La pointe de ma canne avait vraiment soif, et le punk qui en rassasiait le bout ne faisait pas grand-chose en matière de désaltération. Malgré cela, langue d’acier bavant crasse rubis, elle se retira de la plaie dans le crâne du locataire avec un délicat tortillement, une pirouette charmante. Les cris et gémissements de l’homme - tremblements grimaçants d’un roquet récemment tailladé - tintaient de temps en temps jusqu’à ce que sa poitrine s’arrête de bouger. Le croc d’acier s’y précipitait encore et encore, perforant le récipient de chair, libérant de force l’âme. Tout le reste dès lors fut pour le spectacle : de petits morceaux de chair supprimant le besoin de recourir à quelque chose d’aussi vulgaire qu’un contour à la craie, de paresseux filaments de veines émancipées comme les racines ou branches d’un vieux saule pleureur, un visage poreux et des pupilles aiguisées ensevelies d’incrédulité perpétuelle. Je me retrouvais riant comme un macaque à chaque nouveau coup. Montrant mes dents, mon sourire bancal, tordu, aurait fait l’envie des piranhas.
En fin de compte et de mutilation, je m’assis près du cadavre, sentant le regard froid non pas de ma conscience, mais de mon insatisfaction. J’avais toujours faim, et je j’aurais voulu rassasier cet appétit qui me taraudait avant que cette convulsion ne soit entièrement finie. Le spasme vint et partit ; la vie allait et venait. Je me repris en voyant son sang quitter sa gorge, crachotant, stupide, et retint un gloussement.
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J’avais été un ermite dans un village vague plein de personnes vagues. J’étais vieux, brisé, érodé, mon sens de l’humour aigre. Sur ce chemin-là je regardais par les fenêtres des maisons et vis leurs rebords remplis de petits jardins. Je vis des cabanes de bois moussu, aux planches faites d’arbres anciens et obscurs, construites par des vagabonds un temps indicible de là. Je regardais la météo changeante, le ciel mouvant, l’obscurité et la lumière, comment le soleil se levait et se couchait, et je riais. Je pensais cela drôle, comme ils faisaient toutes ces choses ainsi, avec une telle ponctualité. Le ciel était bleu, et sa grande bouche grande ouverte à des minutes de savourer le monde.
Dans mes rêves je sautai dans des nuages gris et me fis une maison. Dans ce rêve mon cerveau pendait par ses câbles depuis le haut de mon crâne fracturé, les mésanges en orbite autour chantant hop fait la belette. Un doux rêve qui me faisait me sentir rafraîchi et heureux au réveil, si ce n’était que pour un instant, avant que mes pensées ne retournent à M. Redd depuis le miasme de ma psyché estropiée. Je trouvais alors du réconfort dans les silhouettes sur les murs, amis venus de l’arrière-pensée d’une chandelle, et dans l’ombre qui graciaient souvent mes pieds. Cette ombre-là se tiendrait toujours silencieuse, à l’attente de mon prochain mouvement, éternellement fidèle, victime seulement de la lumière changeante.
Je greffai l’espace entre mon pantalon et ma chair de l’air montagnard et d’un peu d’oxydation novice. Mes trous d’yeux rebondissaient d’avant en arrière ; alésant ! Les nuages jouèrent un hommage respectueux en passant lentement, glissant sur l’air ; doux gris et impossibles violets. Je retirai le tissu de l’huile et grimaçai un peu, remarquant que les nuages me souriaient et m’informaient qu’il fallait abandonner. M. Redd apparaissait de temps en temps dans mon esprit pour me signaler que j’étais un grand mensonge coincé entre une petite vérité.
Dans mes rêves, je m’enfuyais de quelque chose d’imprévisible. Clopinant ; en de larges cercles autour d’un petit taudis crasseux avec ma queue cliquetant entre mes jambes. Des éclairs frappant le sol à des centaines de kilomètres de là ponctuaient le temps entre l’atterrissage des pointes de mes chausses et le pivot des mes talons manipulant une fine poussière orangée. Je pensais que j’avais perdu depuis longtemps l’ombre de mon oppresseur sous les pistons et les rouages, il y a des années, mais son intuition ne l’avait jamais trahi. Je suis toujours anxieux.
Je m’éveillai ce matin-là attentif, et mon esprit me souhaita de prendre la fuite par le seuil de la caverne où je me reposais - de petits dieu-sait-quoi sans visage me firent leurs adieux depuis leur perchoir sur les veines le long des murs.
Je gravai “Menteur” sur une pierre tombale posée contre une falaise que je rencontrai, bien que je ne fusse pas sûr pourquoi. J’y mis l’ébauche de la figure d’un paon décapité que je produisis dans mon crâne pour qu’il perche dessus. Des carillons éoliens pendaient tout proche de quelques cactus pétrifiés. J’ouvris la trappe de cuir qui donnait sur un trou, à côté, et reposai ma tête contre les organes à l’intérieur.
La chaleur accablante transformait mes quelques cheveux sous l’horizon en la mythique rivière de la mort. Des masses de lombrics palpitants, frétillants, à la peau d’agate, tournaient et se retournaient là-dessous. Je m’étais imaginé une fois m’envoler loin dans la pourriture, vers les plages noires des ongles. J’y volais ; haut, là-haut vers le cerveau, pour y commettre le demi-tour complet d’un piqué vers les profondeurs des tripes - laissant traînées de sang stygien - tuant du même coup M. Redd et moi-même. Une rêverie aigre-douce, même si les choses ne se passaient jamais tout à fait comme prévu.
Le soleil était présent ce jour-là, ainsi que la pluie ; ils étaient amis des lumineux, doux et dorés nuages. Le crépuscule me signala de mettre mes chausses - c’était une nuit pour marcher. Je descendis dans la ville pour que quelque chose puisse m’y trouver. Je ne m’étais pas exercé depuis longtemps, et je commençais à dysfonctionner. J’ouvris ma bouche et “répare par soupir pourquoi nuit” sortit : l’habituel brouillis incohérent dès que je tente une vocalise. Les langues ne me dérangeaient pas, et ce n’était pas vraiment très grave quand personne n’était proche. Donc je descendis un ou deux kilomètres jusqu’à un tripot en marmonnant ce charabia, en marmonnant cet “alarme intervention à quel moment je discerne pourquoi essayer” et tanguais ma main sur ma canne comme dans un spectacle pour la terre. Non, je n’avais pas besoin de flatter la terre, pas M. Pourpre. M. Pourpre était beau, et il savait des choses !
De temps en temps je m’arrêtais, et lançais un regard noir vers les arbres. Je savais qu’elles étaient là : les ombres timides et maléfiques de M. Redd.
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Après m’être réveillé de mon repos sur le cadavre, un visage pâlit à travers le crépuscule avec le tintement de la voix graveleuse d'un homme. J’excrétai une grande partie de mon huile quand je me rendis compte qui c’était.
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