Une brûlure forte et robuste

Centre International pour l'Étude de la Thaumatologie Unifiée, campus de Trois Portlands
10 janvier 2011

Beatrice Ross regarda autour d'elle : une cacophonie composée des voix de trente jeunes mages enthousiastes remplissait la pièce alors qu'ils attendaient que le premier cours du cursus d'évocation appliquée commence. La salle de classe avait la forme d'un auditorium en demi-cercle : une grande scène au centre, délimitée par des runes luisantes, était entourée par des rangées de sièges d'observation et des bureaux. Quelqu'un, qui n'était clairement pas le professeur, était sur la scène pour une raison inconnue - androgyne, cheveux courts, pull trop grand, il lisait l'édition du jour de The Portlander.

"Nerveuse ?" demanda Angela ; sa question ramena l'attention de Beatrice à son environnement immédiat.

"Un peu." Beatrice se tourna vers son amie avec un petit sourire. "Et toi ?"

"Je vais être honnête, Bea, je suis hyper contente."

"Je suppose que ça fait au moins une sur deux," gloussa Beatrice.

Les lumières commencèrent à diminuer, redirigeant son attention vers la scène. Un grand homme dégingandé dans un col roulé noir arriva. Même depuis son siège, Beatrice pouvait discerner les lunettes qu'il portait dans ses cheveux gominés en arrière et l'air renfrogné qui se dessinait sur ses lèvres alors qu'il contemplait sa nouvelle fournée d'élèves.

"Je suis le Dr Hans Vogel," dit-il, la voix étonnamment douce étant donné sa force de projection dans la pièce. "Afin de briser la glace, je souhaite que vous soyez tous honnêtes avec moi. Combien d'entre vous sont là parce qu'ils veulent faire "exploser des choses" ?"

Un silence malaisé suivit, mais une série de quatre ou cinq mains finit par se lever dans l'audience. Angela commença également à lever la sienne mais s'arrêta lorsque Beatrice lui donna un coup de coude et secoua la tête.

L'air renfrogné de Vogel se renforça.

"Sortez," dit-il.

Quelques rires émergèrent de la foule, mais ils s'évanouirent lorsque son regard noir s'accentua de nouveau.

"Je ne rigole pas," dit Vogel. "Sortez de mon cours. Ne revenez pas. Vous n'êtes pas des personnes à qui je vais apprendre. Vous, vous, vous, vous et vous. Disparaissez !"

Un doigt effilé pointa tour à tour chaque personne qui avait levé sa main. Un par un, chacune rassembla ses affaires et sortit. Une fois parties, l'air renfrogné disparut et fut remplacé par une moue froide.

"Maintenant que nous nous sommes débarrassés des poids morts, permettez-moi de vous dire que je n'ai aucune tolérance pour des mages si inconscients," continua Vogel. "L'évocation est une école incroyablement dangereuse, et il faudra me passer sur le corps avant que quiconque dans cette institution ne la traite comme un enfant traite un pistolet trouvé dans un tiroir. Vous devez la considérer avec une extrême précision et précaution, ou vous allez tuer tout le monde autour de vous, puis vous-même."

Son regard parcourut les étudiants restants. Un frisson parcourut le dos de Beatrice alors que ses yeux tombaient sur elle.

"Si vous vivez une vie très chanceuse, vous n'aurez jamais besoin d'utiliser ce que vous allez apprendre ici," ajouta-t-il. "Mais si vous en avez besoin, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour m'assurer que vous serez pleinement préparés et prêts."

De nouveau, ses yeux parcoururent l'audience. Le froncement de sourcils devint ensuite un petit sourire satisfait.

"Très bien," dit-il. "Cessons de vous faire peur. Nous avons beaucoup de travail. Avant que je ne vous autorise à jeter ne serait-ce qu'un simple projectile de force désincarnée, vous devez absolument maîtriser l'aspect théorique de l'évocation. Je parle de calculs. D'essais. De relevés. Votre cerveau va bouillonner."

Puis il fit un geste en direction de l'autre personne sur l'estrade, qui avait mis de côté son journal, s'était levé et avait commencé à s'étirer.

"J'aimerais également en profiter pour vous introduire Robin Thorne, pour ceux qui ne le connaissent pas encore. Iel sera notre assistant pédagogique pour les prochains semestres et était à votre place il y a un ou deux ans. Iel dispose, parmi tous mes étudiants passés, de l'une des meilleures compréhensions théoriques de l'évocation. Atteignez la moitié de son niveau, et vous devriez vous en sortir."


Portland, Oregon
24 septembre 2023

Les arbres de Park Blocks, dans le centre-ville de Portland, commençaient déjà leur transformation : le vert de la canopée de ces arbres à feuilles caduques était moucheté de rouges, d'oranges et de jaunes luxuriants. Une chaude brise les traversait parfois, ce qui rendait la scène plaisante et confortable, malgré le nombre important de personnes qui passaient. Une aura familière fut bientôt détectée, et l'agente commença à chercher cette vieille connaissance. L'Agente Beatrice Ross imaginait qu'elle aurait pu baisser la garde ici — si ce n'était pour la personne qui rôdait en ville et tentait de l'assassiner pour lui voler son âme.

"On doit arrêter de se voir comme ça," dit Robin Thorne en glissant rapidement sur le banc à côté de Ross. "Comment va ta main ?"

Ross leva sa main gauche gantée et soupira. Celle-ci émit un vrombissement mécanique très léger en tournant à 360 degrés sur l'axe de son poignet.

"La Fondation m'a fourni des prothèses l'année dernière, après l'incident - la jambe droite, aussi. Elles sont pas mal, mais je ne peux pas acheminer de l'énergie à travers elles. Donc je suis une droitière seulement, maintenant."

"C'est chiant, j'en suis sûr," commenta Thorne en regardant la main effectuer quelques tours de plus avant de s'arrêter. Ross le·a regarda frotter une série de marques de brûlure sur ses propres poignets. Elle s'apprêta à poser une question à ce sujet mais fut interrompue par l'ancien·ne assistant·e pédagogique, qui continua. "Je suis désolé pour Angela, d'ailleurs. Je sais que vous étiez proches, toutes les deux. Tu tiens le coup ?"

"Merci," répondit Ross avec un sourire triste. "C'est vraiment gentil. Ça va. Maintenant, la meilleure chose que nous puissions faire, c'est s'assurer que celui ou celle qui a fait ça aille pourrir à Paramax. Tu as amené les photos ?"

Thorne hocha la tête et sortit une enveloppe de son manteau. Iel l'ouvrit avec précaution et révéla une série de photographies de corps racornis et émaciés. Avant, Ross aurait pu tous les reconnaître. Maintenant, ils étaient au-delà de toute identification. L'agent·e de l'U2I les passa en revue un par un.

"Le Dr Vogel a été trouvé dans son bureau du CIETU. Personne de la sécurité du campus n'a eu connaissance de ce qui était arrivé avant que l'un des autres professeurs ne le trouve là le lendemain matin. Les golems de sécurité n'ont pas été actionnés non plus. Irida Kemp a été trouvé à Evergreen Park. Quelques recherches ont permis d'établir qu'elle et son chien se promenaient là chaque jour à la même heure, le soir. Nous n'avons toujours pas retrouvé le chien. Edmund Bray a été trouvé par son bailleur dans son appartement lorsqu'il n'a pas payé son loyer. Nous pensons qu'il était peut-être la première victime. Dans chaque cas, il n'y avait aucun signe de lutte, donc celui ou celle qui a fait ça était soit très discret, soit il ou elle connaissait les victimes. Probablement les deux."

Ross hocha la tête et sortit à son tour une photo.

"Angela était seule chez elle, et il est plutôt clair qu'un combat a eu lieu, étant donné que tout le mur avant de sa maison a fini dans l'allée de devant. Même si Angela était une conjuratrice, elle n'était pas mauvaise en évocation, donc celui ou celle qui a fait ça n'était pas une chiffe molle. Il ou elle doit être un thaumaturge correct, ou au moins avoir un important entraînement en techniques anti-magie."

Thorne regarda les photos en silence, ses yeux passant de l'une à l'autre.

"C'est quelqu'un que l'on connaît, Bea," dit-iel. "Quelqu'un de la promotion nous chasse."

"Tu pourrais obtenir des informations personnelles auprès de l'association des alumnis du CIETU ?" demanda Ross. "Ou mieux encore, savoir lesquels de nos camarades de classe ont une formation en nécromancie ?"

"Je pourrais avoir un mandat pour ça, bien sûr," dit Thorne en continuant d'examiner les photos. "Mais ça prendra du temps. Et pendant ce temps, celui ou celle qui a fait ça frappera sans doute de nouveau. C'est une nécromancie très puissante, à la fois pour ce qui concerne les sorts utilisés et pour ce qui concerne la raison pour laquelle il ou elle a besoin de ces âmes, quelle qu'elle soit. Je pense que ce serait mieux d'aller directement voir l'experte."

"Annabelle ?"

"Annabelle."

"On ferait mieux d'y aller alors," dit Ross avant de se lever. "La Voie la plus proche n'est active que pendant la journée à Trois Ports."

"Pardon ?" Thorne resta assis·e. "Comment ça, "nous" ? Tu n'es pas la bienvenue à Trois Ports, Bea. Tu es une skipper, maintenant."

"Je ne dirais rien à Creed si tu ne dis rien à Spencer," répondit Ross.

"Oh, oui, bien sûr," dit Thorne en secouant la tête. "Tu veux qu'on se le promette en se tenant le petit doigt, pendant que t'y es ? Ma réponse est toujours non."

"Ils étaient aussi mes amis, Thorne." Les yeux de Ross se rétrécirent. "Et maintenant que quelqu'un les tue, tu me dis que tu ne veux pas de mon aide pour l'arrêter ?"

"Oui. Parce que je ne viole pas la loi."

"Ton obstination continue de m'ébahir," remarque Ross. "Si j'étais Merlo, tu me tiendrais grandes ouvertes les portes de cette foutue Voie. Tu sais qu'on travaillera mieux ensemble que séparés. Tu penses qu'Annabelle va accueillir sans problème un fédéral sans moi avec toi ?"

Ross se tenait debout désormais. Si le fait que les gens avaient des conversations étranges en public n'était pas quelque chose de normal à Portland, elle aurait pu craindre d'exposer sa couverture.

"Tu ne penses pas que tu pourrais aussi être une cible ? Tu étais l'assistant pédagogique après tout. Je ne sais pas à qui on a affaire exactement, mais je pense qu'on serait bien plus en sécurité en groupe que tout seul. Ne ! Pas ! Se ! Séparer !"

Thorne fronça des sourcils et secoua de nouveau la tête. En silence, iel se leva et commença à partir.

"Tu n'es pas Sasha Merlo, Bea," répondit Thorne au-dessus de son épaule. "Mais tu as raison. Calme-toi un peu. On y va."


Trois Portlands
24 septembre 2023

Daxton Parker avait réussi sa vie à Trois Ports. Diplômé de la promotion du CIETU de Portlands en 2014, il avait une formation d'évocateur et s'était fait un nom en fournissant son expertise sur des augmentations anti-évocation pour la Golemancie Unifiée. C'était un travail qui payait bien. Depuis lors, il ne s'offrait que le meilleur — un joli penthouse dans un quartier cossu, les plus beaux costumes qu'il était possible d'acheter de ce côté du Voile, un chef personnel et une femme de ménage. Il avait vraiment eu du succès.

Il était revenu plus tôt que d'habitude de son bureau à la Place Prometheus, car il avait oublié un disque dur sur son bureau. En entrant dans la cuisine et en allumant la lumière, il sentit une piqûre dans son cou. En quelques secondes, il devint flasque, la gravité le faisant tomber la tête la première contre le parquet. Il tenta de crier, mais ne fut capable que de laisser échapper un grognement rauque.

"Ça fait un bail, Dax," dit une voix masculine derrière lui. "Quel joli endroit tu as là. Je crois que de notre promotion, tu es celui qui a le mieux réussi."

Daxton tenta de se tourner pour voir son assaillant, mais ses muscles refusaient de coopérer, et il ne put qu'entrapercevoir quelque chose dans son champ périphérique : une grande silhouette portant des robes sombres, qui saupoudrait en cercle autour de lui une poudre jaune à l'odeur infecte.

"Désolé pour les fringues clichés, mais soyons honnêtes, qui ferait attention à une énième personne en robes de mage noires à Trois Ports ?"

"au secours !" La voix de Daxton n'était rien de plus qu'un gémissement. La seule réponse qu'il obtint fut un gloussement de son assaillant.

"Tu es dans le thème, mon pote. Continue comme ça, tu veux bien ? Ça te rendra bien plus utile sur le long terme."

Une main luisant d'une sombre lumière nécrotique se referma sur le visage de Daxton…


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