085-Romance-Adulte

Proposition d'histoire : "085, Une Romance en 2,5 Dimensions"

Chapitre 1 : "Sierra Nevadas"

Ses cheveux de cadmium yellow #5 tombent en cascade sur ses épaules tandis qu'elle s'assoit dans le coin de la toile, les yeux perdus dans l'étendue blanche de la surface vide, ses jambes fines croisées au niveau des chevilles. Ses bras sont aussi croisés, et il y a un certain désespoir dans sa voix alors qu'elle remue ses pieds, dans l'expectative. "Allez," l'entends-je dire. "Dépêche-toi."

{Patience,} écris-je, à l'aide d'un morceau de fusain très sec. {Ne force pas un artiste à aller vite.}

Elle ne répond pas vraiment, et se contente de soupirer et de s'appuyer sur le banc. Elle se gratte et s'étire, tirant un peu vers le haut sa robe outre-mer, laissant apercevoir un bref instant le flash blanc de sa culotte. Je me demande si je devrais le lui dire. Je ferais peut-être mieux de ne pas le mentionner.

Mes peintures sont prêtes, ma palette préparée, et mes pinceaux sortis et classés par taille. J'épingle la photo d'un paysage lacustre à proximité de la toile, et prends un moment pour profiter de cette magnifique vue montagnarde. C'était une photo que j'avais prise il y a de cela une dizaine d'années, alors que je n'étais qu'un adolescent, lors d'un voyage avec des amis dans la Sierra Nevada. J'étais avec Rachael à l'époque : charmante Rachael avec ses yeux magnifiques et son visage d'ange, charmante Rachael qui se glissa dans ma tente alors que les autres étaient déjà endormis et posa son doigt sur mes lèvres, m’embrassant doucement alors qu’elle se glissait dans mon sac de couchage, charmante Rachael qui vit maintenant quelque part à Sacramento et milite pour Greenpeace, et je me demande, tandis que je pose les contours des montagnes et des arbres, si oui ou non lorsqu’elle contemple les forêts pour lesquelles elle se bat si ardemment, dans un sourire, elle se souvient de la nuit où elle se glissa dans la tente d’un de ses camarades de classe, vêtue uniquement d’un t-shirt et d’une culotte, et lui fit l’amour au son des criquets et de l’eau qui coule.

Souvenirs. Mon crayon danse sur la toile avec abandon, comme à chaque fois que ma muse me frappe, quand l’hémisphère gauche de mon cerveau laisse la parole à mon hémisphère droit, quand l’œil, la main et le pinceau travaillent ensemble dans une harmonie parfaite. Souvenirs du temps où l’homme à la cravate noire vint me dire qu’il avait lu mon article sur les folklores mythologiques et que j’avais l’opportunité de sauver le monde. Souvenirs de mes premières missions, les premières fois où l’on m’a demandé de gérer une situation de confinement. Ces mains qui maintenant manient le crayon et la gomme furent un jour rouge du sang d’une amie proche, Maggie Lyndon, Dr Maggie Lyndon, déchirée en deux à cause d’un minuscule moment d’inattention face à Six Quatre-vingt Deux, ce rouge plus profond et plus sombre que n’importe lequel des cadmium red que mes mélanges pouvaient donner. Ce n’est pas de la tristesse que je ressens, mais des regrets, regrets pour la bague en diamant qui attend toujours dans mon coffre blindé, et que je n’ai jamais eu la chance de lui donner.

Si seulement j’étais aussi froid et dur que mes collègues. Je ne peux pas noyer mes problèmes, tout comme je ne peux pas m’armer du même dédain pour la mort qu’ont les Drs Clef ou Kondraki. Ma mère m’a toujours dit que, étant le plus jeune, j’étais le plus sensible de ses enfants. En effet, bien que ma carrière résida dans les sciences, je me suis toujours épanoui dans les arts, et c’était dans les arts que les Surveillants avaient décidé que j’allais m’épanouir à partir de maintenant. Renvoyé des projets de Classe Keter, on me dit qu’il y avait un autre SCP qui aurait besoin de mes talents uniques.

Je ne sais pas ce à quoi je m’attendais, mais je ne m’attendais pas à ça.

Comme toujours, le temps passe vite, et une heure était déjà passée sans que je m’en rende compte le temps que je finisse les crayonnés. Cassie est captivée, souriant avec plaisir aux contours graciles des montagnes, au lac, au ponton et à la petite cabane. "Ça a l’air magnifique," dit-elle. "Je peux…?"

{Pas encore,} écris-je. Je pose mon crayon et me saisis de ma palette et de mes pinceaux. Par d’épais coups de mon plus large pinceau, je pose mes couleurs de base : bleu sombre et profond pour l’eau, brun pour les montagnes, bleu céruléen pâle pour le ciel. Je bouge rapidement, car Cassie est impatiente, mais je fais attention à me contrôler, à ralentir et à saisir tous les détails avant de les placer sur la toile. Sous mon pinceau, les montagnes prennent lentement vie, les bruns sans relief laissant place à des pics rocheux écorchés et couvertes de neige, puis éclatants de verdure alors que les sapins se répandent sur leurs flancs crevassés. Plus bas, je prends le temps de donner plus de détails aux arbres les plus proches, la branche cassée sur l’un, le tronc tordu sur l’autre, les touches de mousse sur un troisième. Plus proche de Cassie, je prends le temps de peindre l’herbe légèrement sèche dans des tons de vert plus sombres, et d’ajouter des petites touches d’un jaune éclatant pour former les fleurs de pissenlits en train d’éclore.

Alors que je commence à travailler sur le lac, la peinture commence à prendre vie. Un vent calme fait s’agiter les hautes branches des sapins, faisant tomber les épines sèches vers le sol, épaississant le tapis sombre qui recouvre l’herbe sous les pieds nus de Cassie. Le lac, qui au départ n’était qu’une tache d’un bleu profond, prend vite forme sous les couches de bleus de plus en plus clairs, puis sous les éclaircissements de blanc pur mélangé à une touche de bleu céruléen pour représenter les reflets du ciel. Des petites vaguelettes, comme celles qui léchaient les flancs du canot dans lequel Rachael et moi naviguions pendant des heures se forment à la surface de l’eau et commencent à se mouvoir dans un ressac irrégulier.

Je lève mon pinceau et prends du recul. Quelque chose manque ici… quelque chose qui n’est ni sur la photographie, ni sur la peinture, quelque chose qui la rendrait complète…

Cassie sait. "Peux-tu rajouter un ponton ?", demande-t-elle. "J’ai envie de plonger."

Je ne peux lui parler pour l’instant, car écrire quoi que ce soit ruinerait la peinture, donc je réponds en peignant rapidement quatre lignes en noir, que j’agrémente de couches de marron et de noisette. Le ponton est un peu branlant, et les planches semblent être un peu vieilles, mais cela fait aussi partie de son charme. Je suis tenté de rajouter un canard à la scène, mais cela ne ferait que rappeler à Cassie sa solitude. J’opte plutôt pour une feuille sur l’eau, flottant au gré du lac, formant de petites rides à la surface de l’eau sombre.

"Merci," dit Cassie en se tournant vers moi, souriante. "C’est magnifique."

Je signe de mon nom dans un coin avec une touche de peinture blanche, et ajoute un petit "De rien" accompagné d’un visage souriant à ma signature. Cassie se lève du banc et marche vers le lac, ses pieds nus écrasant les épines de pin, sans avoir l’air de se soucier du sol dur, et je me demande si c’est parce qu'elle n’a jamais vraiment ressenti le contact d’épines de pin contre la peau nue qu’elle ne sait pas que c’est censé faire mal.

C’est une erreur d’être distrait ainsi… perdu dans mon labyrinthe philosophique, je trébuche sur ma mallette de peintures, et me petits tubes de Burnt Umber et de Vermillion se répandent dans la chambre de Confinement. "Merde !" soupire-je. M’agenouillant, je commence à fouiller sous les piles de papiers et de toiles, essayant de rassembler mes peintures et accessoires.

J’ai finalement retrouvé mon dernier tube de Cadmium Red et je classe mes couleurs dans ma mallette lorsque j’aperçois du coin de l’œil un éclat de peau blanche sur le tableau. Je me retourne et baisse la tête immédiatement, rougissant, alors que Cassie enlève sa robe bleue et la laisse tomber sur le ponton sans s’en soucier. Son dos nu est pâle et fin, et elle est aussi resplendissante qu’une Aphrodite émergeant de l’océan alors qu’elle retire le ruban de ses cheveux et le dépose sur sa robe. Elle plonge dans l’eau dans une éclaboussure éblouissante, émerge dans une pluie de gouttes étincelantes, et commence à nager au travers du lac, sublime dans la fraîcheur de l’eau.

Quelque voix folle en moi souhaiterait qu’elle ait choisi une nage sur le dos.

Je parviens à combattre ma libido en folie et ferme ma mallette calmement, en silence. Imbécile. Elle ne peut pas m’entendre, ni me voir, mais ça a l’air un peu… intrusif… quand elle nage nue dans l’eau du lac, sans se soucier de ce que je pourrais voir. Je commence à ranger ma palette quand j’hésite, réalisant que j’avais oublié quelque chose.

Il me reste juste assez de blanc. Je plonge mon pinceau dans la peinture et ajoute rapidement l’élément manquant à la pile de vêtements sur le ponton.

Fermant ma mallette, je quitte l’installation de confinement, validant mon passe à chaque porte et éteignant les lumières en partant. Cassie ne s’en rendra pas compte : pour elle, le soleil restera brillant et haut dans le ciel, le vent sera toujours calme, et l’eau sera toujours claire et propre, jusqu’à ce qu’elle soit prête à rentrer à la maison, dans le carnet de notes scotché au mur dans un coin de la pièce, dans son monde monochrome habituel fait de noirs et de blancs.

Je me demande, alors que je me dirige vers mon bureau, pourquoi j’ai ajouté ce dernier élément. Peut-être aurait-il été mieux de la laisser comme ça, sans qu’elle sache que je l’ai vu plonger, nue, dans le lac ? Peut-être. Peut-être était-ce juste qu’il me semblait injuste que je puisse la voir mais qu’elle ne puisse pas me voir, ou peut-être que c’était ma manière de jouer avec elle.

Peut-être, en tant que gentleman, je ne me sentais pas de laisser une dame se baigner sans lui donner de serviette.


Interlude 1

"Le comportement de l’Agent Lassiter, au vu de ses troubles émotionnels récents, est exemplaire. Bien que les rapports du psychologue montrent qu’il soit… ummmmmm… encore en détresse… il est devenu beaucoup moins suicidaire qu’avant. En fait, si on a de la chance, il pourrait ne pas décider de s’ouvrir les veines avec un rasoir et se noyer dans son propre sang… merde… laisse-moi recommencer."

"Bien que l’Agent Lassiter reste dans un état de détresse émotionnelle, il a fait de bons progrès ces derniers mois. Je suis certain qu’il guérira complètement et retournera à son travail d’agent de terrain… ouais, il va faire profil bas quelques mois puis il va se faire sauter le caisson avec son arme de service et peut-être emporter toute son équipe avec lui, merde… laisse-moi recommencer…"

"L’Agent Lassiter est un bon élément…, non, ÉTAIT un bon élément, maintenant c’est un putain de sac, à ce que j’en sais. Le gamin a vu sa copine… non, c’était sa fiancée… attend ? Je sais qu’il a acheté une bague, mais est-ce qu’il a eu le temps de la lui donner ? J’sais pas, le gamin en parlait tout le temps… peu importe, il a vu Maggie Lyndon se faire déchirer en morceaux par Six-Huit-Deux, et n’a rien pu y faire parce qu’elle était du mauvais côté d’une cloison d’urgence, et que si je retrouve les connards qui ont décidé de les faire en plexiglass renforcé de dix centimètres d’épaisseur pour qu’on puisse bien mater les horreurs qui arrivent à ceux qui sont coincés derrière, je les défonce…"

"… merde, je peux pas dire ça, il vont en faire un Delta. Allez-vous faire foutre, dire la vérité ne va m’amener à rien. L’Agent Lassiter est un bon élément qui a juste besoin d’un peu de temps pour récupérer. Je recommande qu’il se voit confier des missions de basse priorité sur des SCP de Classe Sûr jusqu’à ce qu’il soit guéri. Et voilà. Et si quelqu’un croit ça, j’ai un pont à lui vendre. Putain de rapports du personnel, j’aurais jamais dû accepter cette promotion à la con…"

- Extrait des vidéos de surveillance du bureau de l’Assistant Directeur Clef, six mois avant l’Incident Lassiter.

Sauf mention contraire, le contenu de cette page est protégé par la licence Creative Commons Attribution-ShareAlike 3.0 License