rapport de synthèse," dit Holman sur le seuil de la porte. "Et savourez le temps que vous passez au sommet. Vous ne savez jamais quand vous commencerez à dévaler la pente."

Conwell regarda son supérieur partir en clignant plusieurs fois des yeux, confus.

"Très bien…" se dit-il. "Bizarre."


30 octobre 2017

Vous êtes sur la messagerie vocale de : Edgar Holman. Veuillez laisser un message après la tonalité.

"Salut papa, c'est Linda.

Je suis… désolée de ne pas t'avoir répondu plus tôt. Je crains d'avoir échangé des heures avec un collègue à l'hôpital pour qu'il puisse emmener ses enfants à la chasse aux bonbons. Donc je ne pense pas que je pourrais venir.

Hé, comme au bon vieux temps, hein ?

Erm, désolée. C'était méchant.

Teddy m'a déjà dit que vous vous voyiez le 4. Je vais voir si je peux venir.

Prends soin de toi, papa."


31 octobre 2017

Avant de commencer à grimper l'échelle administrative de la Fondation, Edgar Holman avait été un agent de terrain, plutôt doué en plus de ça. Il avait pour cette raison trouvé particulièrement facile de se glisser dans le laboratoire de Conwell et de récupérer un peu de poudre bleu électrique dans chacun des échantillons préparés. Ceci dit, il était le Directeur du Site et avait accès à la plus grande partie de l'installation. Peut-être que ses compétences en espionnage n'étaient pas aussi aiguisées que dans sa mémoire. Dans tous les cas, il se rappela de proposer des améliorations à la sécurité du site en s'installant dans le canapé de son salon, dans l'obscurité.

Le regard de Holman traversa la pièce en direction de son manteau de cheminée, plus précisément en direction de la boîte en argent uni qui résidait en son centre. Il prit un grande inspiration, ferma les yeux puis inhala la poudre. Plusieurs minutes passèrent ensuite, dans le silence. Il baissa les yeux en direction du sol et soupira.

"Edgar ?" Une voix familière mais distante brisa le silence.

Il tourna la tête ; elle se tenait là. Elle était pieds nus et portait une simple robe ; sa silhouette entière était de couleur sépia. Ses cheveux étaient coiffés en une queue de cheval qu'elle portait souvent de son vivant, mais ses yeux étaient toujours enfoncés, comme peu avant sa fin. La bouche d'Edgar resta grande ouverte pendant plusieurs instants.

"Sa… salut, Rita," finit par bégayer Edgar avant de se lever. "Jo… Joyeux anniversaire…"

Les lèvres de sa femme esquissèrent un sourire mélancolique.

"Joyeux Halloween," répondit-elle. "J'espère que tu n'as pas dû demander trop de faveurs pour prendre un jour de congé."

"Pas du tout. Ils m'ont supplié de partir."

Elle sourit, et il se sentit faire de même. Il l'observa l'examiner de haut en bas.

"Tu ressembles à un mort, chéri," finit-elle par s'exclamer.

Edgar eut un rire fatigué et traversa rapidement la pièce, écartant ses bras en grand et tentant d'envelopper Rita dans un grand câlin ; mais il ne sentit que ses bras se fermer autour de lui et son corps entier plongea dans le froid.

Il regarda brièvement autour de lui, confus ; sa femme se tenait de l'autre côté de la pièce.

"Je crois que tu ne pourras que toucher avec les yeux, Ed," répondit-elle avec un froncement de sourcils. "Je suis désolée…"

Holman gloussa puis soupira.

"Eh bien, zut alors," dit-il. "Et moi qui voulait emmener ça jusque dans la chambre."

Rita gloussa.

"Tu m'as tellement manqué…" dit Holman ; son sourire fatigué se transforma en un froncement de sourcils alors qu'il s'enfonçait dans un fauteuil à proximité.

"Tu me manques aussi," répondit-elle avant de s'asseoir sur l'accoudoir du fauteuil. Elle posa sa main près de lui, suffisamment pour qu'il puisse sentir la froideur de sa peau mais sans vraiment le toucher. Ils se regardèrent pendant quelques secondes en silence.

"Comment vont les enfants ?" finit-elle par demander.

"Ça va, je suppose. Ted et Karen sont occupés avec les jumeaux. Linda… ne m'a pas vraiment parlé depuis que tu es partie."

Rita baissa les yeux et fronça des sourcils.

"Pourquoi ?"

"Quand tu es partie… J'ai été coincé au travail pendant des heures avant de pouvoir rentrer. J'imagine que pour elle, ça a été le dernier clou dans le cercueil. Que le travail m'importait davantage que vous."

"Ah… Oui… c'est une bonne raison."

Holman ferma les yeux et se détourna.

"Tu pensais pareil ?"

Rita haussa les épaules.

"Parfois, sans doute. D'autres fois, pas vraiment."

Elle leva un sourcil lorsque Holman soupira avec soulagement.

"Ça te pesait beaucoup, hein ?" demanda-t-elle.

Il acquiesça.

"Eh bien…" dit-elle. "Tu es là maintenant. C'est suffisant pour moi."

"Merci," sourit Holman avec des larmes dans les yeux. Rita se pencha et lui fit un bisou sur la joue ; la froideur le frappa de nouveau alors qu'elle s'évanouissait et réapparaissait de l'autre côté de la pièce. C'est là qu'elle se vit dans un miroir. Elle eut un froncement de sourcils en examinant ses traits, qui se transforma en un sourire amusé.

"Je retire ce que j'ai dit tout à l'heure," dit-elle. "C'est moi qui ressemble à une morte. Comment je suis ici, d'ailleurs ? Tu as fait la même chose qu'Orphée ?"

"C'est un manière de voir les choses," répondit-il. "J'ai pris quelque chose. C'est temporaire. Tu vas finir par disparaître."

"C'est probablement pour le mieux," soupira Rita. "Les morts doivent rester morts, après tout…"

"Pas forcément…" sourit Holman. "Pas forcément toi. Même si je ne peux pas te toucher, c'est mieux que rien. Cette dernière année a été tellement douloureuse…"

"Cette douleur finira par disparaître," l'interrompit Rita. "C'est comme gratter une cicatrice. Continue et ça ne soignera pas, ou pire, ça créera une infection. Ne te fais pas ça à toi-même."

Holman ferma les yeux et baissa la tête. Il pouvait sentir Rita revenir s'asseoir sur l'accoudoir du fauteuil.

"Chéri, tout ce pour quoi tu penses avoir besoin d'un pardon, tu l'as. Mais s'il te plaît… ne le fais pas."

Holman hocha la tête et leva ses yeux rougis de larmes séchés.

"Je dois dire que je pensais que tu serais un peu plus folle de joie à propos de tout ça…" Il eut un rire triste.

"La vie est pleine de surprises."

"En effet."

"Je t'aime, chéri."

"Je t'aime aussi."


Les effets de la poudre durèrent toute la nuit. À sa fin, ils s'assirent au balcon de leur maison et regardèrent le soleil se lever. Elle se tenait suffisamment proche pour qu'il puisse sentir sa froideur. Finalement, le froid commença à disparaître. Il se tourna et la regarda. Lentement, sa silhouette s'évanouissait. Elle lui fit un sourire chaleureux et disparut. Edgar Holman était de nouveau seul.


1er novembre 2017

Le Directeur Holman était assis dans le bureau de l'Agent Merlo et était en train de conclure une réunion concernant les derniers exploits de la FIM Gamma-13. Bien qu'il maintenait un sourire et un contact visuel, son crâne était secoué d'un mal de tête si fort qu'il aurait fait pâlir n'importe quel gueule de bois. Une fois cette réunion finie, son plan était de s'asseoir dans son bureau, idéalement sans dérangement, pour le reste de la journée. Il eut un subtil soupir de soulagement lorsque Merlo lui tendit le dossier contenant tous les récents rapports et commença à se diriger en direction de la sortie.

"Oh, au fait," l'appela Merlo lorsque celui-ci eut atteint la porte. "Conwell est venu ce matin. Il m'a montré un petit bout d'un enregistrement de sécurité de son labo hier. Je pense que vous voudriez peut-être le voir."

Holman se figea. Merlo garda un sourire amusé en sortant une petite caméra de l'intérieur de son bureau et en lançant la vidéo. L'image de Holman prenant la poudre dans le laboratoire de Conwell dansait sur l'écran.

"Il a caché une caméra personnelle là-dedans…" commenta Holman avec un soupir.

"En effet," gloussa Merlo. "Apparemment, l'un des autres chercheurs de l'équipe MATA a perdu quelqu'un récemment. Conwell avait peur qu'il puisse prendre un peu de "Poussière de Spiritisme". Il ne s'attendait pas à vous trouver la main dans le pot de confiture."

"Donc, et maintenant ?"

Merlo haussa les épaules.

"Honnêtement, ça dépend de vous, Ed. Je suis la seule à laquelle Conwell l'a dit, pour l'instant. C'est drôle. Il n'est pas sûr de si c'est un test d'éthique, si vous lui aviez proposé de couvrir vos traces…"

"Qu'est-ce que tu vas faire, Sasha ?" l'interrompit-il. Merlo fronça des sourcils.

"Est-ce que tu vas essayer de reprendre de cette merde ? Si tu en as la chance ?"

Holman secoua la tête.

"Rita m'a fait promettre de ne pas le faire, même si ce n'est pas comme si je pouvais en avoir plus si je le voulais."

"As-tu eu les réponses que tu cherchais ?"

"Certaines, oui," répondit Holman après une pause. "Même si pour être honnête, je ne suis pas vraiment sûr des questions auxquelles je voulais des réponses."

"Donc ça valait le coup ?"

"J'aime à le penser."

"Très bien," dit Merlo en gloussant. "Hé, bon, tu peux dire adieu à tes chances d'arriver au Niveau d'accréditation 5."

"J'ai eu assez de mal à rester sain d'esprit en gérant un seul Site paumé," répondit Holman avec un rictus fatigué. "Je ne veux pas m'occuper de tous les autres."

Merlo acquiesça. Elle supprima ensuite silencieusement le fichier vidéo de la caméra de Conwell et scella ses lèvres de ses doigts.

"Je vais parler à Conwell. Pour qu'on soit sur la même longueur d'onde," dit-elle en souriant.

"Donc c'est tout ?" demanda Holman.

"C'est tout."

Holman commença à se diriger en direction de la sortie.

"Vous réunissez-vous pour Halloween au Secret Crest chaque année ?" demanda-t-il en s'arrêtant sur le seuil.

"Bien sûr."

"Je suis partant pour 2018," dit-il avec un sourire, avant de sortir dans le couloir.

Sauf mention contraire, le contenu de cette page est protégé par la licence Creative Commons Attribution-ShareAlike 3.0 License