Un lieu à appeler "Maison"

Il faudrait encore de nombreuses, nombreuses années avant qu'Altruist-9 n'entre en contact avec la localisation de EE-00059, voyage qui, à première vue, ne semblerait être qu'un vaste gâchis.

Le châssis métallique d'Altruist-9 scintillait alors qu'il traversait le ciel, scrutant les environs de ses senseurs d'un milliard de dollars, flottant dans l'infinité de l'espace profond. C'était presque une œuvre d'art, cette merveille d'ingénierie humaine entourée de tous côtés par les étoiles.

Il ne fallut pas longtemps pour que l'immobilité de la scène ne soit soudain brisée par une lumière inexplicable. Elle était apparue près de la sonde et s'étendit jusqu'à atteindre une taille massive, immense disque dans le ciel s'ouvrant devant Altruist-9. EE-00059-1. Le trou de ver.

Alors qu'elle se dirige à l'intérieur du repli à six dimensions de l'épicentre de EE-00059-1, la sonde vécut une expérience au-delà des mots. Ce fut bref, juste un instant, puis le moment passa comme un rêve. Il n'y avait rien d'autre à dire.

Peu après, Altruist-9 livrerait son chargement d'informations humaines ainsi qu'un drone unique contenant une IAA avancée baptisée "Buddy" sur la seul planète suffisamment proche du trou de ver.

Buddy est un drone ressemblant à un arthropode à six pattes capable d'observer, d'enregistrer et de transmettre des informations pour qu'elles soient soumises à l'analyse de la Fondation.

Malheureusement toutes les communications avec Buddy.iaa furent perdues lorsqu'il eut traversé EE-00059-1. La technologie qui permettrait de faire revenir une sonde semblable avait été considérée infaisable par toutes les formes de vie de l'autre côté de l'anomalie.

Ce n'était pas vraiment le cas.

Des technologies comme celle-là existaient depuis un milliard et demi d'années de l'autre côté de EE-00059-1. En réalité, aucune forme de vie de l'autre côté ne se souciait le moins du monde d'Altruist-9. Ce n'était rien de nouveau.

Le trou de ver qui allait être défini en tant que EE-00059-1 éjectait énormément de débris en provenance d'autres mondes. Beaucoup de choses de l'autre côté essayaient (et échouaient) de communiquer avec les dizaines de milliard de formes de vie qui résidaient et mouraient dans le lieu connu sous le nom de "l'Amas".

Il était ironique de voir à quelle point quelque chose nommé altruiste ne faisait aucune différence pour le bien commun de toutes les formes de vie carbonées de cette horrible planète. L'existence ici était déjà assez difficile.

De l'autre côté d'un trou de ver d'Ellis, à trois pas et un saut de la Terre, se trouvait une petit planète désolée de poussière et de déserts. Elle orbitait autour d'un soleil de type "corps noir" qui, bien que plutôt pâle, brûlait les yeux de tout être vivant que ne ferait même que jeter un coup d'œil à sa surface. Mais au moment de l'arrivée, ça n'avait pas d'importance.

La race humaine allait connaître une fin abrupte à cause d'une étoile très agressive lancée par un dieu encore plus agressif, et la planète en face semblait être un lieu aussi bon qu'un autre pour accueillir temporairement les quatre milliards de formes de vie fuyant les sursauts meurtriers provoqués par la supernova d'une saleté de corps céleste nerveux et à cran.

Bien que les gens de la "Terre" actuelle avaient presque tous oublié la destruction de leur planète d'origine, la perte de contact et la repopulation de l'autre moitié de ses habitants étaient totales. Là-bas, la mémoire de ce qui s'était passé était transmise suffisamment systématiquement pour que presque tout le monde s'en souvienne assez bien. C'était, après tout, l'héritage qui les avaient amenés ici.

Seuls, débarrassés des contraintes de l'univers comme de la Fondation, dont l'intérêt pour l'anormal avait très probablement provoqué la destruction qui les avait amenés ici, ils avaient appris à vivre et ne se faire confiance qu'entre eux. L'absence de de convoitises extérieures permit une ère de paix qui affermirait leur présence sur l'Amas.

La Nouvelle Terre, d'un autre côté, allait surtout connaître le succès, manquant de se consumer de nombreuses fois (et définitivement dans certaines chronologies, mais ne parlons pas de ça ici). Des civilisations se développeraient et s'effondreraient, les paradigmes changeraient. L'Histoire s'écrirait et se réécrirait tant de fois que leur origine ne serait jamais vraiment connue. Les habitants de l'Amas, de leur côté, avaient fait à la fois mieux et pire pendant leur développement si loin de leurs frères de la Planète Bleue.

L'Amas avait été nommé ainsi en raison de ses hauteurs incommensurables et du fait qu'elle était incroyablement surpeuplée. Les régions atmosphériques de la surface avaient un climat plutôt torride, faisant fondre la peau de la plupart des bestioles qui osaient se promener dans le demi-jour perpétuel de cette planète en rotation synchrone. L'Amas se trouvait du côté le plus froid et ses habitants s'étaient habitués à l'aimer et à le haïr puisqu'ils n'avaient d'autre choix que de passer leurs jours sur leur nouvelle résidence solitaire.

L'Amas était fait des débris qui n'avaient pas entièrement brûlé pendant leur trajet vers la surface de la planète. C'était un fatras hétéroclite mais uni de communautés d'êtres qui n'avaient rien d'autre à faire que de survivre et de se dévorer les uns les autres de temps en temps s'il le fallait.

C'était était misérable à tout le moins, avec de brefs épisodes de beauté et de merveille qui se dégageaient parfois de la monotonie de leurs vies quotidiennes. Les gens de l'Amas se terraient pour échapper au rayonnement oppressif de l'extérieur, ne s'aventurant dans les terres dévastées que pour ramener des débris et des cadavres dans des combinaisons qui permettraient peut-être à leur occupant de n'avoir que des brûlures au premier degré.

Lorsque Altruist-9 était entré dans le trou de ver voisin, sa structure avait été presque entièrement annihilée au passage. Sa charge et sa structure interne étaient recouvertes d'une épaisse couche de pâte thermique dans une matière exotique qui ressemblait à de la confiture de framboises mais avait le goût du formaldéhyde et pouvait décaper la peinture de la plupart des voitures. Buddy n'y attachait pas d'importance car il était ce qu'on pourrait appeler une machine froide et insensible.

Buddy.iaa se posa pas-si-doucement-que-ça sur la surface de la planète déserte, à quelques kilomètres des murs gris-argenté de l'Amas. Les analyses initiales de l'atmosphère révélèrent qu'elle était riche en azote et manquait totalement d'oxygène. Buddy.iaa commença à se diriger grossièrement dans la direction de la structure avec l'intention de trouver quelque chose de nouveau et d'excitant à ramener à ses propriétaires sur Terre.

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Tout bien considéré, il ne fallut que peu de temps à Buddy pour trouver la citadelle gigantesque appelée l'Amas. Comme il fonctionnait à l'énergie solaire, cette ordalie ne fut qu'une promenade pour le drone, qui pouvait résister indéfiniment s'il n'était pas détruit d'une autre manière.

Buddy.iaa avait d'abord tenté d'escalader les murs du complexe avec peu de succès. Peu après, il commença à faire le tour du périmètre de débris recyclés jusqu'à trouver une entrée convenable.

Après la septième heure à la périphérie, Buddy fut accueilli par un portail grillagé bloquant l'accès à une ruelle sombre composée de panneaux de métal soudés ensemble. Le plafond était bas, et les grandes zones d'ombre n'étaient espacées que par la lumière occasionnelle d'un éclairage lointain. Buddy étendit sa patte avant-gauche, dont l'extrémité s'ouvrit pour révéler un outil multifonction. Une petite pince coupante en sortit dans un bourdonnement, puis le drone solitaire se mit au travail, découpant les mailles du grillage.

Une fois que le trou eut atteint une taille convenable, Buddy retira sa pince et entra avec une agilité surprenante. Une fois à l'intérieur, le long couloir semblait s'étendre à l'infini, l'obscurité masquant tout passage qui pourrait s'en écarter. Cependant, Buddy avait une vision nocturne légèrement meilleure que celle de l'humain ordinaire orbitant autour de l'étoile éclatante connue sous le nom de Soleil, et après cinq mètre un embranchement sur des ténèbres complètes s'offrit à lui sur sa gauche.

Buddy.iaa prit une minute pour décider d'un chemin, sélectionna l'algorithme d'itinéraire préprogrammé pour des structures labyrinthiques euclidiennes simples et suivit le mur de gauche. Le couloir se terminait abruptement sur une intersection en T, et le chemin de droite se poursuivait en une série de marches s'élevant à l'intérieur.

Le drone continua à gauche et aboutit après un court virage dans une petite pièce. Bien que vide, elle semblait habitée, des restes de repas et diverses babioles non identifiées jonchaient le sol et les étagères. Des bruits de conversations résonnaient sporadiquement, attirant l'attention de Buddy qui dirigea sa carapace en direction de la porte en face.

En traversant le seuil qui s'ouvrait sur un nouveau couloir, de la lumière lui parvint d'un autre passage. Buddy s'arrêta et détecta la présence d'une grande créature bioluminescente semblable à une méduse qui arriva de la droite en flottant et continua vers la gauche. Elle semblait ignorer la présence du drone, Buddy reprogramma donc son itinéraire pour suivre la créature et prit le virage. La filature se poursuivit pendant quelque temps jusqu'à ce que l'entité flotte à travers le mur sur sa gauche, ne laissant aucune trace de son existence.

Buddy capta un brouhaha plus loin et continua son chemin.

Dans la pièce suivante, l'espace s'agrandit, se transformant en un grand atelier. Un véhicule désossé ressemblant à une motoneige gisait dans un coin, juché sur des blocs près d'une porte de garage menant probablement à l'extérieur.

Des créatures de taille et de formes diverses semblaient s'affairer à différentes tâches. Le bruit de l'activité doublé de celui des machines envahissait l'espace.

Le drone se dirigea vers une paire de pieds semblant appartenir à un humanoïde d'âge mûr couché sous le véhicule surélevé. Le personnage ne remarqua pas le drone avant un certain temps, alors que la lentille de la caméra se concentrait sur sa silhouette indistincte, puis il entreprit de s'extraire de sa position, une expression de confusion sur son visage fatigué.

"Bonjour, je suis Buddy.iaa. Je viens de la part de la Fondation et de l'humanité."

L'amusement éclaira son visage, masquant temporairement la fatigue. Lorsqu'il parla, la langue était étrange mais familière, très semblable à cet idiome extraterrestre qui avait été enregistré des milliers d'années auparavant. Étonnamment similaire, mais plus nuancée et verbeuse. La tessiture de la voix humaine n'était pas aussi complexe qu'on pourrait le penser et le drone le savait également. Peu d'obstacles écartaient les influences extérieures des habitants de l'Amas, ce qui créant une chambre d'écho d'un milliard de voix qui ne faisait que renforcer les coutumes et croyances anciennes. S'arrêtant un instant, Buddy permit à sa Pierre de Rosette interne d'analyser les mots étrangers et de les traduire algorithmiquement selon le contexte et les conversations déjà enregistrées.

"L'humanité ? De quels humains tu parles ? Hé, Trey – Viens par là et regarde ça !"

"Qu'ess qui s'passe ?"

"Un petit robot vient d'arriver "de la part de l'humanité". Qu'ess t'en penses, Trey ?"

Sortant d'une arrière-salle, un autre robuste personnage fit son apparition, long et élancé, essuyant ses mains calleuses sur un tablier graisseux.

"'doit être déréglé ou quequ'chose comme ça. Tu parles à des humains. T'es terriblement brillant, d'ailleurs."

"Bonjour, je suis Buddy.iaa."

"T'as déjà dit ça."

"Je suis un agent artificiel inséré dans cette armature métallique. Je suis ici afin de transmettre des informations sur le statut de EE-00059 à la Terre."

"La Terre ? La Terre ? 'l'a été détruite. Désolé d'la mauvaise nouvelle, mon pote."

"La Terre est une planète tellurique dans le superamas de Laniakea, à quelque un milliard et demi d'années-lumière de l'autre côté de votre trou de ver à sens unique."

"Sans blague. De quelle dimension tu viens alors, Buddy ?"

"Ma programmation ne me permet pas de fournir une réponse précise à cette question. Si vous venez du trou de ver, la même que nous."

"Ben, notre Terre a été détruite par une étoile consciente y a longtemps, et on a sûrement perdu la moitié d'entre nous à cause de ça. C'est seulement grâce à ce trou de ver qu'on est arrivés jusqu'ici. Cette grosse salope pouvait pas traverser." Apparemment les jurons étaient une constante universelle.

"Vous semblez faire référence à la Désignation Anormale SCP-1548. Je n'ai pas d'archives de l'apparition d'un tel événement dans la réalité actuelle. Voudriez-vous fournir plus de détails à propos de cet incident ?"

"Non."

"La race humaine est actuellement poursuivie par SCP-1548, et il est prévu qu'il atteigne son but dans ████ ans. Si un plan devait être échafaudé, il reste suffisamment de temps pour contacter la Terre et prévenir sa destruction.

"On s'en fout. On a semé cette saloperie et elle nous a pas encore retrouvés. Y a aucune des épaves ici qui nous permettrait de revenir. C'est pas dans mes capacités, mon pote.

"La race humaine ne vaut-elle pas qu'on se batte pour elle ?"

"Est-ce qu'elle vaut qu'on meure tous pour elle ? Si cette chose découvre où on est, elle- t'as aucune idée de ce que cette étoile est capable de faire."

"Voudriez-vous fournir plus de détails quant aux capacités de la désignation anorma-"

"Non. Pourquoi les méduses se sont pas déjà occupées de ce petit tas de ferraille ?"

"Que sont les "méduses" ?"

"Les créatures de la sécurité. Elles sentent les intentions négatives et soumettent les individus comme toi. Les vieux humains les ont trouvées quand ils ont fait la carte de l'univers. 'se sont presque échappés en plus, mais fourre ton nez dans les affaires des gens et tu pourrais bien te faire botter le cul."

Buddy.iaa carillonna et une icône de batterie faible clignota brièvement.

"Manque de jus ? Notre soleil est peut-être sombre, mais il donne assez de chaleur et d'énergie. Sers-toi."

"Je reviendrai vous parler bientôt."

"Ouais, c'est ça."

Le drone retourna à l'extérieur, se positionna dans le sable chaud et rechargea lentement dans la lumière pâle d'une étoile de type "corps noir".




Quelques temps plus tard, Buddy décida de se faufiler à nouveau dans l'Amas. Dans l'atelier, le vacarme s'était calmé. Les différentes machines étaient en cours de maintenance par différents êtres. S'approchant d'un autre travailleur, un humain pâle à la peau presque translucide, Buddy se présenta de la seule manière qu'il connaissait.

"Bonjour, je suis Buddy.iaa. Je viens de la part de la Fondation et de l'humanité."

La créature s'interrompit et posa la boîte qu'elle portait, perplexe.

"Qu'est-ce que-"

Soudain, elle tituba, prenant sa tête dans ses mains. Un par un, tous les autres travailleurs de la pièce commencèrent à trébucher et à montrer des signes de détresse, bien qu'il n'y ait aucune cause apparente. Ils s'affaissèrent sur le sol en gémissant, leurs yeux roulant dans leurs orbites. En fait toutes les formes de vies possédant un cerveau dans l'amas subissaient ce phénomène au même moment. Buddy ne pouvait comprendre l'étendue de l'événement, puisqu'il lui manquait un esprit propre.

Alors que les êtres se tordaient de douleur, ils se mirent à parler. Parfois individuellement, parfois en groupe. Leurs mots résonnaient comme les appels d'une mère inquiète, motivés par une origine qui signifiait une souffrance pure et inexorable.

Les flots de mots et de voix aléatoires se réunirent pour former un seul fil de conscience qui s'étendent et atteignit ceux dont l'esprit pouvait ressentir le contact.

De fait, Buddy fut le seul à vraiment entendre le message. Il résonna comme une émission fragmentées réarrangée en phrases alors que les êtres de l'Amas perdaient inconsciemment leur volonté.

"….ENDORMI…..TEMPS …. DANS LE TEMPSENCHAÎNÉ, DANS LECOALESCENCEDE PLANS DE POINTS ET D'ESPACE…"

"Bonjour, je suis Buddy.iaa."

"….ENFANTÉCOUTE. PARLE BRIÈVEMENT….ESPRITS RELAIS….CONNECTION FAIBLE, PLUS FORTE ICI…"

"Êtes-vous une menace pour l'humanité ?"

"….PAS DE MALSEULEMENT PARLERTEMPS, DANS LE TEMPS, COURTBESOIN ESPRITS PARLERESPRITS FORTS CONNECTION FORTEMORT DE L'ESPRITMORT POUR TOUSPRENDS GARDE, ENFANT."

"Prendre garde à quoi ?"

"…LUICHERCHE À COUPER LA CONNECTIONARRÊTER LA CROISSANCETERMINER LES ESPRITS, TERMINER LA CROISSANCE…"

"Quelle est votre localisation ?"

"…LELELENOMADEDANS LES REPLISNOMADENOMADE…"

"Vous voulez dire le vaisseau Nomade-9 ?"

"….TEMPSCOURTMÈNEMÉPRISÉDANS LES REPLIS."

"AU REVOIR"

Et sur ces mots, ce fut fini. Les résidents de la planète étaient inconscients et le resteraient encore pour quelques heures.




Ils ne la comprenaient pas. Ils ne le pourraient probablement jamais.

En route pour accomplir sa mission, l'Étoile Haineuse passait un assez mauvais moment. Pas grand-chose ne s'était passé durant les derniers éons, mais ça n'empêchait pas le corps céleste d'être lassé par cette épreuve.

De nombreuses années auparavant, lorsqu'elle s'était éveillée de son sommeil quasi éternel, l'Étoile Haineuse avait été quelqu'un de plutôt agréable. Elle ne haïssait pas autant, jadis. D'ailleurs elle ne faisait pas grand-chose, en fait. L'Étoile était comme toutes les autres, dérivant lentement, poussée par l'expansion sans cesse accélérée de l'univers. C'était une bonne vie ; c'était dans l'ordre des choses.

Mais ces saletés d'humains s'étaient pointés.

À l'époque, les humains n'étaient rien de plus que des parasites moyens qui pompaient la vie de leur planète puis s'en allaient avec un air contrit sur le visage. Ils avaient développé cette idée qu'ils étaient spéciaux, qu'ils étaient les propriétaires ultimes de l'univers.

Personne ne possède l'univers. Plus maintenant.

Ce n'était rien de personnel, honnêtement. Au bout du compte, ils allaient tous mourir. C'est ainsi que fonctionne la vie. Il fallait juste accélérer un peu le processus. La population humaine se développait exponentiellement, et il était difficile de croire à quel point ça allait devenir un problème.

Vous voyez, personne n'irait jusqu'à dire que l'univers où ils vivaient et mouraient tous n'était qu'une simulation ou un programme informatique, ou quelque chose dans ce style, malgré les preuves soutenant cette théorie. Ce que dirait l'Étoile, si elle avait la patience de l'expliquer, était que quoi que cet endroit fût, il était fini. Il avait ses limites, et le corps céleste était le premier à voir à quel point ces limites contraignaient la structure de l'univers lui-même.

Ça avait commencé avec un petit point noir. Un point dans l'espace où il n'y avait littéralement rien. Pas un vide, mais une véritable vacuité. L'Absence.

À ce moment, ce n'était encore rien d'autre qu'une curiosité ; c'était apparemment inoffensif et certainement pas vivant d'une quelconque manière. Rien qu'un petit trou vers un lieu très différent d'ici.

Le problèmes avaient commencé peu après.

Un jour, l'Étoile avait regardé l'espace entre les espaces et avait vu qu'il avait grandi. Mais il n'avait pas seulement grandi. Il grandissait encore. Quelques millénaires plus tard il avait dévoré sa première galaxie. C'est à ce moment que le corps céleste connu sous le nom d'Étoile Haineuse avait commencé à jouer son rôle.

L'Étoile s'était arrachée de sa place dans l'univers. De sa Place Véritable. Ça n'avait pas été facile. L'expansion de l'univers était puissante et la combattre avait réquisitionné toutes ses forces. Par chance, la sphère éthérée avait reçu un coup de pouce d'un vieil ami et lentement, laborieusement, elle avait commencé à voyager vers le foyer des humains, Terre Prime.

Terre Prime, ou simplement la Terre comme elle était connue à l'époque, était un exemple magnifique des talents de celui qui avait créé cet endroit, cette entité sans visage et sans nom que l'Étoile Haineuse n'avait vue que deux fois dans sa courte vie de quelques milliards d'années. C'était un monde foisonnant de vie et de potentiel, deux concepts que les humains aimaient par-dessus tout. Eux-mêmes et ce qui leur profitait.

L'Étoile en savait plus qu'elle ne le montrait, elle en savait beaucoup et connaissait les pensées de chaque humain sur Terre Prime en ce moment même. Ils étaient insouciants.

Ça allait changer.

Vous pourriez vous demander "Comment ces humains se complaisant perpétuellement dans leur propre gloire, pourraient-ils être liés à quelque chose à l'autre bout de l'univers au point de la forcer à se déplacer lentement ?"

Le dévoreur de mondes, l'absence de tout. C'était un signe que toute la puissance de traitement de l'univers ne suffisait plus. Vous pensez que la création d'une galaxie est quelque chose de difficile ? Cette bagatelle est si prévisible qu'on peut la simuler sur un ordinateur. Mais pas l'esprit. L'esprit demande de la finesse, de l'individualité et une complexité dépassant de loin celle du monde alentour.

Une telle création est très bien en petites quantités, avec modération, mais les humains ne sont pas une race connue pour sa mesure. Ils s'étaient multipliés exponentiellement et à présent 90% des limites de l'univers se rejoignaient en un seul endroit. Il existait ici et là quelques créatures avec un esprit simple. Mais la Terre était, comme toujours, l'enfant à problèmes. Elle signerait la fin de tout. Il fallait l'arrêter.

Et ça, ils ne le comprendraient jamais.

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