"Ben merde alors."
Mille et une pensées auraient pu traverser le docteur en cet instant. Alors que l'informatique de son cerveau achevait de traiter les données envoyées par les caméras qui lui servaient d'yeux, une seule, cependant, se forma dans son esprit…
"Ben merde alors."
Il avait été conçu dans le but de traiter les problèmes tel un ordinateur et d'en trouver les solutions tel un humain, mais face à lui se trouvait le seul problème qu'il n'eut jamais imaginé possible.
"Ben merde alors…"
Ce que l'androïde regardait avec incompréhension c'était un mail. Une lettre de renvoi. Pas la sienne, lui, n'avait rien reçu. Celle-ci appartenait au docteur Ezcyo auquel il était venu faire la discussion, profitant de son passage sur le site. Ezcyo était aussi (si ce n'est plus) sidéré que lui, bien que son visage figé en un rictus neutre n'en fasse rien transparaître. Il était viré. Et pas que lui, la quasi-totalité de leurs collègues du site Aleph était mise à la porte. La stupeur passée, une autre pensée, plus aboutie celle-ci, traversa l'esprit de Benji :
"Pas moi."
Non pas lui, il n'était pas viré, pas plus que ne le seraient Holt, Grym, Kaze, Tesla, Cendres et bien d'autres encore… Ces chercheurs et agents, victimes d'anomalies ou eux-même anormaux, la Fondation n'allait pas les mettre dehors…
"Faut que je me tire d'ici…
- Ben' ? s'inquiéta Ezcyo."
L'androïde se tourna vers son ami :
"Pas que moi, il faut faire vite, tu peux être sûr que le DSI va essayer de nous empêcher de mettre les voiles mais on doit se casser au plus vite !
- Arrête, on bosse pour la Fonda', on connaît ses moyens mieux que quiconque. Si par miracle tu arrives à te tirer de Aleph sans être grillé, où veux-tu aller ? Même dans l'espace ils te retrouveraient."
A contrecœur, Benji dû admettre que son ami avait raison. Peu importe le nombre de fois qu'il relançait les tests de probabilité, le résultat était inlassablement le même.
0%
Les deux jours suivants furent sans aucun doute possible les pires de sa courte existence. Il voyait ses collègues et amis traînés, de force pour certains, vers le laboratoire dirigé par le Dr. Topy, le service d'inoculation des amnésiques, qui, a la grande surprise de Benji étaient au courant de cette opération depuis plusieurs mois. Il n'en avait pas tenu rigueur à Topy, il savait bien que le choix ne lui appartenait pas, et malgré les apparences, il savait aussi que son jeune ami n'avait pas dû s'en tirer à si bon compte. Il observa l'Ex-Dr. Gémini vociférer alors que les "Flashouilleurs" s'apprêtaient à effacer une section entière de son existence pour la substituer par des souvenirs créés de toute pièce par, ce que Benji trouva ironique, le Département de Censure et de Désinformation, dont Gémini lui même avait été l'un des membres les plus gradés.
Les souvenirs de ses collègues étaient remplacés par des pans de vie qui n'était pas les leurs, mais Benji les considérait chanceux. Eux n'allait pas être coulés dans le béton comme, si les rumeurs disaient vrai, l'infortuné Dr. Grym. Ils n'allaient pas non plus être enfermés dans un six mètres carré du site Beth, à l'instar de Holt ou pire, envoyé dans les tréfonds de Yod, comme un animal, sort qui attendait vraisemblablement le professeur Acyde, qui geignait misérablement dans la pièce adjacente à celle de l'androïde.
"Mon destin est il beaucoup plus enviable ?" songeait-il, alors que deux agents du DSI aux visages familiers le sortaient hors de sa cellule. Il avait appris vingt-quatre heures auparavant ce que le conseil O5 lui avait réservé.
Le démantèlement.
Un mot bien froid aux oreilles du docteur mais pourtant des plus justes. Sa base de données allait être sauvegardée, afin de ne rien perdre des projets importants du DI&ST sur lesquels il travaillait et son corps allait être désassemblé, afin de réutiliser les pièces recyclables dans un souci de… De quoi déjà ? Ah oui, d'économie.
C'était avec le plus grand calme que le docteur avait reçu cette nouvelle, avec le plus grand calme qu'il s'était fait mettre les menottes aux poignets pendant que son cher labo B9 était fouillé. Toujours avec le plus grand calme qu'il regardait passer les agents alors que ceux-ci détruisaient des travaux que le conseil avait jugé "sans intérêt". Mais c'est avec une rage que lui même ne s'était pas connu qu'il contempla, impuissant, Andujil et Mjolnir, ses deux geckos, identiques à l'échelle moléculaire, enlevés afin d'être utilisés comme cobayes au département biologie d'un obscur site espagnol.
Dans les couloirs familiers, mais dorénavant vides, qui le menaient vers son lieu d'exécution, Benji continuait ses simulations mentales. La trois cent cinquante-sept mille deux cent soixante-douzième s'achevait, comme toutes les précédentes, par un échec lorsqu'il remarqua deux agents, habillés comme ceux qui se tenaient à ses côtés, arriver en face. Ils se déplaçaient étrangement, comme si ils tiraient quelque chose en avant. C'est en observant plus attentivement l'espace vide entre les deux que l'androïde compris.
Kaze.
Une paire de lunettes noires familière, flottant dans le vide, se leva vers lui et la voix de son ami lui parvint :
"Ben' ! s'exclama l'homme invisible.
- Bon sang Kaze… Je savais pas que tu étais encore sur le site. Je croyais que tu avais disparu !
- Je m'étais barricadé dans la salle de commande du DSInfo, j'ai foutu le dawa dans la base de données de Aleph, je crois que ça leur a pas trop plu…"
Malgré la situation, Benji ne put s'empêcher de sourire, sourire qui s'effaça cependant bien vite.
"Où est ce qu'il t'emmènent ?
- Va savoir, le nouveau directeur à l'air aussi commode que Mortarion. Dans le meilleur des cas j'aurais une chambre à Beth, sinon… Bah, la dissection à l'aveuglette ça doit être amusant comme jeu, nan ?"
Benji aurait aimé hurler mais il savait que c'était vain. Ils dépassèrent Kaze et son escorte et ce dernier s'autorisa une dernière plaisanterie :
"C'est con, je venais de terminer la configuration du nouveau système de chat interne. Il s'appelle Discord, drôle tu ne trouves pas ?"
Ce fut les toutes dernières paroles qu'entendit jamais l'unité BN-J1. Solidement fixé sur un fauteuil, un long câble rentrant branché au port caché à la hauteur de sa nuque, il savait qu'il allait s'éteindre. Il eut tout juste le temps d'observer les fichiers présent sur le disque dur de l'ordinateur. Un fichier particulier attira son attention. "Discord", c'était sans doute impossible à remarquer pour l'opérateur dont les doigts s'activaient sur le clavier, mais pour Benji dont l'esprit était au cœur de la machine, il était clair que ce n'était pas un logiciel de chat interne. Il comprit alors les dernières paroles de Kaze, de celui qui l'avait sauvé. Et c'est avec une joie telle qu'il n'en avait encore jamais ressentie que Benji observa le résultat de sa dernière simulation.
PROBABILITÉ DE SURVIE = 0,00001%